[Tribune] Investir dans la formation des médias au Gabon : Au-delà des murs, le pari de l’excellence humaine et professionnelle

La modernisation des médias publics au Gabon est visible, mais elle ne sera pleinement efficace qu’avec un investissement structuré dans la formation des professionnels du secteur. Freddy Koula Moussavou propose la création d’un Institut gabonais de l’audiovisuel et du numérique (IGAN), adossé aux forces académiques et médiatiques nationales, pour développer un capital humain compétent et compétitif. Pensé en phases et à vocation sous-régionale, le projet de l’ancien journaliste-consultant, doctorant en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Grenoble Alpes (France), détaillé ci-après, vise à renforcer la souveraineté médiatique du pays, stimuler l’économie créative et accroître le rayonnement culturel du Gabon.

« L’IGAN pourrait se jumeler avec le Département des Sciences de l’information et de la communication de l’UOB, l’INPTIC et l’Université numérique du Gabon, afin de bâtir un continuum de formation du licence-master à la formation continue, mêlant recherche et pratique. » © GabonReview

Freddy Koula Moussavou, Doctorant en SIC, ancien journaliste-consultant. © D.R.
Au Gabon, la modernisation des médias publics se voit. Des sièges flambant neufs, des plateaux à la pointe, des régies numériques dernier cri : la transformation impulsée par le Président de République, Brice Clotaire Oligui Nguema, est tangible et salutaire. Mais la fascination légitime pour les “beaux édifices” ne doit pas masquer l’enjeu décisif : sans un investissement massif et structuré dans la formation des professionnels, ces infrastructures resteront sous-exploitées. La véritable souveraineté médiatique se joue d’abord dans les compétences.
Le constat est connu, mais trop longtemps différé : notre pays ne dispose pas encore d’une école, d’un institut ou d’un département universitaire de référence pour former, au meilleur niveau, journalistes, réalisateurs, ingénieurs du son, monteurs, producteurs, designers et stratèges du numérique. Or, l’audiovisuel et le digital occupent un rôle croissant dans la vie démocratique, culturelle et économique. “La ressource la plus précieuse de l’organisation au XXIe siècle est le savoir de ses travailleurs et leur productivité”, rappelait Peter F. Drucker. Autrement dit, l’efficacité des équipements dépend d’abord de la qualité de celles et ceux qui les animent.
Former, c’est doter la Nation d’un capital humain apte à maîtriser les nouveaux langages et technologies: datajournalisme, vérification/OSINT, réalisation multicam, post-production, produit éditorial, sécurité numérique, IA générative. L’UNESCO, avec la littératie médiatique et informationnelle, souligne combien l’élévation des compétences renforce la citoyenneté éclairée et la résilience face à la désinformation. Et Joseph S. Nye l’a montré: “le soft power naît de l’attrait de la culture et des valeurs.” Des contenus gabonais exigeants, innovants et crédibles sont un levier d’influence tout autant qu’un service public.
C’est pourquoi je plaide pour la création d’un Institut gabonais de l’audiovisuel et du numérique (IGAN), école de référence sous-régionale, adossée à nos forces académiques et à nos maisons de médias. L’IGAN pourrait, mutatis mutandis, se jumeler avec le Département des Sciences de l’information et de la communication de l’UOB, l’INPTIC et l’Université numérique du Gabon, afin de bâtir un continuum de formation du licence-master à la formation continue, mêlant recherche et pratique.
Une telle institution n’invente pas ex nihilo: elle prolonge un héritage. Nous avons connu l’excellence d’Africa N°1, nous possédons la Maison Georges Rawiri et, aujourd’hui, la Maison Brice Clotaire Oligui Nguema. Passons du symbole à la stratégie: loger l’excellence dans les femmes et les hommes.
Concrètement, l’IGAN devrait articuler sur :
- Des laboratoires de pratique (studio TV/radio-école, newsroom data, incubateur de formats mobiles), 50% de pratique, 30% de théorie, 20% de projets tutorés ;
- Des curricula alignés sur les standards internationaux (UNESCO/ECTS), avec alternance/stages obligatoires et “cliniques” éditoriales ;
- Une gouvernance associant État, médias publics et privés, plateformes numériques, telcos et partenaires internationaux ;
- Une vocation sous-régionale (CEMAC/CEEAC): mobilité étudiante, coproductions, festivals, marchés de contenus.
Les bénéfices sont triples :
- Démocratiques : une presse mieux formée, éthique et outillée renforce transparence et confiance. “L’engagement premier du journalisme est envers la vérité” (Kovach & Rosenstiel) ;
- Économiques : les industries créatives pèsent des centaines de milliards de dollars (UNCTAD). Des professionnels qualifiés stimulent l’emploi, l’innovation de formats, la monétisation des audiences, l’export de contenus ;
- Diplomatiques et culturels : des récits gabonais compétitifs accroissent notre rayonnement et notre attractivité.
On objectera que “nous avons déjà des bâtiments et des équipements”. Justement : sans ingénierie humaine, l’under-utilisation est chronique. On dira que “la formation coûte cher”. Le coût de la non-qualité — désinformation,
faible audience, obsolescence — est plus élevé. On soutiendra que “le marché est trop petit”. Le numérique a aboli les frontières: la cible est régionale, les revenus potentiels transfrontières.
Alors, comment faire ? Par étapes, avec pragmatisme :
- Phase 1 (12 mois) : comité de préfiguration, maquette pédagogique, partenariats académiques et médias, sélection de filières pilotes (journalisme multimédia, réalisation audiovisuelle, data/produit) ;
- Phase 2 (24 mois) : ouverture des studios-écoles, premières promotions, programme national de formation continue pour les professionnels en poste ;
- Phase 3 (36 mois) : accréditations, extension sous-régionale, incubateur média-tech, marché/festival du contenu gabonais.
Le financement peut être mixte: dotation publique initiale, partenariats industriels (constructeurs broadcast, telcos, plateformes), dispositifs internationaux (UNESCO, CFI, AUF), mécénat d’entreprise, frais modulés et bourses sociales/mérite. La transparence et des indicateurs de résultats (insertion, productions primées, coproductions, revenus propres) garantiront la soutenabilité.
Investir dans la formation n’est pas un luxe, c’est la condition de rendement des CAPEX déjà engagés et le socle d’un écosystème médiatique robuste, innovant, crédible. À l’heure où l’économie de la connaissance redessine les hiérarchies, “l’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde” (Nelson Mandela).
Donnons au Gabon une école de référence sous-régionale en communication, audiovisuel et numérique. Bâtissons des briques et des câbles en savoirs, en récits et en confiance.
Freddy Koula Moussavou, Doctorant en Sciences de l’Information et de la Communication (Université Grenoble Alpes, Laboratoire GRESEC). Ancien journaliste-consultant (Canal+, RFI, TV5 Monde, New World TV), passé par Gabon Télévisions et Gabon 24.

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