[Tribune] Défaite historique de l’opposition : quelles leçons pour notre jeune démocratie ?

Au lendemain de l’élection présidentielle du 12 avril, le paysage politique gabonais connaît un bouleversement sans précédent. Pour la première fois depuis la fin du monopartisme, l’opposition se retrouve dépourvue de son habituelle légitimité populaire face à un président plébiscité par plus de 90% des suffrages. Michel Ndong Esso*, enseignant de philosophie et analyste politique, examine ce phénomène inédit où un ancien militaire, artisan du coup d’État ayant renversé la dynastie Bongo, célèbre sa victoire dans une liesse populaire jamais vue pour un candidat du pouvoir. À travers cette analyse, l’auteur questionne les causes profondes de cette implosion de l’opposition et s’interroge : un pouvoir sans véritable contre-pouvoir peut-il garantir l’avenir démocratique du Gabon ?

«Or l’histoire nous enseigne qu’un pouvoir sans contre-pouvoir a tendance à se pervertir. Seul l’avenir nous dira si cette défaite historique de l’opposition est une bonne nouvelle pour notre démocratie», dixit Michel Ndong Esso. © GabonReview

Président fondateur de la plateforme Le Sixième Uni, Michel Ndong Esso* est enseignant, diplômé en philosophie politique, analyste et consultant politique. © D.R.
Pour la première fois depuis la fin du monopartisme au Gabon, l’opposition se retrouve en déficit de légitimité populaire au sortir d’une élection présidentielle. Là où Bongo père et fils avaient l’habitude de déployer les forces de l’ordre pour mater la contestation postélectorale, Brice Clotaire Oligui Nguema célèbre sa victoire dans un bain de foule jamais réalisé par un candidat du pouvoir. Avec plus de 90% de suffrages obtenus, il vient d’infliger à ses adversaire la défaite la plus importante de toute l’histoire de l’opposition. Impopulaire et dispersée, cette dernière semble avoir donné les armes au pouvoir pour lui marcher dessus. Et même s’il faut reconnaître qu’Alain-Claude Bilie-By-Nze et compagnie ont combattu à armes inégales, il n’en reste pas moins que cette débâcle fait tache pour la notoriété de ceux qui espèrent incarner la contradiction face au prochain gouvernement. Mais comment expliquer une telle débâcle et quelles leçons en tirer ?
Une opposition impopulaire
L’élection du 12 avril dernier avait la particularité de permettre le retour à l’ordre constitutionnel, après 19 mois passés sous la transition militaire. Une configuration particulièrement favorable à Brice Clotaire Nguema, Président de la transition et principal instigateur du coup d’Etat du 30 août 2023. L’ancien dirigeant de la Garde Républicaine partait avec les faveurs des pronostics face à son principal challenger, un certain Alain-Claude Bilie-By-Nze, dernier Premier Ministre d’Ali Bongo. Comme pressenti, cette opposition prenait rapidement les allures d’un combat entre le bien et le mal, le sauveur et le calomniateur, Bilie-By-Nze ayant été un collaborateur trop zélé d’Ali Bongo pendant les heures les plus sombres de son règne. Pour avoir été le porte-parole du régime lors de la crise postélectorale de 2016, beaucoup lui ont collé l’étiquète d’homme le plus indésirable de la république. Malgré sa démission du Parti Démocratique Gabonais et son mea-culpa, cette étiquète lui est restée collée à la peau. Même avec un talent d’orateur et un charisme hors-pair, l’homme n’a pas pu relever sa côte de popularité. A côtés de ses deux mastodontes, les autres candidats ont eu tout le mal du monde à exister. Dépourvus de moyens financiers conséquents et desservis par l’inexpérience en politique, ils n’ont impacté qu’une faible partie de l’électorat.
Des leaders dispersés
Au-delà de ce qui précède, l’opposition a surtout péché par son manque d’unité. On n’a pas vu cette union sacrée autour du candidat le plus en vue, comme cela se faisait par le passé. Mis à part quelques soutiens isolés, Alain-Claude Bilie-By-Nze est apparu comme un homme seul, abandonné voire renié par les autres poids lourds de l’opposition. Étrangement, Albert Ondo Ossa, Pierre Claver Maganga Moussavou et Jean Remi Yama, pour ne citer que ceux-là, ont tous affiché une certaine indifférence quant à l’issue du scrutin. En plus d’être invisibles dans les causeries des opposants, Ils n’ont donné aucune consigne de vote en leur faveur. Encore plus étrange a été l’attitude solitaire des sept adversaires de Brice Clotaire Oligui Nguema. Il n’y a eu entre eux aucune tentative de rapprochement, pas même une déclaration commune. Bien au contraire, ils ont donné l’impression de faire cavalier seul pendant la campagne électorale. Toute chose qui contraste avec l’approche de l’ancienne opposition radicale.
Par le passé, en effet, l’opposition radicale nous avait habitué à faire bloc derrière le candidat le plus en vue. Cette union sacrée créait un vrai rapport de force face au candidat du pouvoir. Ce fut le cas avec André Mba Obame en 2009, Jean Ping en 2016 et plus récemment Albert Ondo Ossa en 2023. Fort du soutien de ses pairs et de la société civile, le candidat consensuel de l’opposition jouissait d’une certaine légitimité populaire qui le plaçait dans une posture d’outsider.
Une notoriété en question
On le sait, une opposition malmenée dans les urnes aura du mal à jouer les contre-pouvoirs face à un exécutif sérieusement renforcé par la nouvelle constitution. C’est là la grande conséquence de cette débâcle historique. De Paul Mba Abessole à Albert Ondo Ossa, en passant par feux Pierre Mamboundou et André Mba Obame, tous ont gagné leur notoriété dans les urnes. Autrement dit, la légitimité populaire était le socle de leur aura. Même s’ils n’ont jamais accédé au palais Rénovation, ils avaient le mérite de pousser le pouvoir dans ses retranchements, comme en témoignent les nombreux et difficiles contentieux postélectoraux. Or dans la configuration actuelle, aucun leader de l’opposition ne peut se prévaloir de cette légitimité populaire, pas même Alain-Claude Bilie-By-Nze, arrivé deuxième avec seulement 3% des suffrages récoltés. Peut-être que la création d’une formation politique permettra à ce fin stratège de ratisser large en vue des prochaines échéances électorales. Mais cela reste de l’ordre de la spéculation. Quid des autres candidats malheureux ? Que deviendront Joseph Lapensée Essingone et Gninga Chaning Zenaba, les deux grandes révélations de ce scrutin ? Vont-ils inscrire leur engagement dans la durée en lançant chacun sa plateforme politique ? se joindront-ils aux plateformes existantes ? Rien n’est moins sûr.
Reste alors à regarder parmi les opposants recalés à l’élection présidentielle. Parmi eux, Jean Remi Yama se distingue naturellement, fort de sa popularité au sein des organisations syndicales. Certes, le combat politique de l’homme est des plus authentiques qui soient et son opposition farouche au régime Bongo plaide en sa faveur. Mais il traine peut-être aussi une dette morale envers Brice Clotaire Oligui Nguema qui l’a sorti de prison pour en faire un sénateur de la transition. Quant aux autres, ils sont soit trop vieux, soit très peu connus du grand public pour espérer prendre les commandes de l’opposition.
Si les choses restaient en l’état, nous nous dirigerons alors vers une gouvernance sans réelle contre-pouvoirs, d’autant plus que la société civile semble elle aussi avoir été inféodée par pouvoir. Or l’histoire nous enseigne qu’un pouvoir sans contre-pouvoir a tendance à se pervertir. Seul l’avenir nous dira si cette défaite historique de l’opposition est une bonne nouvelle pour notre démocratie.
Michel Ndong Esso*, Enseignant de philosophie, analyste et consultant politique, Président fondateur de la plateforme Le Sixième Uni.

1 Commentaire
Bjr. Morceau au choix » Là où Bongo père et fils avaient l’habitude de déployer les forces de l’ordre pour mater la contestation postélectorale »?
1-Pourquoi ils faisaient cela? Parce qu’ils n’ont jamais gagnés les élections présidentielles à Gabao.
2-Oui l’adhésion populaire étaient avec : Mba Abess, Pierrot de Ndendé, Le chinois d’Etimboué, Amo et tout récemment l’homme de Minvoul.
Une fois ces 2 éléments évoqués nous répondrons à l’analyste que la sociologie politique gabonaise s’est trop accommodé de la pensée unique avec pour caractéristique principale l’appauvrissement des élites et donc l’adhésion populaire à une personne sensée tenir tête au système.
Or, ce même système pour des raisons parfois politico-ésotérique inféode les leaders au Gabon. Du coup on se retrouve comme c’est le cas aujourd’hui avec des connexions inextricables qui fait que tous se tiennent. Conséquences, les candidatures « juvéniles » enregistrées au cour de cette élection témoigne justement de la redevabilité à un quelqu’un ou à un système. Au point que comme vous le dites si bien « Dépourvus de moyens financiers conséquents et desservis par l’inexpérience en politique, ils n’ont impacté qu’une faible partie de l’électorat. Amen.