Dans une lettre ouverte adressée au président de la République, le Pr. Pamphile Mebiame-Akono, fils de Makaya et universitaire gabonais, exprime son inquiétude face à la suspension des bourses d’études vers l’Amérique du Nord. Revenant sur son propre parcours, il plaide pour le maintien de ces opportunités d’excellence, au nom de la justice sociale, de l’égalité des chances et de l’ambition collective d’un Gabon émergent.

Selon le Pr. Pamphile Mebiame-Akono, en suspendant même pour un an, des bourses à destination des Etats-Unis et du Canada, c’est un signal dépréciatif que l’on adresse à la jeunesse apprenante du Gabon. © GabonReview

 

 Lettre ouverte d’un fils de Makaya au Chef de l’Etat, chef du gouvernement, Brice Clotaire OLIGUI NGUEMA,

                                   A la très Haute attention de Monsieur le Président de la République, Chef du gouvernement,

Le Pr. Pamphile Mebiame-Akono, fils de Makaya et universitaire gabonais. © D.R.

C’est avec déférence et humilité, que je me suis résolu ce jour, à vous adresser une correspondance. Comme vous le savez excellence, à l’heure du numérique, l’instantanéité peut prévaloir au détriment de tout type de protocole. L’urgence de ma préoccupation a fortifié ma volonté ardente de vous écrire via les supports médiatiques.

L’objet de ma missive est de vous faire partager un avis personnel sur votre décision de vouloir suspendre les bourses d’étude à nos jeunes compatriotes, désireux de les poursuivre au pays de Donald Trump et de Mark Carney. Les motifs, soutenables, à bien des égards, interpellent néanmoins, une réflexion plus holistique du corps social de notre pays. Je me garderai d’écrire, une si longue lettre, pour faire un clin d’œil à la romancière sénégalaise, Mariama Bâ. Je m’en tiendrai essentiellement à un seul argument-et pourtant, je peux en énoncer au moins, deux autres- aussi vais-je gloser sur : « la dimension projective de la conscience de soi dont parle les philosophes du courant existentialiste ».

Permettez-moi excellence, comme l’enseignent les exégètes de la communication, de m’acquitter du devoir de me présenter : Je suis un fils de Makaya né à Libreville, diplômé de l’école catholique Sainte-Marie, du Collège Bessieux, de l’Institution Immaculée Conception, de l’Université Omar Bongo, et de l’Université Lumière LYON 2 (France). Après ce parcours académique, j’ai été recruté à l’Université Omar Bongo au département des Sciences Du Langage en 2001, au grade d’Assistant. Et, depuis 2016, je suis Professeur Titulaire Cames, de Linguistique française et ma spécialité est la Pragmatique Des Interactions Verbales. Je suis par ailleurs, celui qui a inauguré cette spécialisation en Afrique noire, et incidemment au Gabon.  Le plus important à retenir dans cette concise « story telling » est que je suis un fils du Gabon d’extraction sociale modeste. C’est la politique gouvernementale mise en place par mon pays qui a permis à des fils de mère au foyer -comme moi-, de commerçantes, d’agricultrices …  Des Cocotiers, Kinguélé, Venez-voir, Derrière la prison, et autres PK … d’aller dans les meilleures universités occidentales aux frais de notre gouvernement. Et pour beaucoup d’étudiants de ma génération, nous sommes rentrés au bercail, participer avec des fortunes diverses au développement de notre pays.

Je pense également que les questions de société dans un espace public, si bien théorisées par J. Habermas, sont saturées par un fonctionnement dichotomique dans notre pays, avec d’une part, les laudateurs du gouvernement et de l’autre, les prises de parole, souvent véhémentes des influenceurs. Il m’a semblé que la voix d’un professionnel de l’éducation ait toute sa prégnance dans un débat lié à la suspension des bourses des apprenants gabonais.  Du reste, la clôture de l’année académique peut m’autoriser quelques déambulations réflexives sur les sujets éducatifs de mon pays.

Cela m’amène à dire qu’en suspendant même pour un an, des bourses à destination des Etats-Unis et du Canada, c’est pour moi, un signal dépréciatif que l’on adresse à la jeunesse apprenante du Gabon. Cette même jeunesse que vous avez d’une certaine façon restaurée dans sa dignité, en renouant avec l’accord des bourses d’étude aux élèves du secondaire ; en relançant les concours dans les grandes écoles du Supérieur. Monsieur le Président, par ces mesures fortes, vous avez permis à la jeunesse gabonaise d’oublier ce narratif toxique « on va encore faire comment ! » qui a été déclamé ces dernières décennies.

Monsieur le Président, si je puis me permettre une suggestion, si on commence à suspendre les bourses d’étude dans les pays américains, on tue à petit feu « la dimension projective de la conscience » de nos enfants. Un Etat, de mon point de vue, surtout en Afrique, doit exhorter ses élèves les plus méritants à candidater dans les meilleures universités du monde : Stanford, Yale, Harvard, Massahusetts Institute of Technology, Université de Toronto, Université de Montréal, Oxford…

La connaissance n’a pas de prix.  Comme le soutiennent les propos toujours édifiants du président américain, Abraham Lincoln : « Si l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance ». Nous savons, nous autres Gabonais, où l’ignorance et son corollaire, le déni de compétences,  ont conduit notre pays. J’ajoute qu’en offrant des bourses aux meilleurs de nos étudiants aux Etats-Unis, au Canada, ceux-ci acteront vos projets ambitieux d’une industrialisation de notre pays par exemple, en parlant d’égal à égal aux Occidentaux et aux Asiatiques, formés dans ces mêmes Universités. Enfin, en suspendant la destination des Etats-Unis et du Canada aux jeunes gabonais, ce sont vraisemblablement des enfants de Makaya qui n’auront plus accès à ces universités prestigieuses. Les fils de nantis pourront toujours continuer allègrement leurs études dans ces universités et « une fracture éducative » va se constituer dans notre société. Et comme le défend le sociologue français Pierre Bourdieu, la reproduction des élites se réalisera dans toute sa plénitude. Les mêmes familles aisées confisqueront le capital économique et le savoir intellectuel.

Je voudrais conclure en paraphrasant le philosophe Jean-Paul Sartre dans l’être et le néant (1943) qui interpelle les Hommes à échapper à la « néantisation » des sujets-dans notre cas, nos élèves-, en leur proposant le pouvoir de rêver, de s’imaginer d’autres récits de vie pour que vive notre essor vers la félicité.

Très Respectueusement

Pr. Pamphile MEBIAME-AKONO

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Cyr tiburce MOUNDOUNGA dit :

    Bjr. Avec un narratif pareil l’on veut nous faire croire qu’à gabao on n’a pas de GOAT intellectuel. Bravo mon cher. Le PR on dit quoi après cette brillante présentation qui je le pressent n’est pas exhaustive. Amen.

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