L’hospitalisation d’Ali Bongo à Riyad (Arabie-Saoudite) et l’incertitude quant à la situation institutionnelle du pays ne préoccupent pas que le peuple gabonais : les investisseurs (bailleurs de fonds) ne semblent pas indifférents à cette situation, facteur d’augmentation du risque sur les dettes obligataires du Gabon. L’analyste économique et spécialiste en sécurité financière, Mays Mouissi, tente ici d’appréhender la réaction des créanciers du pays sur les marchés financiers internationaux, permettant ainsi d’évaluer les conséquences pour le Gabon, qui pourrait voir son coût du crédit s’accroitre.

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Mays Mouissi, analyste économique et spécialiste en sécurité financière. © D.R.

L’Etat gabonais a actuellement deux dettes émises sous la forme d’eurobonds* cotés à la bourse de Londres, le London Stock Exchange (LSX), pour une valeur nominale de 2,2 milliards USD (soit environ 1 281 milliards FCFA)[1]. La première dont l’échéance est fixée au 12 décembre 2024, d’une valeur nominale de 1,5 milliard USD a été placée à 6,375% en décembre 2013. La seconde, échéance 16 juin 2025, d’une valeur nominale de 700 millions USD, a été placée à 6,95% en juin 2015.

Dans le contexte de l’éloignement prolongé du président gabonais Ali Bongo de la gestion des affaires publiques pour des raisons de santé et d’une communication peu rassurante des autorités locales sur la réalité du mal dont il souffre, quelle est la réaction des créanciers du Gabon sur les marchés financiers internationaux ? Quelle peut en être la conséquence ?

Cours des obligations en baisse et prime de risque en hausse

L’augmentation du risque sur les dettes obligataires du Gabon, qui était déjà perceptible sur l’évolution du cours et des taux d’intérêts des obligations listées au LSX en raison de la récurrence des problèmes de liquidité du pays, s’est considérablement accrue depuis l’annonce des problèmes de santé dont est victime Ali Bongo.

L’hospitalisation du Président gabonais à Riyad (Arabie-Saoudite) et l’incertitude sur la situation institutionnelle du pays ont suffi pour que s’envole la prime de risque[2] sur les eurobonds gabonais à Londres (ISIN[3] : XS1245960684 et XS1003557870). Depuis cette annonce, le taux de rendement des obligations du Gabon et plus particulièrement celui de l’eurobond de 700 millions USD échéance juin 2025 (XS1245960684) est le plus élevé parmi les rendements des obligations des pays africains listées au LSX. L’eurobond gabonais a atteint 8,79% de rendement le 13 novembre, puis 9,12% le 14 du même mois (cf. tableau en dernière page).

Loin d’être une bonne nouvelle, cette augmentation du taux de rendement des investisseurs traduit en fait une baisse du cours des eurobonds gabonais en raison d’une corrélation inverse (cours obligataire/rendement) mais surtout d’un accroissement de la prime de risque sur les obligations gabonaises (+1,84% le 13 novembre et +2,17% le 14 novembre). En d’autres termes, la dette obligataire émise par le Gabon s’échange sur les marchés très largement en dessous de sa valeur d’émission (en dessous du pair).

Evolution du cours de l’eurobond échéance 2025 du Gabon entre le 6 et le 13 novembre[4]

 

Les primes de risques (benchmark spread de 594 points de base[5] actuellement ; taux de référence à 2,45% en zone CEMAC) des obligations émises par le Gabon repartent à la hausse depuis le 6 novembre dernier. Par conséquent, le rendement obligataire des eurobonds (échéances 2024 et 2025) se rapprochent des moyennes hautes depuis l’émission (9,15 – 9,22, les plus hauts étant à 12,50 environ).

Les tensions résultantes de cette nouvelle instabilité politique incitent quelque peu les investisseurs (bailleurs de fonds) à alléger ou solder leurs expositions aux dettes gabonaises, le risque crédit étant plus important. Par ailleurs, il convient de noter que les obligations échues en 2025 (émises en 2015) n’ont pas, pour le moment, été d’un grand intérêt pour les investisseurs.

L’accroissement du coût de la dette comme conséquence probable

En général, la dépréciation par le marché du cours des eurobonds peut s’expliquer par 3 phénomènes :

–          L’anticipation par le marché d’un risque de défaut plus élevés de l’émetteur de la dette obligataire ;

–          L’accroissement de l’inflation ;

–          L’augmentation des taux d’intérêt.

Dans le cas du Gabon, la première hypothèse apparait comme la plus plausible. Plus que par le passé, les investisseurs en obligations estiment que la maladie du Président gabonais et la crise institutionnelle qu’elle pourrait engendrer représente un risque important susceptible d’empêcher le Gabon d’honorer ses engagements vis-à-vis du marché. Il s’agit principalement du risque politique qui prend une place particulière dans la mesure des risques quand il s’agit des obligations souveraines.

L’accroissement rapide du taux de rendement (yield) des eurobonds du Gabon confirme également les risques que présente la dette obligataire gabonaise dans le contexte actuel. En effet, plus le rendement d’un instrument financier est élevé, plus grand est le risque qu’il présente pour l’investisseur (couple risque/rentabilité).

Comme conséquence directe de la situation institutionnelle ayant court au Gabon et des événements plus ou moins graves qui pourraient survenir, le pays devrait voir son coût du crédit s’accroitre. Dans les conditions actuelles, si le Gabon devait émettre un nouvel eurobond sur les marchés internationaux, il serait difficilement placé en dessous de 10% de taux d’intérêt nominal contre seulement 6,375% pour la même opération en 2013 (soit un coût de la dette en hausse de 3,625%).

En outre, si l’absence d’Ali Bongo devait durer plusieurs mois comme déjà annoncé par plusieurs médias sans pour autant que des mécanismes de transitions clairs et conformes aux dispositions constitutionnels n’étaient mis en place, les agences de notation devraient l’une après l’autre dégrader, encore, la note de crédit du Gabon. Cela pourrait avoir un impact important sur l’économie nationale, y compris sur les programmes d’ajustement en cours avec le Fonds monétaire international (FMI).

Taux de rendement des eurobonds des pays africains au 13 novembre 2018

 

* Mays Mouissi est analyste économique et spécialiste en sécurité financière. Originaire du Gabon, il est l’auteur de plusieurs études économiques sur les pays francophones d’Afrique.

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[1] Cours de référence : 1 XAF = 0,0017 USD

[2] Supplément de rendement exigé par un investisseur afin de compenser un niveau de risque supérieur à la moyenne.

[3] Code d’identification unique des valeurs mobilières dans le système international

[4] Source : businessinsider.com

[5] 1 point de base (basis point ou Bp en anglais) = 1/10 000

 
GR
 

2 Commentaires

  1. Ondo B dit :

    Mays Mouissi 1 – 0 Hugues Mbadinga Madiya

    Le DG de la Dette expliquait ici que la disparition d’Ali Bongo n’avait pas d’impacts sur notre dette. Voilà que l’autre est venu faire la démonstration du contraire chiffres à l’appui.

    Mays Mouissi a ne Fam.

  2. Arondo Nkana dit :

    Merci à Mays Mouissi pour cet éclairage pédagogique.

    Clair, net et précis.

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