Neuf mois après avoir juré son retrait «définitif» de la vie politique nationale, Ali Bongo Ondimba entend reprendre la tête du Parti démocratique gabonais depuis Londres. Derrière cette réapparition, une stratégie subtile, patiemment tissée, où le droit se mêle à la revanche, et où l’exil devient le théâtre d’une reconquête différée.

En exil, Ali Bongo entend diriger un parti qu’il a perdu, dans un pays qui ne veut plus de lui. S’il n’écrit plus l’histoire du pouvoir, il rédige celle de sa propre survie politique. © GabonReview (montage)

 

L’homme que l’on croyait politiquement défait, effacé, exilé à jamais dans les marges de l’histoire nationale, revient. Non pas tambour battant, mais à la manière des vieux renards de la politique : en silence, dans l’interstice des textes, armé de ses réseaux, de son nom, de ses fidèles, et d’un art consommé du retournement. En ‘’reprenant’’ le 18 juillet 2025 la présidence du PDG depuis Londres, Ali Bongo opère une manœuvre doublement audacieuse : sur le plan juridique, il s’appuie sur l’absence de procédure formelle de démission, invoque les statuts du parti et contourne la lettre de son renoncement de septembre 2024. Sur le plan politique, il défie à distance un appareil d’État désormais tourné vers Oligui Nguema, en reconstruisant une légitimité partisane hors des circuits officiels.

Ce retour n’est ni anodin, ni improvisé. Daté du 14 mai 2025, un document de nomination d’Ali Akbar Onanga Y’Obégué comme secrétaire général du PDG n’a été rendu public qu’en juillet, soit deux mois après sa signature et précisément 24 heures après l’exclusion de ce dernier par la direction officielle du parti. Cette publication tardive, circulant d’abord sur les réseaux sociaux et suscitant des doutes sur l’authenticité de la signature d’Ali Bongo, n’est pas un simple rappel statutaire : elle est une provocation calculée, une relance méthodique de la guerre d’héritage, une tentative de reprise de contrôle idéologique et symbolique sur ce qui fut l’épine dorsale du pouvoir (le PDG) pendant plus d’un demi-siècle.

Le PDG, champ de ruines ou matrice d’une revanche ?

Le parti, divisé entre deux légitimités – l’une statutaire, l’autre institutionnelle – devient le théâtre d’une guerre froide à peine dissimulée. D’un côté, la faction Louembé, sécurisée par le régime de transition, occupant physiquement le siège, investissant les provinces, prêchant la réconciliation sous la bannière d’Oligui. De l’autre, la faction Bongo, réfugiée en exil mais enracinée dans les anciens réseaux, cultivant la mémoire du pouvoir, exhibant les textes, et parlant depuis les hauteurs symboliques d’un leader diminué, chassé mais toujours combatif.

La fracture est abyssale. Les exclusions réciproques, les réunions concurrentes, les déclarations antagonistes ne sont pas de simples escarmouches : elles annoncent une possible implosion du PDG. Mais au-delà du sort de ce parti, c’est la recomposition de l’espace politique gabonais qui est en jeu. Car ce que joue Ali Bongo n’est pas le pouvoir immédiat : il joue la mémoire, l’influence, la capacité à peser, demain, dans la recomposition des équilibres. Il transforme le PDG en avant-poste d’un contre-pouvoir en exil, en cellule de résistance politique, en bras armé d’une revanche encore tue mais déjà dessinée.

La subtilité de sa démarche réside dans cette ligne de crête entre droit et stratégie. Il ne viole pas la loi ; il en exploite les silences. Il ne brigue aucun mandat ; il reconquiert un appareil. Il ne prétend pas renverser le régime ; il reconstruit un socle. En ce sens, son exil londonien n’est pas une fuite. C’est un poste avancé.

Pour l’analyste lucide, l’enjeu ne se situe pas seulement dans les élections de septembre 2025, que le PDG aborde affaibli et fracturé. Il se situe dans le temps long : celui où l’on verra si, à la faveur d’un affaiblissement du pouvoir central, d’une faille institutionnelle ou d’un retournement d’alliances, l’ancien président pourra redevenir acteur, sinon roi. Il a perdu le pouvoir. Il tente d’en garder la matrice.

Dans l’histoire des régimes déchus, peu d’hommes parviennent à s’extraire de l’humiliation et à redevenir stratèges. Ali Bongo n’a peut-être pas dit son dernier mot. Il l’a simplement déplacé, à Londres, dans le silence studieux d’un retour différé.

 
GR
 

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