[Tribune] Libreville : cet équilibre qu’il faut protéger

Dans une capitale où cohabitent diverses communautés, certains équilibres relèvent d’une sagesse collective forgée par le temps plutôt que d’une loi écrite. À Libreville, la question de la gouvernance locale soulève des enjeux qui dépassent la simple alternance politique pour toucher aux fondements même du vivre-ensemble gabonais. Entre respect des légitimités historiques et aspirations républicaines, comment préserver une stabilité qui a su éviter à la capitale les fractures communautaires qu’ont connues d’autres métropoles africaines ? Dans cette tribune libre, Flavienne Adiahenot, députée de la Transition, défend un pacte tacite qui, selon elle, constitue le socle de la paix sociale à Libreville : l’alternance dans la gestion municipale entre les communautés autochtones de l’Estuaire. Un équilibre fragile qu’elle estime aujourd’hui menacé par des ambitions politiques qui pourraient compromettre des décennies d’harmonie communautaire.

On ne vient pas dans la maison de l’hôte pour changer les règles qui en assurent la paix. (…) Préserver cet accord implicite, c’est protéger Libreville. Et protéger Libreville, c’est préserver un modèle de paix qui dépasse ses frontières. © D.R.

Flavienne Adiahenot, députée de la Transition, est une figure politique engagée pour l’éducation et le développement social. Membre de l’Union nationale et de plusieurs commissions parlementaires, elle se distingue par ses actions concrètes en faveur de la jeunesse et des infrastructures scolaires. © D.R.
Il est des accords silencieux qui valent plus que bien des lois. À Libreville, il en est un qui a façonné la stabilité : confier, a tour de rôle, la gestion de l’hôtel de ville aux autochtones de l’estuaire – Mpongwe et Fang.
Ce principe n’est pas du repli identitaire. Il n’exclut pas, il n’oppose pas : il reconnaît simplement que la capitale, avant d’être le centre politique de tous, est d’abord le village ancestral de certains. Ce pacte tacite permet aux fils et filles de l’Estuaire d’imprégner la ville de leur essence, de leur culture et de leur image. Il a permis d’éviter bien des fractures identitaires que d’autres villes africaines ont connues comme Jos au Nigéria, Abidjan en Côte d’Ivoire, Mombasa au Kenya ou encore Douala au Cameroun – où la rupture de l’équilibre entre communautés d’origine et nouveaux venus a parfois nourri tensions et crispations.
Mais cet accord silencieux n’a de valeur que si le choix de l’Edile de la commune repose à la fois sur l’appartenance autochtone à l’Estuaire et sur des critères précis de compétence, de gestion de la chose publique. La stabilité et la paix ne se construisent pas sur le seul principe communautaire, mais sur une gouvernance éclairée qui allie légitimité historique et efficacité administrative.
Qu’en est-il des autres communautés autochtones de l’Estuaire, comme les Akele ou les Sekiani ? Elles sont, au même titre que les Mpongwe et les Fang, légitimes à être prioritaires dans la gestion d’arrondissement de Libreville : une capitale nationale, certes, mais avant tout l’espace historique et vivant de leurs ancêtres. Elles observent, subissent mais ne revendiquent rien. Et malgré cela, des Gabonais cherchent à briser ce pacte tacite et à s’imposer au détriment des légitimes habitants de l’Estuaire. Le silence de ces derniers (légitimes habitants) n’est pas passivité : il est le reflet d’une patience historique, d’un respect des règles établies et d’une vigilance citoyenne face à ceux qui voudraient réécrire l’équilibre de Libreville pour des ambitions personnelles ou électorales.
Pourtant, aujourd’hui, certains veulent briser cet équilibre au nom d’une égalité de façade. Mais que vaut un discours sur l’ouverture républicaine quand, dans leurs propres villes et villages, ces mêmes voix refusent aux autres la moindre place ? Quand leurs nominations restent enfermées dans le cercle étroit du clan ou de l’ethnie ?
Durant la transition, certains ont même reproché au Président de “donner trop de place aux Myènè.” Traduction : une communauté devait être mise à l’écart. Voilà le danger : transformer une revendication politique en exclusion assumée.
Libreville est hospitalière, mais elle n’est pas amnésique. Elle a ses règles, forgées par l’Histoire, par la mémoire et par la sagesse de prévenir les tensions avant qu’elles ne s’enflamment.
On ne vient pas dans la maison de l’hôte pour changer les règles qui en assurent la paix. On ne prétend pas diriger la capitale quand on n’a pas, d’abord, fait de sa propre localité le miroir de ce que l’on promet ailleurs… en mieux.
Cet équilibre historique n’est pas un simple compromis : il est le socle de notre cohésion. Le livrer aux convoitises personnelles et aux intérêts mercantiles, c’est fragiliser l’édifice même de notre vivre-ensemble, c’est ouvrir la porte à un chaos que nous avons su éviter pendant des décennies.
Préserver cet accord implicite, c’est protéger Libreville. Et protéger Libreville, c’est préserver un modèle de paix qui dépasse ses frontières.
Flavienne ADIAHENOT

8 Commentaires
Eeeh Ben Voilà que ça commence!!! Après l’allocution du Président de la République, proclamant la fin de la géopolitique regressive, « les loups sortent du bois ». Ces loups qui ne se souciaient nullement du devenir de notre pays; mais ne s’attachaient qu’à leurs petits intérêts partisans et communautaires.
Puisque l’Honorable demande le statut quo, qu’elle nous dise dans la foulée quelles communautés doit garder les Ministères des Finances de l’Economie, du Pétrole, de l’Intérieur (tous héréditaires) et j’en passe. Pour vous paraphraser: « Monsieur le Président, changez ce que vous voulez, mais ne touchez à nos fonctions communautaires, héritages éternels et divins du système qui a réduit à la mendicité le Peuple gabonais dans sa majorité ».
Venant d’une Députée, cela me rend profondément triste. Car je me rends bien compte maintenant que l’hémicycle ne change pas l’Homme. Elle ne fait que renforcer son fond. Si ce fond est communautaire, le Député restera communautaire.
Je fais maintenant le constat que la « Transition » a élevé beaucoup de brebis galeuses et cela montre bien les limites de l’Inclusion que le Peuple gabonais a rejeté depuis le début.
Vivement que cette ère prenne fin vite, très vite! Nous passons aux choses sérieuses. Les fonctions héréditaires doivent vite prendre fin. Nous sommes dans la Vieme République, où chaque citoyen gabonais peut occuper n’importe quelle fonction, quelques soient ses origines ethno-linguistiques et autres orientations religieuses. Pourvu qu’il démontre ses qualités et capacités à occuper cette fonction.
De grâce « Honorable », apprenez ce que cela veut dire (tout s’apprend, vous savez!)
Patriotiquement Vôtre!!!
@Nathan. Tu es Nkodje ou Essandone ? Tu peux être maire ou ? A oyem ou Bitam ? Commence par nous diré ca
Bitam ou Oyem ne sont pas capitales nationales. Cela est valable pour ces deux villes. Si les populations qui y vivent sont prêtes à voir un punu à la tête de la mairie, c’est à elles de décider. Ca ne doit pas être des arrangements politiciens auxquelles s’attachent des acteurs égoïstes comme l’auteur de cette tribune qui veulent fonder leurs ambitions politiques sur des avantages exclusives communautaires. La gouvernance des villes, les populations doivent décider. Et les populations de Libreville dans leur majorité n’ont aucun souci à voir un gabonais non fang ou mpongwe prendre la mairie. Que madame Adiahenot et autres s’organisent pour continuer à faire de la mairie de Libreville une chasse gardée de façon démocratique. Comment voulez-vous interdire a un punu qui est né à Libreville et y a travaillé toute sa vie, parce leurs affections professionnelles leurs y impose d’aspirer à gérer la ville où il a vécu toute sa vie dans son pays?
« On ne vient pas dans la maison de l’hôte pour changer les règles qui en assurent la paix ». Voilà une phrase qui résume l’idée défendue dans le texte. Et voilà un texte qui est un véritable plaidoyer en faveur du repli identitaire. Notre député aura beau se livrer à toutes les contorsions intellectuelles pour s’en défendre, mais la réalité est têtue.
Si nous en sommes encore aujourd’hui à défendre ce genre d’équilibre qui, comme l’a rappelé le président de la République, n’a pas fait avancer le pays, c’est qu’on n’a rien compris. Le Gabon est un bien que tous les gabonais ont en partage. Dans une République qui promeut l’isonomie, il n’y a point de « béati possidentes ». En conséquence, aucune portion du territoire de la République n’appartient à un gabonais plus qu’à un autre. Ceci est vrai pour Libreville, et pour n’importe quelle autre collectivité de notre pays.
Si nous en sommes encore aujourd’hui à défendre ce type de convention tacite et à brandir un risque putatif de troubles sociaux devant toute velléité de réforme, c’est que notre nation est en fait construite sur des bases friables. Et, au lieu de nous enferrer dans un paradigme clivant et inefficace quant à la gestion des affaires publiques, changeons-le. Ressoudons les liens entre nous en rappelant que malgré nos différences, nous sommes d’abord un peuple gabonais.Et rappelons par ailleurs que ces différences ne doivent point être utilisées pour justifier des discriminations, privilèges et autres différences nuisibles à la bonne marche du pays, mais pour témoigner de la richesse culturelle du pays. Et seulement cela.
ABO est le premier président à essayer de sortir de cette logique identitaire en désignant un membre de l’ethnie kota à la primature (initiative que je salue), déchirant ainsi une vieille convention réservant la fonction de premier ministre à l’ethnie fang. Corrigez-moi si je me trompe, ce fait inédit n’a suscité aucun trouble social à l’époque. Certes la situation est différente aujourd’hui, puisqu’on parle d’administrer un territoire qu’on présente comme le berceau d’une ou plusieurs ethnie. Cependant, l’objectif est le même : résilier une convention tacite.
Je pense que le discours du Président de la République dans lequel il prônait un retour aux sources en disant aux gabonais qu’ils ne sont pas chez eux à Libreville fut d’une très grande maladresse. Aujourd’hui, même si on ne le dit pas, cela met du carburant dans la voiture de ceux qui défendent l’idée que je dénonce. Et le fait qu’il sonne aujourd’hui le glas de la géopolitique et prône la compétence, je l’analyse (cela n’engage que moi) comme un rétropédalage salutaire.
PS : Honorable Adiahenot, vous pouvez, si vous le souhaitez, briguez la mairie de Ndendé, mon village. Vous êtes tout aussi légitime que n’importe quel naturel de cette localité. Et si quelque personne vous niait ce droit, je serais, en accord avec mes opinions, votre premier défenseur.
cordialement
Dites-nous un peu, puisque vous avez choisi de nous faire descendre aussi bas, Diop, Ibrahim, Tchicot, Davin, etc… ce sont donc des Mpongwe ? Êtes-vous certaine de savoir où vous mettez les pieds ?
Allons au vote. Nous allons nous compter.
Nous sommes tombés bien bas….
Madame Adiahenot,
Ce que vous avancez ne relève pas d’une vérité partagée. Si l’argument est de revendiquer une exclusivité autochtone sur le poste de maire de Libreville, alors la logique serait plutôt de demander le déplacement de la capitale ailleurs. Car vous ne pouvez pas à la fois profiter des avantages qu’apporte à Libreville son statut de capitale nationale, et dans le même temps exiger que la fonction de maire, qui est une institution de rang national, soit réservée à une seule communauté. Pourquoi ne pas, dans la même logique, revendiquer aussi que la primature soit l’exclusivité des Fangs ?
Ne pensez-vous pas que de telles revendications nourrissent frustrations et menacent le vivre-ensemble ? Si jusqu’ici, cette géopolitique qui a parfois réservé certains postes de haut rang à des groupes distincts n’a pas débouché sur des soulèvements, c’est surtout parce que le Gabonais a une culture de revendication pacifique, souvent même passive.
Libre à vous de demander que la capitale soit déplacée ailleurs. Mais vous ne pouvez pas exiger qu’une république moderne réserve le poste de maire de sa capitale nationale, ad vitam aeternam, à un groupe ethnique. C’est défendre un repli identitaire et des intérêts communautaires étroits, au détriment de la démocratie et du développement harmonieux de la nation.
Car qui a décidé que Libreville devait être la capitale de tous les Gabonais, du nord au sud, de l’est à l’ouest ? Les autochtones de Libreville s’y sont-ils opposés ? Les autres provinces pourraient tout autant y voir une injustice. Le choix de Libreville comme capitale a entraîné un développement économique, culturel, industriel et intellectuel qui profite depuis des générations à ses habitants, créant un déséquilibre social en leur faveur. Comme si cela ne suffisait pas, vous en demandez encore davantage.
C’est le même schéma que Port-Gentil : la ville bénéficie du statut de capitale pétrolière, alors même que ce pétrole est extrait de départements comme ceux de la Ngounié qui n’en tirent aucun avantage direct. On ne peut pas confisquer des institutions nationales pour satisfaire des intérêts ethnocentriques. D’ailleurs, les autochtones de Libreville ne sont pas ceux qui contribuent le plus aux impôts de la ville.
La géopolitique a fait son temps. Il est normal qu’un changement suscite résistances et frustrations, mais la vision la plus sage et durable reste de faire de la gouvernance de Libreville l’affaire de toutes les communautés qui y vivent depuis plusieurs générations, qui y travaillent, y entreprennent, et qui contribuent par leurs impôts et leurs activités au développement de la ville et du pays.
Madame Adiahenot,
Pour une actrice politique de dimension nationale, vous venez de révéler une facette de votre vrai visage. Vous semblez concevoir le Gabon comme une mosaïque de communautés où chacune doit défendre ses droits et ses privilèges, plutôt que comme une nation où chaque citoyen doit se sentir pleinement chez lui partout sur le territoire. En réalité, ce que vous proposez, c’est un Gabon des nations : un pays où un Punu, par exemple, ne serait pas tout à fait chez lui à Libreville et devrait aller à Tchibanga ou Mouila pour espérer devenir maire, même s’il n’y a jamais vécu et n’y a aucune assise.
Si votre objectif est une meilleure reconnaissance identitaire, demandez des exonérations fiscales, un rôle renforcé pour vos chefferies traditionnelles, ou encore la reconnaissance de certaines zones de Libreville comme territoires autochtones comme cela existe au Canada. Mais revendiquer la mairie comme chasse gardée d’une communauté n’a aucun fondement.
Les autochtones de Libreville ne sont ni à l’origine du choix de la ville comme capitale nationale, ni de l’existence du poste de maire. Et la majorité des Librevilleois ne soutiennent pas une telle exclusivité. Le développement de la capitale est l’affaire de tous les Gabonais qui y vivent, qui y travaillent et qui contribuent par leurs impôts. Or, les autochtones représentent à peine une minorité, moins de 10 %, des contribuables concernés par les budgets alloués à la mairie.
Vous pouvez légitimement demander que vos chefferies soient valorisées ou que des symboles d’appartenance autochtone soient reconnus. Mais la mairie, elle, n’est pas autochtone : c’est une institution républicaine, financée par tous, pour tous.
Et après ? Faudrait-il aussi réserver Port-Gentil pour ses autochtones au nom du pétrole, Moanda pour le manganèse, Franceville pour l’USTM ? Allons-y seulement… mais ce serait consacrer l’éclatement de la République et le triomphe des intérêts communautaires au détriment de l’intérêt national.
Le débat sur le maire de Libreville a révélé une hypocrisie insoutenable. Sous couvert d’unité nationale, certains tentent de briser un équilibre qui a, pendant des décennies, garanti la paix sociale. La question n’est pas celle d’une nomination, mais bien celle d’une élection qui doit concilier les principes de la République avec la légitimité historique des populations autochtones.
Nous sommes tous Gabonais, mais ceux qui feignent de l’oublier pour des raisons partisanes se trompent lourdement. Nous nous définissons comme Obamba, Mpongwè, Galois ou Saké, et cette diversité, qui fait notre fierté, n’est pas un prétexte pour la discorde. Pourtant, certains s’obstinent à ignorer la réalité des lieux : nos traditions, nos coutumes et même nos habitudes alimentaires ne sont pas une référence nationale, alors pourquoi l’élection d’un maire le serait-elle ?
Arrêtons la confusion entre géopolitique et communautarisme
Il est temps de démasquer la confusion savamment entretenue entre géopolitique et communautarisme. Le communautarisme est une maladie qui nourrit la haine et l’exclusion, mais la géopolitique, c’est la gestion stratégique d’un territoire en tenant compte de ses réalités. Il est donc normal et sain de considérer les particularités de chaque ville pour en assurer une gouvernance stable.
L’idée de choisir un maire autochtone pour Libreville n’est pas un repli identitaire. C’est un acte de bon sens qui cherche à marier la compétence à la légitimité historique. Un maire issu de ces populations, élu par ses pairs, est le mieux placé pour comprendre et orienter le développement de la ville en respectant les us et coutumes de ses habitants d’origine, tout en continuant à accueillir les autres Gabonais avec l’hospitalité légendaire des peuples de l’Estuaire.
Les Mpongwè et les Fang, tout comme les Akele, les Benga et les Sekiani, ont toujours fait preuve d’une grande hospitalité, n’en déplaise à ceux qui, tout en bénéficiant de cette générosité, contestent aujourd’hui cette évidence.
Un projet qui s’inscrit pleinement dans la Cinquième République
Cette approche n’est en rien une contradiction avec la Cinquième République. Au contraire, elle est le fondement de son esprit. Nous sommes tous appelés à la restauration de l’État de droit et à la dignité des Gabonais. Cela passe par la lutte contre le népotisme, la corruption et l’impunité qui sévissent à tous les niveaux de l’administration, y compris au sein des forces de défense et de sécurité et de la justice.
La Cinquième République doit garantir le respect mutuel et l’équité, en punissant ceux qui propagent la haine sous de fausses bannières. Il est temps de reconstruire notre nation en mettant fin aux privilèges, pour promouvoir des leaders qui allient intégrité, compétence et légitimité. Un maire autochtone, élu démocratiquement, serait le reflet de cette vision : un leader choisi pour sa capacité à gérer la ville, tout en préservant son équilibre social. C’est un pas vers un Gabon où chacun se sent chez soi, et où les traditions locales sont respectées.