Dans sa dernière Note de conjoncture, la Banque mondiale met au jour une anomalie insoutenable : le Gabon, sanctuaire forestier de la planète, voit son immense capital naturel échapper à toute valorisation économique réelle. Ses forêts capturent le carbone du monde, mais son peuple, lui, reste captif de la pauvreté. Analyse d’un déséquilibre structurel entre générosité écologique et silence budgétaire.

Le Gabon stocke le carbone du monde, mais ne transforme pas son effort en revenu. GabonReview

 

Au cœur de l’Afrique équatoriale, le Gabon étend ses forêts comme un manteau vert qui enveloppe 90 % de son territoire. Ce miracle biologique, salué par les climatologues du monde entier, est pourtant un casse-tête économique. Car si la nature y prospère, la richesse, elle, n’irrigue pas les comptes publics. La Banque mondiale en dresse un constat lucide : le pays protège ce que la planète consomme… mais sans rémunération.

Un trésor planétaire sans retour

C’est un chiffre à donner le vertige. Selon la Banque mondiale, les forêts gabonaises ont capté près de 30 milliards de tonnes de CO₂ en 2020, soit 74,7 milliards de dollars de valeur estimée, un montant supérieur à trois fois le PIB national. Et pourtant, cette contribution écologique exceptionnelle n’a aucune traduction comptable ni fiscale. «Cette valeur n’est pas capturée par le pays, ce qui représente une perte économique massive», avertit le rapport (p.6).

Le paradoxe est donc total : le Gabon incarne la vertu climatique, mais il le fait à perte. Il stocke le carbone du monde, mais ne transforme pas son effort en revenu. Il rend un service écologique universel, sans mécanisme de compensation structuré. Un puits de carbone… à fonds perdus.

Ce décalage entre richesse naturelle et stagnation sociale se lit dans un indicateur essentiel : l’épargne nette ajustée, négative de -3 % en 2020. Autrement dit, le pays consomme plus de richesse qu’il n’en génère, même en protégeant ses forêts.

Le constat est implacable : les actifs forestiers renouvelables par habitant ont chuté de 51 %, le capital naturel non renouvelable de 33 %, tandis que le capital humain reste inférieur à la moyenne des pays comparables. L’écosystème est stable, mais le modèle socioéconomique vacille. Et pour cause : ni le bois, ni la biodiversité, ni les services écosystémiques ne sont suffisamment valorisés.

Les exportations de bois restent cantonnées à la première transformation ; l’écotourisme demeure embryonnaire ; les ressources comme les plantes médicinales, la viande de brousse ou les services de rétention des sols ne figurent qu’en marge des bilans économiques. Le Gabon garde une forêt vivante, mais voit une économie stagnante.

Le prix de la vertu ou les coûts du silence

La Banque mondiale esquisse pourtant des pistes. Elle appelle à un système international de compensation plus robuste, plus équitable, capable de récompenser les pays qui protègent effectivement leurs forêts. Mais elle reconnaît aussi que, pour l’heure, cela reste une «aspiration». L’initiative CAFI, les mécanismes REDD+ ou les financements verts volontaires sont insuffisants, fragmentés, parfois incohérents.

Le Gabon, lui, avance seul. Il a stabilisé son couvert forestier, misé sur la transformation du bois, investi dans des aires protégées, et tenté de verdir sa diplomatie. Mais sans un marché mondial du carbone structuré et rémunérateur, ces efforts resteront à la merci des arbitrages budgétaires et des urgences sociales.

À terme, la question devient politique : combien de temps un pays peut-il protéger une forêt mondiale sans que le monde ne paie ? Et surtout : jusqu’à quand les Gabonais accepteront-ils que leur prospérité soit sacrifiée sur l’autel d’un climat qu’ils sauvent pour d’autres ?

Le Gabon ne manque ni d’arbres, ni d’ambition, ni de lucidité. Il manque d’un levier. D’un outil économique qui donnerait un prix à ce qui, jusqu’ici, n’a de valeur que morale. Car un pays peut être riche de chlorophylle, mais pauvre de justice. La transition verte ne sera durable que si elle est aussi équitable. Et il serait temps que ceux qui consomment l’air que d’autres filtrent… s’en acquittent enfin.

 
GR
 

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