Quand l’inculture se fait drapeau : Bonaventure Mvé Ondo démonte les mécanismes d’une fierté toxique

Dans une tribune aussi rigoureuse qu’incendiaire, publiée dans Echos du Nord le 16 avril 2025, le philosophe gabonais Bonaventure Mvé Ondo dresse un constat alarmant : celui d’un monde où le savoir n’est plus désiré, où la compétence est suspecte, et où l’ignorance se proclame avec assurance. Un monde où, dit-il, «l’inculture (ou l’ignorance) est aujourd’hui érigée en posture sociale ou identitaire, parfois avec fierté ou mieux comme un drapeau à brandir.»

«L’ignorance n’est plus un déficit à combler, elle devient une posture assumée, une forme de légitimité sociale». © GabonReview

Bonaventure Mvé Ondo est un éminent philosophe et politologue gabonais spécialisé dans l’éducation et la gouvernance universitaire en Afrique. Ancien recteur de l’Université Omar Bongo et cadre dirigeant à l’Agence universitaire de la Francophonie, il a occupé des postes stratégiques dans le développement de l’enseignement supérieur francophone. © lepoint.fr
À contre-courant des enthousiasmes faciles et des proclamations d’«éveil», Bonaventure Mvé Ondo jette un pavé dans la mare de notre époque. Philosophe du doute et des lucides colères, il ne se contente pas de diagnostiquer un malaise : il le nomme, le démonte, le rend visible. Dans une prose à la fois dense et lumineuse, il nous avertit que ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement l’état de notre système éducatif, mais la place même que nos sociétés accordent à l’intelligence, à l’effort de comprendre, à la dignité de penser.
Le savoir renversé, la pensée reléguée, la compétence écartée, le lien affectif sacralisé
Le philosophe décrit une mutation profonde : le recul de la pensée critique, l’effacement des figures savantes, la montée de l’opinion comme valeur suprême. «La visibilité prime sur la pensée, et l’opinion sur la compétence.» À l’ère du zapping et de l’émotion, la parole publique se démocratise, mais au prix d’un appauvrissement du débat.
L’Afrique n’échappe pas à ce basculement. Dans des sociétés à forte tradition orale, la disparition des médiations culturelles aggrave le phénomène. Le Mvet, jadis «épopée initiatique, philosophique et politique», formait à «la maîtrise du langage, l’art de questionner, la patience dans l’apprentissage». Ce modèle lent et exigeant entre en collision avec les normes de la communication instantanée. Résultat ; «la dévalorisation sociale de l’intellectuel.»
La défiance envers le savoir ne se limite pas aux mots : elle structure nos gestes les plus banals. «Il n’est pas rare qu’un individu voulant construire une maison ignore délibérément son propre frère, architecte diplômé, pour se tourner vers un parent chimiste, ‘plus accessible’.» La compétence est ainsi évincée au profit de la proximité affective. Ce glissement, observe Mvé Ondo, alimente «un culte du bricolage intellectuel, une culture de l’à-peu-près érigée en norme.»
On méprise l’expertise, on se méfie de la précision. «Le meeting politique mal organisé, les projets inaboutis, les institutions défaillantes… tout découle d’une même matrice : la défiance à l’égard de l’expertise.»
L’opinion triomphe, l’intellectuel s’efface, l’ignorance habit d’authenticité
Sur les réseaux sociaux, la notoriété devient la mesure ultime. «La légitimité ne repose plus sur la compétence, mais sur la capacité à capter l’attention.» Le professeur devient gênant, le chercheur un homme de livres, inutile : «on confie la direction d’un séminaire académique à un chanteur populaire parce qu’il «mobilise les foules», ou l’animation d’une table ronde scientifique à un influenceur, au motif qu’il «parle bien». La notoriété devient la nouvelle mesure de la valeur. Le savoir devient secondaire, voire encombrant», écrit l’ancien directeur du bureau régional Afrique de l’Ouest de l’Agence universitaire de la Francophonie.
«Celui qui pense est perçu comme inutile» L’effort intellectuel est suspect, la complexité dérange. «L’ego est alors confondu avec le talent, et la médiatisation devient la seule preuve de la valeur d’un individu.»
Un autre danger surgit : celui de l’ignorance revendiquée comme fidélité aux racines. Lire devient «faire le Blanc», parler un français soutenu une trahison. Le discours populiste érige «le vrai peuple» en être d’émotion pure, et disqualifie le savoir, présenté comme un outil de domination étrangère.
«Lire, c’est être hors-sol ; réfléchir, c’est être hautain.» L’école devient un espace d’aliénation, la recherche un luxe vain. «On entre ainsi de plain-pied dans la société de la suspicion cognitive.» La méfiance s’installe face à tous ceux qui cherchent à comprendre : enseignants, chercheurs, universitaires. Et l’on s’enfonce dans un modèle de société où le diplôme ne garantit plus aucune capacité réelle, où l’intelligence est perçue comme une menace.
Revaloriser l’intelligence, réhabiliter la pensée
Face à ce renversement, Bonaventure Mvé Ondo appelle à «réaffirmer que le savoir n’est pas un privilège, mais un bien commun». Il ne s’agit pas d’opposer les savoirs scientifiques aux traditions locales, mais de les articuler, de construire des ponts «entre les savoirs traditionnels ou endogènes et scientifiques, entre l’analyse critique et l’expérience vécue, entre la mémoire et l’avenir.»
Il y va de la souveraineté même de nos sociétés. «Le vrai développement commence toujours par une révolution mentale», souligne le penseur gabonais. Il faut refuser cette époque où «on revendique de ne rien savoir», et où la médiocrité se déguise en authenticité. La reconquête du savoir est une urgence politique, culturelle et existentielle, martèle le professeur de philosophie comparée, spécialiste de l’oralité, des politiques scientifiques et des questions de gouvernance.

1 Commentaire
@ GR
Cet article est si édifiant que j’émettrai le souhait que le président de la République fasse siennes, ces réflexions profondes à l’heure où il doit opérer les choix stratégiques de composition de son équipe de travail pour les sept prochaines années.
En effet, il est temps d’en finir avec les enfumeurs de la République, aux états de service qui n’ont consisté qu’à se vassaliser à la hiérarchie sans plus, et qui par l’absurdité de la fonction publique nommée l' »Avancement automatique », n’ont en réalité rien apporté à l’essor du pays. Ces hérauts des chefs, qui ne sont comptables de rien et qui se cachent derière les supposés ordres (ou non ordres) de leur hiérarchie, pour ne rien faire (ou en faire en pire, plus qu’ils ne devrait), mais plutôt de bénéficier, toute honte bue, des avantages (4×4 ritulents…) des postes qu’ils ont usurpés par malice.
Assez de ces « pseuo-influenceurs » qui se sont vus propulsés aux arcanes du pouvoir, mais qui dans l’épreuve des faits, se sont révélés incapables de proposer et mettre en place des solutions volontaristes viables, acceptables, et réalisables dans le temps! Car, autant la famille sert de modèle social humain pour les jeunes générations, autant pour ces derniers, les promotions dans la vie publique constituent un phare pour leur aefficience professionnelle future. Ainsi (et je rejoins le philosophe), les faiblesses de le choix des promus, par clientélisme (sexo-ethno-ésotéro-…), conduisent insidieusement et inévitablement à un dégoût de tout travail de recherche de la connaissance, puisque n’aboutissant plus dans les faits à la l’élevation du connaisseur et du méritant. La solution de facilité: ne rien faire et s’enfoncer dans les réseaux sociaux, ou suivre les chemins détournés qui conduisent vers, ou des pseudo-connaissances qui ne sont pas utiles au développement du pays, ou vers le verbiage politique creux, avec pour supports, des pseudos-associations à buts flous, mais qui ne servent qu’à attirer l’attention du « Roi ».
En ce jour de « Fête du Travail », nous devons sans tarder nous rappeler qu’aucun déveleppement au monde n’a jamais aboutit sans un travail acharné, chacun dans un domaine utile. Il faiile replacer la valeur « Travail », au centre de nos vies, nonobstant les difficulés eu égard au manque de structures et d’infrastructures.
Ce septennat doit être le SEPTENNAT DES TECHNOCRATES, ou encore des Batisseurs Vrais, tellement il y a des chantiers-défis à relever pour notre essor vers la félicité!
Patriotiquement Vôtre!