Malgré les annonces officielles du président béninois de ne pas briguer un troisième mandat, l’opposant panafricaniste Kémi Seba accuse Patrice Talon de préparer un «braquage politique» à travers une réforme électorale qui viderait la démocratie de sa substance. Ces accusations interviennent dans un contexte où le chef d’État béninois fait pourtant figure d’exception en Afrique en renonçant publiquement à prolonger son mandat.

Malgré les annonces officielles du président béninois de ne pas briguer un troisième mandat, l’opposant panafricaniste Kémi Seba accuse Patrice Talon de préparer un «braquage politique» à travers une réforme électorale qui viderait la démocratie de sa substance. © D.R.

 

Patrice Talon a récemment réaffirmé sa volonté de ne pas solliciter un troisième mandat, malgré les encouragements de ses proches. Selon son porte-parole Wilfried Léandre Houngbédji, plusieurs voix internes et extérieures au cercle du pouvoir ont encouragé le chef de l’État à envisager une modification des textes pour prolonger son séjour à la tête du pays, s’appuyant sur des exemples de dirigeants africains ayant «incarné leur vision» au-delà de deux mandats.

Cette position tranche avec la tendance continentale où certains dirigeants modifient les Constitutions pour se maintenir au pouvoir. Le geste a été salué par une partie de la population, de la classe politique et même des artistes, qui y voient un acte de courage rare dans le paysage politique africain.

Un code électoral accusé de manipulation

Cependant, dans une intervention publiée le 17 août 2025 sur sa page Facebook, Kémi Seba, président de l’ONG Urgences Panafricanistes et opposant béninois, conteste radicalement cette version officielle. Selon lui, «le président Patrick Talon prépare un coup d’État institutionnel, le braquage du siècle en Afrique». Il affirme que le chef de l’État béninois chercherait à conserver le pouvoir par des mécanismes institutionnels adossés au code électoral. Le camp présidentiel, lui, rappelle que Patrice Talon refuse l’idée d’un troisième mandat, position soutenue par son porte-parole qui dit avoir écarté les sollicitations visant à modifier les textes. Entre accusations d’« ingénierie électorale » et promesse de passation, l’enjeu porte sur l’intégrité du processus démocratique à l’approche de 2026.

L’opposant panafricaniste s’appuie sur les modifications apportées au code électoral par la loi n° 2024-13 votée le 15 mars 2024. Cette réforme impose désormais qu’un parti politique obtienne au moins 20% des voix dans chaque circonscription pour pouvoir siéger au parlement lors des élections législatives. «Aucun parti politique au Bénin, je dis bien aucun parti politique au Bénin ne peut réunir ces conditionnalités», affirme Kémi Seba. «Les députés pro-Talon savaient exactement ce qu’ils faisaient, ils ont suivi le script de leur patron».

Selon les accusations de l’opposant, seuls les partis proches du pouvoir – l’UPR (Union Progressiste du Renouveau) et le Bloc Républicain – pourraient former une coalition capable d’atteindre le seuil requis en se répartissant les 20% nécessaires. «Patrice Talon sait très bien que même s’il dit qu’il part, il aura un parlement qui sera 100% ou 99% ou 90% pro-Talon», déclare Kémi Seba. Cette configuration permettrait selon lui au président sortant de «continuer plus que jamais à voter des lois qui protégeront sa rente financière» même après son départ officiel.

Le scénario redouté d’une prolongation institutionnelle

L’opposant évoque un second scénario où aucun parti n’atteindrait le seuil des 20%, même en coalition. Dans ce cas, «le conseil constitutionnel sera saisi et va décréter une prolongation de mandat», prédit-il, accusant l’institution d’être sous contrôle présidentiel. «Le conseil constitutionnel qu’il contrôle de A à Z sera en réalité le conseil constitutionnel qui va le forcer à prolonger son mandat», soutient Kémi Seba, suggérant que cette prolongation «forcée» constituerait le véritable objectif du président.

Concernant les élections présidentielles, l’opposant dénonce également un système restrictif. «Sur la vingtaine, trentaine de partis politiques à minima qui existent au Bénin, le président Patrice Talon n’autorise aujourd’hui que trois partis à se présenter», affirme-t-il. Ces trois formations seraient les deux partis pro-gouvernementaux (UPR et Bloc Républicain) et un seul parti d’opposition toléré, Les Démocrates. Les « forces panafricanistes » et « anti-système » seraient exclues de la compétition : « Tous les candidats anti-système […] ne sont pas autorisés à se présenter », a dénoncé Kémi Seba, fustigeant un « verrouillage » du débat public.

Face à cette situation qu’il qualifie de « braquage politique », l’opposant appelle au boycott électoral : «Si vous allez aux élections, telles qu’elles sont avec le code électoral truqué que vous connaissez, vous allez légitimer le système politique truqué et vicié du président Patrick Talon.» Il annonce des «actions ciblées contre le système néocolonial» tout en précisant : «Jamais, jamais, on va s’attaquer à des entités physiques, jamais, parce que je suis anti-violence et je serai toujours, mais on ne va pas laisser le système électoral être bradé».

Une vision contrastée du leadership béninois

Ces accusations tranchent avec l’image véhiculée par les partisans du président Talon, qui mettent en avant sa décision de respecter la limite constitutionnelle des mandats. Alors que certains observateurs saluent cette position comme exemplaire sur un continent où la tentation du troisième mandat reste forte, l’opposition radicale dénonce un système politique qu’elle juge verrouillé.

«Patrice Talon sait exactement ce qu’il fait. Il est juste plus rusé que dramatique Ouattara et que l’immortel Biya. Mais sinon, il est dans la même réalité», conclut Kémi Seba, établissant un parallèle avec d’autres dirigeants africains critiqués pour leur longévité au pouvoir. Cette controverse illustre les tensions qui traversent le paysage politique béninois à l’approche des échéances électorales de 2026, entre partisans d’un bilan gouvernemental salué et opposants dénonçant une dérive autoritaire du système démocratique.

 
GR
 

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