Prétextant vouloir, tout à la fois, permettre aux électeurs de faire des choix éclairés et lutter contre les candidatures régionalistes, le gouvernement sénégalais a initié une loi attentatoire à libre concurrence électorale.

Des opposants Sénégalais résidant en Côte d’Ivoire manifestent, devant le Consulat du Sénégal à Abidjan, pour dénoncer le «parrainage des candidatures aux élections». © Apanews

 

Sur le continent, particulièrement en Afrique centrale, la présidentielle sénégalaise de 2012 hante encore les esprits. L’on se souvient de l’exceptionnelle mobilisation des forces vives contre le pouvoir d’Abdoulaye Wade. L’on a encore en mémoire le ralliement de 12 candidats et du chanteur Youssou Ndour à Macky Sall. Il était alors question de sauver la démocratie. Il s’agissait de s’opposer à la confiscation puis à la «dévolution monarchique du pouvoir». Manifestement, la victoire de l’actuel président sénégalais n’était pas la traduction d’une adhésion profonde. Elle était avant tout le résultat d’un rejet et d’une ferme volonté d’ancrer la démocratie dans le corps social.

Verrouiller le jeu politique

Quelques années plus loin, le principal bénéficiaire du meccano conçu par le Mouvement du 23-juin et le collectif Y’en a marre donne le sentiment d’avoir tout oublié. Sa gouvernance se singularise par une dérive autoritaire voire dictatoriale. Accusations diverses, atteintes au droit à la liberté d’expression et arrestations arbitraires sont devenus le quotidien des Sénégalais. Après le maire Bara Gaye en 2013, l’ancien ministre Amadou Sall en 2016, la chanteuse Amy Collé Dieng en 2017, le tour est revenu au maire de Dakar, Khalifa Sall, et son collègue de Mermoz-Sacré-Cœur, Barthélemy Diaz, d’avoir des démêlés avec la justice. N’en déplaise aux bien-pensants et gogos de tout poil, cela fleure bon l’instrumentalisation. Au-delà, tout cela dénote d’une volonté de verrouiller le jeu politique, l’objectif ultime étant de s’assurer une victoire à la prochaine présidentielle. Est-ce aussi le but de la récente adoption d’une loi sur les parrainages ? Nombreux l’affirment.

Objet d’une vive controverse, une loi, récemment adoptée par le Parlement sénégalais, subordonne la validation des candidatures aux élections à l’obtention préalable d’un nombre précis de parrains au sein de la population. Pour la présidentielle, on parle de 0,8% du corps électoral. Autrement dit, sur le fondement des données actuelles, les éventuels postulants à la magistrature suprême devront obtenir pas moins de 52 000 signatures, réparties sur au moins sept des 14 régions du pays. Les défenseurs de cette réforme disent vouloir permettre aux électeurs de faire des choix éclairés. Ils affirment œuvrer à empêcher les candidatures régionalistes. De leur point de vue, les parrainages allègeront l’organisation des scrutins, minimisant ainsi les risques de fraude.

Constructions juridiques

Seulement, à y regarder de près, la loi sur les parrainages porte en elle les germes d’un recul démocratique : de nature à limiter la pluralité des candidatures et, partant, des offres politiques, elle devrait grever les finances des partis politiques. Les candidats auront-il assez de ressources pour parcourir le pays afin de collecter les signatures ? Pourront-ils ensuite financer les campagnes électorales ? N’est-ce pas une façon de les brider ou en limiter l’intensité ? Fallait-il vraiment recourir au parrainage citoyen ? Ne pouvait-on pas retenir le principe et se limiter aux seuls élus ? Même si le parrainage citoyen figurait déjà dans la loi sénégalaise, il ne concernait pas les candidats investis par des partis légalement reconnus. Pourquoi fallait-il l’étendre à eux ? Il y a là comme une négation du rôle des partis dans la sélection des élites politiques. Au-delà, il y a comme un refus de reconnaitre leur contribution à l’expression de la volonté collective.

Macky Sall pourra toujours affirmer être, lui aussi, soumis à la loi. Mais, cela ne fera jamais oublier une réalité : du haut de ses fonctions, il dispose de l’appareil d’Etat. Contrairement à ses potentiels adversaires, il n’aura pas d’effort à fournir pour collecter les signatures, préfets et gouverneurs pouvant toujours s’en charger. Autrement dit, il est aujourd’hui le seul candidat à ne pas redouter de ne pouvoir réunir les parrainages nécessaires. Veut-il être seul en lice ? Quand bien même cela semble improbable, il y a un risque évident. Surtout dans un contexte où la justice couvre des assassinats politiques. Eliminer des candidats par des constructions juridiques nuit à la pluralité et à la diversité.  Or, la richesse d’une élection tient aussi à la diversité des offres politiques, elle-même tributaire de la pluralité des candidatures. Permettre aux électeurs de choisir en connaissance de cause est un souci louable. Lutter contre le sectarisme aussi. Mais, en aucun cas, cela ne doit se faire au détriment de la libre concurrence électorale, marqueur essentiel en démocratie.

 
GR
 

2 Commentaires

  1. gabomamama dit :

    Quand ce monsieur est venu à l’investiture d’Ali Bongo, alors très mal élu, il avait déjà choisi son camp, celui des présidents fossoyeurs de la démocratie en Afrique. Wade savait certainement de quoi il parlait quand il disait qu’il a du mal à trouver qui peut le succéder dans son camp.

  2. Paul Bismuth dit :

    Dans beaucoup de pays, les candidatures à la magistrature suprême sont soumises à la règle des parrainages (soit d’élus, soit de citoyens). Chaque système de parrainages comporte ses forces et ses faiblesses. Par exemple pour le parrainage d’élus on peut évoquer la pression que les élus subissent de la part de l’appareil de leur parti et qui fera qu’ils seront moins enclin à donner leur onction à un candidat concurrent de leur champion. En France, Marine le Pen en 2017 a eu quelques difficultés à obtenir des parrainages d’élus (le pays applique le système des parrainages d’élus et demandent le soutien d’au moins 500 élus), alors qu’on sait pertinemment qu’un système de parrainages citoyens ne lui aurait donné aucune sueur froide ( il n’y a qu’à voir ses scores aux scrutins présidentiels de 2012 et de 2017 pour s’apercevoir que le FN est la troisième force politique de l’Hexagone, au moins, après La République En Marche et Les Républicains). S’agissant des parrainages citoyens, la difficulté se pose surtout pour les petits candidats dans l’ancrage au sein de la société est moins grand (l’argument financier ne joue pas systématiquement). Le but de ces deux systèmes de parrainages est d’arriver à écarter le plus possible les candidatures fantaisistes. Au regard de tout cela, je ne vais donc pas cracher tout de suite sur le parrainage citoyen. Mais j’avoue qu’un seuil minimal à 52000 signatures réparties dans au moins la moitié des régions (soit 7 sur 14) ça aboutira à un élagage incroyable. Et ce serait effectivement plus « démocraticide » qu’en faveur de la démocratie et de la qualité de l’élection. Avec tout ce que l’article rapporte, on peut dire que Macky sall a bien appris aux cotés de son ancien supérieur (Wade). Comme quoi des personnalités issues d’une même formation politique ont toutes les mêmes repères. Que cela fasse méditer tous ceux qui présentent l’alliance de ces anciens barons du Pdg (dont certains sont sortis de leur pseudo maquis pour s’allier à nouveau à leur ancien parti et préparer les legislatives) comme salvatrice pour notre pays. On ne peut vraiment pas faire du neuf avec du vieux, visiblement.

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