Alors qu’une majorité de Camerounais espérait une non-candidature du président Paul Biya à la prochaine élection présidentielle, ce dernier n’a pas dérogé à ses habitudes. Il briguera un énième mandat. Il l’a récemment annoncé. Dans la chronique ci-dessous, Michel Tagne Foko, Chroniqueur, écrivain, parle d’un chef de l’Etat énigmatique et de son pays.

Pau Biya, au pouvoir depuis plus de trois décennies au Cameroun, a récemment annoncé
une nouvelle candidature à la présidentielle, provoquant des réactions mitigées. © AFP/POOL/Lintao Zhang

 

Michel Tagne Foko, Chroniqueur, écrivain, éditeur, membre de la société des auteurs du Poitou-Charentes (France) © D.R.

On parlait du Cameroun. De la décision de son chef de l’État de se représenter à la magistrature suprême. La situation était tellement invraisemblable que personne n’osait s’en moquer. L’air était pesant. Nous étions gênés. Nous avions pitié. S’émaillait un sentiment de tristesse, de honte. On se demandait ce que pouvait bien penser ce monsieur. À son âge, quatre-vingt-cinq ans. Privé de retraite. L’âge où l’on devrait avoir le droit de se reposer. Profiter des quelques années qu’il nous reste à vivre… Mais non, on lui a dit qu’il est bon. Qu’il est fort. Indispensable. Le plus sage de son pays…

Qui l’a conseillé de se représenter ? Qui vote pour cet homme ? La pitié n’existe donc pas dans les cœurs ? Comment peut-on accepter de voir quelqu’un se flageller devant nos yeux ? N’est-il pas temps, pour le Cameroun, d’adopter une loi sur la non-assistance à personne en danger, pour sauver ce monsieur ?

Il est là. Debout. Dans son costume. Il vacille fréquemment sur ses jambes. Assis. Souvent. Il bombe son torse ridé. Il a du mal à respirer. Son ventre est rempli de soupe. De bonnes soupes. Il semble grand. Il semble fort. Il se sent puissant. Il se prend pour un roi, et pourtant, nous sommes en République. Ça plaît à son entourage. Ça titille. Ça rend heureux. Après trente-cinq ans, comme président de la République, ils en veulent encore…

Il a placé sa famille et ses amis à tous les postes les plus juteux de la République. Il nomme des morts, par décret, à des postes de responsabilité. Il ne connaît pas tous ses ministres. Il préside rarement le Conseil des ministres. Il passe son temps à Genève, en Suisse. Il est celui qui dépense environ soixante-cinq millions de dollars en déplacements alors que 50% de sa population vit en dessous du seuil de pauvreté…

Il traite sa population «d’apprenti sorcier», de «terroriste». Il opprime ses opposants politiques, jette les homosexuels en prison, s’immisce dans le traditionnel. Il a réussi à massacrer les cultures animistes. Cultures qui avaient pourtant résisté à la colonisation. Il a commencé par remplacer «roi», par chef. «Royaume», par village. Ensuite, il s’est mis à choisir quel «village» était de «premier degré», de «deuxième degré», de «troisième degré»… pour clôturer, il alloue une allocation aux chefs qui chantent ses louanges au quotidien…

Il s’exécute rarement. Il est attendu partout. Il n’y va pas souvent. Le jour où il décide d’honorer de sa présence, sa nonchalance et son air de supériorité crèvent l’écran, tel le messie venu sauver son peuple. Il résiste et persiste. Il se sent irremplaçable. Comment peut-on imaginer le remplacer ? Il se prend pour Dieu. Il est Dieu. Oui, le dieu des Camerounais. À force, ça se voit, quand il parle. Il se croit beau. On lui a dit qu’il était encore jeune, et il l’a cru. Il a même ri. Il aime rire. C’est la seule et vraie chose qu’il lui reste réellement… Faire claquer son dentier.

Il ne donne jamais des meetings. Il n’aime pas ça. De plus, il n’a plus la force pour ce genre de truc. Et c’est un fait. Il préfère que l’on se prosterne à ses pieds. Ça lui donne un semblant de réconfort. Il aime voir l’autre souffrir. Ça lui permet de relativiser son propre sort. Parce que, en vrai, il se bat contre lui-même. C’est quelque chose d’horrible. Il a peur du noir. Il a peur de la lumière. Il a peur de la mort. C’est pour cela qu’il s’accroche à cette fonction.

Un Togolais a dit : «par pitié, et seulement par pitié, si j’étais Camerounais, je voterais pour ce grand-père». Un Camerounais a dit : «L’État du Cameroun est devenu un État colon. Le colon n’est plus blanc, il ressemble aujourd’hui à l’ébène, bien noir, noir ciré». Pour essayer de nous consoler, un Béninois a dit : «S’il est si fort que ça qu’il reste encore trente-cinq ans là-bas on voit !». «Il a réussi à me faire le détester. Moi, qui, pourtant, aime les vieux». Un Sénégalais a dit : «C’est marrant… J’ai grandi en entendant parler de lui, il fait partie de mon imaginaire de gamin». Il y a quelqu’un qui a répliqué en disant : «dans la zone du bassin du Congo, ils sont habitués aux rois, et au Cameroun, ils ont le roi fainéant».

Michel Tagne Foko, Chroniqueur, écrivain, éditeur. Membre de la société des auteurs du Poitou-Charentes (France).

 
GR
 

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