Le président Oligui Nguema s’apprête à transformer le mouvement des Bâtisseurs en parti politique lors d’une Assemblée générale le 5 juillet 2025. Cette mutation soulève une question stratégique cruciale : prendra-t-il personnellement les rênes de cette formation ou déléguera-t-il cette responsabilité à un proche collaborateur ? Entre la tradition gabonaise du cumul des fonctions présidentielles et partisanes et l’exemple des démocraties modernes où les dirigeants maintiennent une distance avec leur parti, ce choix pourrait déterminer la nature du renouveau démocratique promis. Régulier dans GabonReview, l’analyste politique Michel Ndong Esso décrypte les enjeux de cette décision déterminante.

Qui va diriger le futur parti présidentiel ? En politique, le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal. © GabonReview (montage)

 

Président fondateur de la plateforme Le Sixième Uni, Michel Ndong Esso* est enseignant, diplômé en philosophie politique, analyste et consultant politique. © D.R.

Sauf rebondissement de dernière minute, Brice Clotaire Oligui Nguema va lancer sa formation politique dans les prochains jours. L’Assemblée générale des Bâtisseurs prévue ce 05 juillet 2025 devra acter cette décision ô combien importante pour l’avenir du Gabon. Même si en face, l’opposition tente de discréditer ce qu’elle qualifie de positionnement partisan du Chef de l’Etat, en plus de contester la légalité de cette initiative. Mais pendant que l’opinion se perd dans les interprétations de l’article 82 du code électoral, une question taraude particulièrement les esprits: qui va diriger le futur parti présidentiel ?

Deux options s’offrent à Brice Clotaire Oligui Nguema, chacune avec ses forces et ses faiblesses. La première, inscrite dans la tradition des partis au pouvoir au Gabon, est de prendre lui-même les commandes du parti. La seconde, inspirée de la tendance en vogue dans les démocraties avancées, consiste à confier la gestion du parti à l’un de ses proches collaborateurs.

Cumuler les fonctions étatiques et politique

Fort de sa victoire écrasante à la dernière élection présidentielle, Brice Clotaire Oligui Nguema ne manque pas d’argument à faire valoir pour occuper lui-même le trône de son parti politique. Ce scénario s’inscrit d’ailleurs dans la longue tradition des partis au pouvoir au Gabon. En effet, du BDG de Léon Mba en 1961 jusqu’au PDG d’Ali Bongo en 2023, le Président de la République était de facto propulsé à la tête de son parti. Consacré par les statuts du PDG, ce cumul de fonctions semblait servir son titulaire. Il lui garantissait la loyauté indéfectible des groupes parlementaires PDG et des hauts fonctionnaires cooptés dans les rangs du parti. Ayant sous sa botte les membres du parlement et du gouvernement, le président du parti disposait théoriquement de tous les leviers nécessaires à la réussite son mandat à la tête de l’Etat.  Mais au lieu de cela, le cumul des fonctions étatique et politique a plutôt contribué à faire du parti un démembrement de l’Etat. Sous Bongo père, par exemple, le financement des organes politiques était entièrement assumé par le Trésor public et la carte d’adhésion au PDG ouvrait les portes à tous les services de l’Etat. En plus d’être gracieusement rémunérés par le contribuable, les cadres du parti avaient le statut de dignitaires de la République. Pas étonnant que la corruption, l’impunité et les détournements de fonds aient atteint leur paroxysme dans ce contexte.

S’il choisit lui aussi de cumuler les fonctions étatique et politique, Brice Clotaire Oligui Nguema devra veiller à maintenir intacte la démarcation entre son parti et l’Etat, au risque de retomber dans les mêmes travers que ses prédécesseurs. Mais le Président de la République a peut-être une autre carte à jouer.

Céder les commandes du parti à un proche

Pour insuffler une dynamique nouvelle à notre démocratie, Brice Clotaire Oligui Nguema peut choisir d’emboiter le pas à John Rawlings, son modèle par excellence. Au moment de solliciter les suffrages des Ghanéens en 1992, le successeur de Hilla Limann lance le Congrès démocratique national. Mais au lieu d’en prendre les rênes, il place John Dramani Mahama. Ce qui ne l’a pas empêché de remporter l’élection présidentielle dans la foulée.

Le successeur d’Ali Bongo peut également suivre la voie d’Emmanuel Macron, fondateur en 2016 du mouvement En marche dans l’optique de la campagne présidentielle française. Elu à l’Elysée quelques mois plus tard, il quitte les commandes du mouvement au profit d’un certain Gabriel Attal. La suite, nous la connaissons. Il sollicitera avec succès un deuxième mandat en 2022. Il existe à travers le monde une multitude d’exemples où les Chefs d’Etat renoncent à diriger un parti politique. S’il s’inscrit dans ce sillage, Brice Clotaire Oligui Nguema fera certainement taire une bonne partie de ses détracteurs. En cédant les commandes du parti à l’un de ses proches, il réussira à préserver l’impartialité de la fonction présidentielle en plus d’éviter le cumul des fonctions étatique et politique. Une manière pour lui de rester au-dessus de la mêlée, même si cela reviendrait à faire baisser d’un cran son influence sur la scène politique.  Mais c’est peut-être le prix à payer pour apaiser les tensions autour de la création du parti présidentiel.  Comme disait à Machiavel : En politique, le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal.

En fin de compte, la tâche n’est pas si facile que ça pour le Président de la République fraichement élu. Il lui faut trouver un équilibre entre la nécessité d’exercer un control sur les activités du parti et la tentation d’être responsable de tout, quitte à devoir tout assumer aussi.  Et quelle que soit l’option, qu’il prenne lui-même les commandes du parti ou qu’il en donne la responsabilité à un collaborateur, Brice Clotaire Oligui Nguema sait que le choix des hommes autour de lui est un élément déterminant pour le renouveau démocratique tant souhaité.

Par Michel Ndong Esso, analyste politique

 
GR
 

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