Gabon-Bénin : Que s’est-il réellement passé au Marché Isaac à Lambaréné ?

Quatre jours après l’inauguration du Marché moderne Isaac, attendu depuis vingt ans, des tensions éclatent entre commerçants gabonais et béninois sur la répartition des emplacements. Entre accusations, appels à la «préférence nationale» et intervention diplomatique du Bénin, la situation suscite débats et inquiétudes.

Le nouveau Marché Isaac de Lambaréné, inauguré en grande pompe, le 11 août 2025, par le président Brice Clotaire Oligui Nguema, devait marquer la fin de deux décennies d’attente pour les commerçants locaux. © D.R.
Le nouveau Marché Isaac de Lambaréné, inauguré en grande pompe le 11 août 2025 par le président Brice Clotaire Oligui Nguema, devait marquer la fin de deux décennies d’attente pour les commerçants locaux. Avec ses 365 étals, 25 boxes, deux chambres froides et des lieux d’aisance, cette infrastructure moderne était saluée comme une bouffée d’oxygène pour des vendeurs qui exerçaient jusque-là dans des conditions précaires.
Mais l’euphorie a rapidement cédé la place à la controverse. Quelques jours après l’inauguration, des vidéos largement partagées sur les réseaux sociaux ont mis le feu aux poudres, accusant les autorités locales d’avoir favorisé les commerçants étrangers, notamment béninois, dans l’attribution des emplacements.
La colère des influenceurs gabonais
Au cœur de la polémique, l’influenceuse gabonaise Tata Bertille et l’activiste Éric Otsetse ont dénoncé ce qu’ils perçoivent comme une injustice. Dans une des vidéos, Tata Bertille s’adresse directement aux commerçantes béninoises présentes sur le marché : «Toutes les Gabonaises doivent d’abord avoir les places ici avant vous. […] Vous avez des places et eux, ils n’ont pas de places. Ça ne va même pas exister. Moi, je vais tout le temps chez vous faire les courses au Bénin. Je n’ai jamais vu une femme gabonaise assise au Bénin avoir une place ou un box. Ça n’existe pas. »
Ces déclarations ont déclenché sur les réseaux sociaux une vague de commentaires et de propos à caractère xénophobe.
La défense du délégué spécial

Les commerçantes du nouveau Marché Isaac de Lambaréné. © D.R.
Interpellé, le délégué spécial de Lambaréné, Auguste Roger Bibaye Itandas, a rejeté les accusations, défendant fermement sa gestion de l’attribution des étals. Selon lui, un processus organisé a été mis en place, privilégiant d’abord les commerçantes déplacées lors de la construction : «Les premières femmes à rentrer au marché, c’est celles qu’on a sorties des cagibis qu’il y avait ici, où on a construit ce marché. […] Les aboiements ou les cris d’aujourd’hui ne servent à rien. Il faut se rapprocher des responsables pour avoir la vérité.»
Le délégué spécial rejette catégoriquement les accusations de favoritisme envers les étrangers, qualifiant ces allégations de «mensonge avéré». Il justifie la présence de commerçants étrangers par des considérations pragmatiques : «Il y a des étrangers qui peuvent vendre dans le marché gabonais parce qu’ils ont la capacité de fournir la marchandise dont a besoin la population qui l’achète pour se nourrir.»
«Un marché n’a pas de problème de nationalité, il a un problème de marchandise à y apporter pour que la population s’y serve et y mange. Si vous mettez uniquement des Gabonaises qui n’ont pas la capacité d’alimenter la population, vous créez une pénurie», a-t-il expliqué, tout en mettant en garde contre toute dérive xénophobe.
Escalade verbale sur les réseaux sociaux et prise de position du Bénin
La controverse a rapidement dépassé les limites du marché de Lambaréné pour se propager sur les plateformes numériques. Les échanges entre internautes gabonais et béninois ont pris une tournure préoccupante, avec des propos xénophobes et des menaces de part et d’autre.
Certains internautes béninois ont réagi violemment aux accusations, qualifiant les Gabonais de «fainéants» et «incapables», allant jusqu’à évoquer une possible «invasion» du Gabon. Ces dérapages en ligne illustrent la sensibilité du sujet et les risques de débordement communautaire.
Face à l’ampleur prise par la polémique, le gouvernement béninois a officiellement réagi. Dans un communiqué, il a dénoncé «les menaces et actes d’intimidation contre ses ressortissants à Lambaréné» et annoncé des mesures de protection concrètes.
Une mission de recensement a été diligentée en vue d’un possible retour volontaire des citoyens béninois qui le souhaiteraient. Cette réaction diplomatique témoigne de la gravité avec laquelle Cotonou perçoit la situation.
Le Bénin a également réitéré son «attachement aux valeurs panafricanistes » et appelé au «respect et à la solidarité entre les peuples africains», tentant de replacer le débat dans une perspective continentale apaisée.
Le débat sur la « préférence nationale »
Au-delà de la polémique immédiate, l’affaire soulève des questions plus larges sur la place des étrangers dans l’économie gabonaise. Plusieurs voix s’élèvent pour revendiquer une «préférence nationale» dans l’attribution des étals financés par des fonds publics.
Cette revendication s’appuie sur l’argument que les investissements publics doivent d’abord profiter aux citoyens gabonais, tout en précisant ne pas vouloir exclure les étrangers, mais garantir une «équité sociale et économique».
L’affaire du marché d’Isaac met ainsi en lumière des tensions sociales et identitaires profondes, mêlant enjeux économiques, équité sociale et relations diplomatiques. La question reste ouverte : comment concilier, dans un même espace, la protection des commerçants locaux, la solidarité africaine et l’impératif d’approvisionnement des populations ?

2 Commentaires
En réalité le problème était déjà résolu au niveau de Lambarene. Mais en suivant les réseaux sociaux, on croirait qu’il y déjà la guerre. Faisons attention aux déclarations de quelques individus sur les réseaux sociaux.
Merci à l’auteur pour cet éclaircissement.
Entre nous, il est aussi de la responsabilité de nos autorités de soutenir nos commerçants locaux… En amont, en organisant en coopératives et finançant les agriculteurs et pêcheurs locaux, Formations pratiques et matériels (Machinerie et véhicules de transport pour l’acheminement des produits) afin de maîtriser et de pérenniser la distribution des marchandises.
Parce que, si vous laissez ce pan « de la Distribution » aux mains commerçants expatriés (Organisés, sectaires et solidaires ), à cause de vos propres intérêts financiers, taxes et autres pots de vins… Parce que On se connaît !
C’est que, vous êtes coupable, vous les autorités de céder à la facilité avec le risque volontaire, de laisser la maîtrise de la Distribution de nos Marchés ( Ce qui est Cruciale) aux mains des étrangers.
« Panafricanisme » Oui, mais pas seulement dans un seul sens, tandis que les autres sécurisent et nationalisent leurs économies au profit des locaux… Voir le cas au Cameroun avec une commerçante gabonaise enfermé et interdit de vente au Marché « Mondial « . Au Sénégal, celui de notre compatriote Spolier et dépossédé de son usine de Poulet de chair et Gabon le cas du propriétaire gabonais floué par l’ambassade (du pays concernant le sujet du jour) pour son propre bien et autres gabonais familles gabonaises dépossédées de leur terres par des ressortissants étrangers « pseudo gabonais », venus « du pays du Cèdre » ou de la Téranga… Tous cela, sous le regard complice de l’état.
Alors, soyons bons, mais pas trop cons SVP !