Longtemps relégué à l’arrière-plan des industries culturelles, l’artisanat d’art gabonais peine encore à obtenir la reconnaissance qu’il mérite. Pourtant, derrière les masques, les sculptures, les bijoux ou les instruments de musique traditionnels se cache un univers foisonnant de créativité, de savoir-faire ancestral et de promesses économiques. À l’heure où le pays prépare sa participation à l’Exposition universelle d’Osaka et célèbre la restitution de pièces patrimoniales, cette filière silencieuse revient sur le devant de la scène. Hugues-Gastien Matsahanga* appelle, ici, à une redécouverte urgente et stratégique de ce trésor trop longtemps oublié.

L’artisanat d’art gabonais n’est pas un simple ornement du passé : il est une ressource stratégique pour l’avenir, une passerelle entre les villages et les métropoles, entre Libreville et Osaka, entre tradition et modernité. © GabonReview

 

Parmi toutes les filières du champ des industries culturelles, l’artisanat d’art est sans doute la plus méconnue du grand public. Moins visible, souvent éclipsé par des arts plus médiatisés comme la musique, le cinéma ou la littérature, il peine à se faire une place dans les esprits… et sur le marché.

De temps à autre, l’attention se tourne brièvement vers lui, à l’occasion d’une vente de masques anciens ou de l’annonce du retour d’une collection privée d’objets d’art. Mais ces événements restent exceptionnels, presque anecdotiques.

Prenons un exemple parlant : la pierre de Mbigou, matériau emblématique du Gabon, est aujourd’hui surtout utilisée pour produire en série des objets touristiques, au détriment de la créativité. Or, avec un peu plus d’originalité et de soutien, ce savoir-faire pourrait briller bien au-delà de nos frontières.

Restitution des œuvres : une question d’équité

L’artisanat d’art a aussi été au cœur d’un débat majeur ces dernières années : celui de la restitution des biens culturels africains, notamment ceux emportés durant la colonisation. En 2017 à Ouagadougou, Emmanuel Macron a engagé la France sur la voie du retour de ces œuvres. Depuis, des pays comme le Bénin, le Sénégal ou la Côte d’Ivoire ont vu revenir chez eux des pièces historiques, comme le fameux tambour « Djidji Ayokwe » de la tribu Ebrié.

Le Gabon n’est pas en reste. En janvier 2024, le pays a accueilli 90 objets de la collection « Paul Bory », grâce à une convention de donation. Ce retour, salué par les autorités, a néanmoins soulevé des questions dans l’opinion : comment peut-on parler de « don » pour des biens qui nous appartiennent déjà par l’histoire ?

Ce débat mérite d’être poursuivi, car d’autres pays africains ont su imposer des cadres plus exigeants pour leurs restitutions. Une source d’inspiration pour nous.

L’artisanat d’art gabonais : riche, varié, vivant

Au-delà de ces enjeux, l’artisanat d’art gabonais est un univers riche, ancré dans les traditions et toujours en évolution. On y trouve des sculpteurs sur bois et sur pierre. Les premiers créent masques, statues et objets rituels. Les seconds travaillent la pierre de Mbigou, très appréciée pour ses statuettes et figurines. Il y a aussi les vanniers et les tisserands, qui utilisent des fibres naturelles comme le raphia pour fabriquer paniers, étoffes et objets décoratifs. Chaque pièce est souvent porteuse de symboles propres à un groupe ethnique.

Autre domaine moins connu : la fabrication d’instruments de musique traditionnels (tambours, flûtes, harpes). Ces objets sont essentiels dans les cérémonies et reflètent un savoir-faire ancestral, bien antérieur à l’arrivée des premiers explorateurs européens. N’oublions pas les artisans du métal, créateurs de bijoux et de pièces décoratives, ni ceux qui pratiquent la poterie et la céramique, entre objets utilitaires et œuvres d’art.*

L’artisanat d’art gabonais entre rayonnement international et valorisation nationale

Alors que le Gabon participe activement à l’Exposition universelle d’Osaka en 2025, l’artisanat d’art apparaît comme l’un des vecteurs les plus authentiques de son identité culturelle. C’est en effet à travers ses objets, ses matières premières locales sublimées, ses techniques traditionnelles transmises de génération en génération, que le pays peut raconter son histoire au monde. La présence du Gabon à Osaka est une opportunité inédite de hisser les savoir-faire de ses artisans au rang de patrimoine vivant et exportable.

Ce positionnement trouve également un écho fort dans la Caravane touristique nationale, initiative en cours qui sillonne les provinces du Gabon. En mettant en lumière les richesses naturelles, culturelles et artisanales des différentes régions, cette caravane contribue à replacer l’artisanat d’art au cœur du récit national. À chaque étape, des créateurs exposent leurs œuvres, témoignant de la diversité et de la vitalité d’un secteur encore trop souvent marginalisé dans les politiques culturelles.

De la vannerie de l’Ogooué-Ivindo aux sculptures fang du Woleu-Ntem, en passant par les batiks, les poteries ou les bijoux façonnés à la main, ce patrimoine artisanal incarne non seulement un héritage précieux, mais aussi une promesse de développement économique durable, d’insertion professionnelle pour les jeunes, et d’affirmation de la fierté gabonaise à l’international.

Ainsi, l’artisanat d’art gabonais n’est pas un simple ornement du passé : il est une ressource stratégique pour l’avenir, une passerelle entre les villages et les métropoles, entre Libreville et Osaka, entre tradition et modernité.

Un patrimoine à valoriser, un secteur à repenser

L’artisanat d’art gabonais n’est donc pas seulement une activité économique, bonne à orner les vitrines des galeries des marchés artisanaux de nos grandes villes. C’est un vecteur d’identité, de mémoire et de transmission. Chaque objet raconte une histoire, véhicule un mythe, perpétue une tradition. C’est pourquoi il est essentiel de trouver un équilibre entre préservation culturelle et valorisation économique.

Encadré, soutenu, promu, ce secteur pourrait devenir un pilier de l’économie culturelle gabonaise. Il pourrait aussi faire rayonner le pays sur la scène internationale, tout en offrant des débouchés concrets à ses artisans. L’artisanat d’art est bien plus qu’un simple artisanat. C’est un patrimoine vivant, un art à part entière, une voix discrète mais puissante de notre culture. Il est temps que cette voix soit entendue.

*Hugues-Gastien MATSAHANGA,
Essayiste et Spécialiste des Industries Culturelles et Créatives

 
GR
 

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