Ibogaïne : le Texas débloque $ 50 millions – Le Gabon alerte sur un cas manifeste de biopiraterie

Alors que le Texas vient d’injecter 50 millions de dollars dans la recherche sur l’ibogaïne, molécule extraite d’une plante sacrée du Gabon, aucune réaction officielle ne vient du pays d’origine. Entre brevets américains, silence politique gabonais et mobilisation internationale d’ONG, le cas de l’iboga s’impose désormais comme un exemple flagrant de biopiraterie contemporaine – et un test décisif pour la souveraineté culturelle, scientifique et économique du Gabon.

Une molécule, deux mondes : l’un partage, l’autre s’approprie. © GabonReview
Alors que l’État du Texas vient d’allouer 50 millions de dollars à des essais cliniques sur l’ibogaïne, molécule issue de l’iboga, plante sacrée du Gabon, le silence de l’État gabonais face à ce qui s’annonce comme l’un des plus grands cas de biopiraterie moderne interroge.
Ce financement public inédit marque une nouvelle étape dans l’intérêt occidental pour les propriétés thérapeutiques de cette plante, longtemps ignorée ou méprisée, mais aujourd’hui convoitée pour son potentiel à traiter addictions, stress post-traumatique et lésions neurologiques. À l’invitation des organisateurs de la conférence Psychedelic Science 2025 (Denver, juin 2025), une délégation internationale portée par le «Fond de Conservation des Médecines Indigènes» (IMCF) et l’ONG Gabonaise Blessings of the Forest (BOTF) se rendra sur place afin de défendre les droits des communautés traditionnelles gabonaises, le respect du Protocole de Nagoya, et dénoncer une appropriation culturelle et pharmaceutique d’ampleur mondiale.
Des racines africaines… des brevets américains
Si les États-Unis découvrent aujourd’hui l’ibogaïne comme une solution prometteuse, c’est en réalité grâce à un militant : Howard Lotsof, ancien toxicomane new-yorkais, qui fut le premier à faire connaître dans les années 1980 le potentiel de cette molécule comme traitement de la dépendance. Moins connu du grand public : en 1987, Lotsof a personnellement supplié le président gabonais de l’époque, Omar Bongo Ondimba, de lui fournir un stock significatif d’iboga, afin de lancer un vaste programme de recherche scientifique aux États-Unis. Ce stock fut accordé, sans qu’aucun accord formel ou retour ne soit garanti au Gabon.
Résultat : les États-Unis ont obtenu plusieurs brevets sur l’ibogaïne, sans jamais reconnaître ni indemniser le Gabon ou les communautés traditionnelles détentrices des savoirs sur cette plante. Aujourd’hui, l’iboga du Gabon est et restera interdit sur le sol américain, sous prétexte de «protéger la biodiversité gabonaise», tandis que la recherche se tourne vers l’ibogaïne de synthèse, produite industriellement, sans aucune retombée économique pour le pays d’origine. Ce processus représente, selon BOTF, un cas manifeste de biopiraterie doublé d’un détournement de propriété intellectuelle et spirituelle.
Aux origines de l’inspiration américaine : un chercheur allemand au Gabon
Il est aussi important de souligner que Howard Lotsof lui-même s’est fortement inspiré des travaux pionniers du professeur Otto Gollnhofer, anthropologue allemand, auteur de plusieurs ouvrages de référence sur les usages rituels et thérapeutiques de l’iboga chez les Mitsogho du Gabon. Les fondements de la recherche occidentale sur l’iboga reposent donc directement sur les pratiques des communautés gabonaises, documentées depuis plusieurs décennies. Aucun crédit, aucun bénéfice, aucun mécanisme de rétrocession n’a jamais été mis en œuvre.
Le Gabon absent, malgré des alertes répétées
Malgré les nombreuses alertes et propositions émises par BOTF depuis plus d’une décennie, notamment à travers des courriers officiels adressés aux ministères concernés et un courrier envoyé en février 2025 au Chef de l’État gabonais, l’État gabonais reste dramatiquement silencieux.
Aucun cadre national de protection du patrimoine immatériel et des savoirs traditionnels liés à l’iboga n’a été mis en place, alors même qu’une médecine révolutionnaire est sur le point d’être déployée à l’échelle mondiale — sans que le Gabon, berceau de cette plante et de ses usages traditionnels, n’en tire le moindre bénéfice.
«Si rien n’est fait, le Gabon perdra tout : sa souveraineté sur l’iboga, sa place dans la filière thérapeutique, et la reconnaissance de ses communautés comme détentrices légitimes de ces savoirs. Un médicament va sauver des millions de vies, et le pays qui en est à l’origine n’aura même pas son nom sur l’étiquette», alerte Yann Guignon, président de BOTF.
Offensive diplomatique : Genève et Denver
Face à l’inaction locale, BOTF poursuit son combat à l’international. En parallèle de sa participation aux USA à la conférence Psychedelic Science 2025, l’ONG sera présente la semaine prochaine à la 51ᵉ session intergouvernementale de l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) à Genève, où elle portera devant les États membres le cas emblématique de l’iboga, exemple criant d’un système international à deux vitesses, où les pays riches s’approprient les savoirs des pays du Sud sans partage ni reconnaissance.
Un message vidéo de Maître Moubeyi Bouale, Président de l’Association Nationale Maghanga Ma Nzambé, sera diffusé à Denver pour interpeller directement l’opinion publique américaine et les laboratoires pharmaceutiques, leur rappelant que l’éthique ne se mesure pas en dollars ni en brevets, mais dans la capacité à coopérer avec respect et loyauté.
Le temps presse
À l’heure où les investissements publics américains se comptent en dizaines de millions de dollars, le Gabon risque de sortir de l’histoire de l’iboga par la petite porte, celle des peuples qu’on a pillés, oubliés, et réduits au silence. Pourtant, la voix des ancêtres résonne encore dans la forêt, et celle des vivants commence à se faire entendre.

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