93 % de marchés illégaux en 2025 : quand le gré à gré flingue la transparence publique

Le Conseil des ministres s’alarme du non-respect du Code des marchés publics, révélant que plus de 93 % des marchés ont été attribués en 2025 sans appel d’offres. Cette dérive, en violation flagrante de l’article 71 dudit code, remet en question la crédibilité des réformes passées et actuelles censées moraliser la commande publique.

Plus de 93 % des marchés passés hors appel d’offres en 2025 au Gabon, en violation flagrante de l’article 71. © Freepik
C’est un chiffre qui jette une ombre sur la gouvernance publique au Gabon. Selon une communication du ministre d’État à l’Économie et aux Finances présentée lors du Conseil des ministres du 30 mai 2025, «93,25 % des marchés publics, en valeur, ont été conclus par entente directe depuis le début de l’exercice budgétaire en cours». Une pratique qui contrevient gravement aux dispositions de l’article 71 du Code des marchés publics, lequel fixe le seuil maximal de ce mode dérogatoire à 15 %, sauf cas de force majeure dûment justifié.
Si le Conseil a exprimé sa «vive préoccupation», il n’en demeure pas moins que cette réalité traduit une banalisation des violations réglementaires. Elle souligne l’échec des mécanismes de contrôle censés garantir la transparence, la concurrence loyale et la bonne utilisation des ressources publiques.
Un article 71 piétiné, un système de régulation en échec
La lettre de la loi est pourtant claire. L’article 71 du Code des marchés publics établit que l’entente directe ne peut être pratiquée que dans la limite de 15 % de la valeur totale des marchés passés par une entité publique durant un exercice budgétaire. Cette dérogation exceptionnelle ne peut être étendue que sous réserve d’un avis formel de l’Autorité de régulation et en cas de force majeure reconnue.
Or, aucun événement d’urgence nationale n’est venu justifier un tel contournement massif de la procédure d’appel d’offres. Ce dépassement n’est donc pas accidentel, mais structurel, et semble découler d’une tolérance administrative injustifiable. Il interroge aussi sur l’efficacité, voire la sincérité, des réformes engagées dans la chaîne de passation des marchés publics depuis 2020.
La DGMP, une autorité désarmée face à l’entente directe généralisée
En effet, en mars 2020, les décrets n°00026/PR/MEF et n°00027/PR/MEF avaient été salués comme une avancée majeure dans la moralisation de la commande publique. Ils avaient institué respectivement la réorganisation de la Direction générale du budget et des finances publiques (DGBFP) et la création d’une Direction générale des marchés publics (DGMP), présentée comme autonome, indépendante et gardienne de l’orthodoxie en matière de marchés publics.
Leur mission était triple : veiller à la conformité juridique des procédures, limiter l’usage du gré à gré et centraliser le suivi de l’exécution des contrats publics. Délivrance des avis de non-objection, contrôle de la régularité des offres, supervision des analyses techniques… tout semblait en place pour verrouiller le système.
Mais cinq ans plus tard, ces dispositifs paraissent vidés de leur substance, contournés ou rendus inopérants. Les garde-fous n’ont pas résisté à l’opacité, ni aux intérêts particuliers. La DGMP, censée être un rempart contre les dérives, n’a pas empêché une explosion de l’entente directe dans un silence administratif inquiétant. L’entente directe est devenue la norme, non plus l’exception. Elle nourrit un climat de suspicion sur l’attribution des marchés, exclut les PME locales des appels d’offres, et alimente une économie de rentes et de favoritismes.
Au-delà du non-respect de la loi, cette situation envoie un signal préoccupant à la communauté nationale et internationale. Pour les entreprises, notamment les investisseurs étrangers, l’absence de transparence affaiblit la prévisibilité du cadre des affaires. Pour les citoyens, elle constitue une atteinte grave à l’intégrité de la dépense publique, dans un contexte de restrictions budgétaires et d’attentes sociales croissantes.
Face à cette situation, le Conseil des ministres a réaffirmé «la nécessité de renforcer la discipline administrative et d’appliquer rigoureusement les règles relatives à la commande publique». Il a aussi appelé à une fluidification des procédures, pour concilier respect des normes et efficacité. Mais à ce stade, ces déclarations prennent des allures de vœux pieux. Car le mal est déjà enraciné.

1 Commentaire
M. Ogandaga, alors ministre , dénonçait déjà cette inflation de marchés passés de gré à gré en méconnaissance des dispositions du code des marchés publics.
Le Gouvernement peut dire qu’il est préoccupé, mais ce qu’on attend surtout de lui est qu’il saisisse la justice afin que des sanctions soient prises. Car, l’autre nom de cette pratique dévoyée du gré à gré est la corruption. Il y a des personnes, parmi celles qui sont impliquées dans les processus d’attribution des marchés publics, qui ont très certainement des participations dans des entreprises attributaires. Ainsi, la prise illégale d’intérêt est une réalité et une réalité nuisible à l’efficacité de la commande publique (le risque d’avoir une entreprise incompétente est accru , le risque de surfacturation augmente, le risque d’affaiblissement accentué du tissu économique va crescendo car ce sont toujours les mêmes entreprise qui sont attributaires des marchés en sachant le rôle que joue ou que peut jouer la commande publique dans le chiffre d’affaires des entreprises et, partant, la croissance économique du pays). Donc, mesdames et messieurs les dirigeants, la plèbe veut moins d’incantation et plus de praxis. Il y a urgence impérieuse.
cordialement