Enseignant de philosophie au lycée national Léon Mba à Libreville, Michel Ndong Esso livre ici une réflexion sur le rapport entre la démocratie et la rue, après le renversement d’Abdelaziz Bouteflika en Algérie et Omar el-Béchir au Soudan. L’analyste politique gabonais évoque un «malaise au sein de la République» souvent à l’origine des «manifestations anti-pouvoir».

En Algérie, la rue a fait plier Abdelaziz Bouteflika. © AFP

 

Michel Ndong Esso. © Gabonreview

Comment ne pas réinterroger la nature du lien entre la démocratie et la rue, au moment où la contestation gagne les places publiques des capitales africaines ? Relation contre nature ou mariage de raison, l’intimité entre l’une et l’autre mérite d’être éclairée.

De manière presque simultanée, l’Algérie et le Soudan sont frappés par une vague de contestations populaires au péril des institutions en place. Dans la foulée, des manifestations anti-pouvoir éclatent au Togo. Ces trois cas ont un dénominateur commun: les manifestants dénoncent la prise en otage de la démocratie. C’est donc au nom de la souveraineté du peuple qu’ils contestent la légitimité des institutions établies. Or, de prime abord, cette intrusion de la rue dans la palabre démocratique révèle un malaise au sein de la république. Elle traduit une rupture du circuit institutionnel. En temps normal, il n’appartient pas à la rue de faire ou de défaire les rois.

Dans la république, en effet, la démocratie se joue dans les urnes et non sur la place publique. S’il est acquis que le peuple détient seul la souveraineté, il ne peut cependant l’exercer que par le moyen du suffrage universel. À l’évidence, la république est foncièrement opposée au pouvoir de la rue. Cela conforte une idée chère aux théoriciens de l’État moderne, à savoir que la démocratie est indissociable de l’État de droit. C’est là aussi que réside sa frontière avec l’anarchie. Certes, l’une et l’autre ont à la base la souveraineté populaire, mais alors que la démocratie adule les lois, l’anarchie tente de les anéantir.

Si donc la rue en vient à se mêler à la palabre démocratique, c’est que la république a failli dans ses principes. Cela est vrai sous les cieux d’Alger et de Khartoum, mais aussi pour nous autres sous l’équateur, habitués aux contestations postélectorales. Au demeurant, les soulèvements populaires sont le fait de la discorde entre le peuple et les gouvernants. Ils surviennent avec la dislocation de l’intérêt général, lorsque les lois se trouvent malmenées par les intérêts particuliers. Tant que la discrimination et les injustices sociales seront le lot quotidien des citoyens, il faudra s’attendre à affronter la rue. Pour dire court, la rue grogne quand les institutions faiblissent et que la volonté générale se dissout. C’est une constante universelle : un peuple abusé a tendance à désobéir.

Pourtant la question demeure entière : la rue peut-elle réhabiliter la démocratie africaine ?   La réponse à cette question sonne nette : le salut de la démocratie ne viendra pas de la rue. Tout au plus, la rue expose sur la place publique les malheurs de la communauté. Elle dit haut et fort les incertitudes du peuple. Mais la construction de la démocratie est du ressort des institutions à travers les représentants du peuple. Il appartient en effet à la république en tant que gouvernement des lois d’apporter des réponses aux nombreuses sollicitations du peuple. Autrement dit, le salut de la démocratie dépend de la capacité de la république à se réinventer sans cesse. Ce qui passe par la réforme des cadres institutionnels de la gouvernance. L’ennemi de la démocratie n’est autre que l’inertie des lois, lorsque celles-ci sombrent dans l’oubli du temps et des exigences renouvelées du peuple. À coups sûrs, une république qui ne se réinvente pas devient liberticide. Pour paraphraser un ancien locataire de la Maison-Blanche, l’Afrique a moins besoin d’hommes forts que d’institutions fortes.

Or, la force des institutions réside moins dans la coercition outrancière des lois que dans la recherche de l’intérêt général. On ne décrète pas la démocratie, on la construit dans l’expérience du vivre ensemble. En d’autres termes, la démocratie a pour finalité suprême le bien-être de la collectivité. La paix, disait Kant, est le souverain bien politique.

Par conséquent, si l’Afrique veut consolider sa démocratie, elle doit s’avancer courageusement sur le terrain des réformes. Les crises actuelles doivent inciter davantage à la prise d’initiatives démocratiques, et de moins en moins à la répression militaire sur le peuple. C’est en cela aussi que nos dirigeants forceront le respect du reste du monde.

Ces quelques rappels sont importants pour une démocratie en gestation comme le Gabon, avec ses forces et ses faiblesses. Ils le sont d’autant plus au moment où la diminution des ressources de l’État doit conjuguer avec l’augmentation exponentielle de la demande sociale. Toute fausse note dans l’interprétation des faits peut engendrer des conséquences graves pour l’équilibre de notre société. Autant dire que nos politiques n’ont pas droit à l’erreur : il faut réformer au bon endroit et au bon moment, au risque de réveiller la rue. En un mot, les réformes, si elles sont justes et opportunes, constituent le moyen le plus sûr pour prévenir les dérives et garantir la paix future.

Michel Ndong Esso est enseignant de philosophie au lycée national Léon Mba à Libreville. Il est analyste politique participant à l’émission « Ici l’Afrique » sur Gabon 24.

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Hô Chi Minh dit :

    Plus personne(gouvernant) n’a l’oreille à ça,la famille Bongo ne sait plus quoi faire à part s’en mettre plein les poches le maximum possible sans perspective réelle.À la fin des années 70, le Shah d’Iran avec sa police politique (Savak) semblait tenir le bon bout avec les assurances de son puissant allié de l’époque les États-Unis ,mais la réalité était que le pays était rongé par le bas sans que le Shah et les siens ne le sachent (E.Mpouho).
    Après il faut trouver un pays d’accueil à ce moment les amis se font rare ,le Shah d’Iran en sait quelque chose de la où il est.C’était une petite note d’histoire.

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