Cette réflexion menée par le Docteur Nouveau Régime en Economie mathématique et Econométrie, Fidèle Magouangou, fait le point sur le rôle du francs CFA dans le développement des activités économiques réelles et permet d’éviter les confusions entre ce qui est du domaine de la monnaie de ce qui ne l’est pas.

Franc CFA de l’Afrique du Centre et de l’Ouest. © AFP/Issouf Sanogo

 

Fidèle Magouangou, Docteur Nouveau Régime en Economie Mathématique et Econométrie. © D.R.

Introduction

Depuis près de deux ans, la société civile de certains pays africains et des chercheurs reconnus, à l’instar Kako Nubukpo, accusent le franc CFA d’être un frein au développement économique à cause du rationnement du crédit qu’il impose, en plus d’être un héritage et une perpétuation de la colonisation. En même temps, les dirigeants des pays africains de la Zone franc (PAZF) défendent le franc CFA et soutiennent que celui-ci, étant arrimé à l’euro, qui est une monnaie forte, a réussi à maitriser l’inflation et de ce fait, est un catalyseur de développement des pays qui l’utilisent. Les premiers militent pour la sortie de la Zone franc et l’abandon du franc CFA et veulent l’enterrer précipitamment, même vivant, alors que les seconds sont favorables à son élargissement avec l’intégration de nouveaux pays comme le Ghana ou le Nigéria dans la communauté des pays utilisateurs du franc CFA.

Alors, comment comprendre que sur un sujet aussi important qui concerne un domaine de souveraineté qu’est la monnaie, on peut se retrouver face à des positions contradictoires aussi tranchées ?

Pourquoi y a-t-il tant d’illusions dès qu’on parle du franc CFA ?

L’objet de cette réflexion est de faire le point sur le rôle du francs CFA dans le développement des activités économiques réelles et d’éviter les confusions entre ce qui est du domaine de la monnaie de ce qui ne l’est pas. La lutte contre l’inflation, aussi nécessaire soit elle, ne peut pas constituer, à elle seule, un programme économique.

C’est ainsi que nous arrivons à la conclusion, qu’à moyen et long terme, le franc CFA est neutre vis-à-vis de la croissance économique. Les vrais déterminants de la richesse nationale se trouvent dans l’amélioration de la productivité du travail, la capacité à produire le maximum des biens et services consommés par sa population, l’attractivité de l’économie gabonaise pour les Investissements directs étrangers (IDE) et le développement des institutions solides et fiables, capables de garantir une bonne gouvernance. La monnaie, franc CFA ou autre, n’intervenant qu’en dernier ressort.

Pourquoi faut-il combattre l’inflation ?

L’inflation est une hausse du niveau général des prix. Elle provoque une baisse du pouvoir d’achat et une perte de valeur de la monnaie. Si on fait l’hypothèse que les ménages gabonais ne consomment que le poisson, le fait que le kilogramme (kg) de dorade est passé de 2.000 à 5.000 francs CFA entre 2008 et 2018 fait que leur pouvoir d’achat a diminué. En effet, avec 10.000 francs CFA, les Gabonais pouvaient acheter 5 kg de poissons en 2008 alors qu’en 2018 les mêmes 10.000 FCFA ne donnent plus que 2 kg de dorades. Cette baisse du pouvoir d’achat est préjudiciable au bien-être des populations et c’est l’une des raisons pour lesquelles elle doit être combattue.

L’inflation pénalise également notre compétitivité et par conséquent nos exportations. Si nos produits sont plus chers que ceux de nos concurrents, notre pays perdra des parts de marché et certaines entreprises peuvent faire faillite avec pour corolaire des pertes sèches d’emplois.

Le Gabon a exporté, en 2016, en dehors du pétrole brut et des produits dérivés du pétrole, du bois scié et ouvrages (257 mds), du caoutchouc naturel (11 mds), du ferro-silico de manganèse (5 mds), de l’huile de palme (1.5 md) entre autres. Sur chacun des marchés, il existe de concurrents qui profiteraient d’un renchérissement de nos prix à l’exportation dû, par exemple, à une augmentation de nos coûts de production.

Enfin, l’inflation entraine des taux d’intérêts élevés qui n’incitent pas les ménages au crédit à la consommation. Actuellement, le taux débiteur moyen pour ce type de crédit au Gabon est au dessus de 15% alors qu’il se situe en dessous de 3% en France.

Le franc CFA a-t-il vaincu l’inflation ?

Le franc CFA est rattaché à l’Euro par un taux de change fixe. L’Euro étant reconnu comme une monnaie forte, le franc CFA l’est aussi de fait. Une monnaie forte procure des avantages que les pourfendeurs du franc CFA feignent d’ignorer.

Précisons d’abord qu’une monnaie forte est celle dont la valeur courante est au-dessus de sa valeur d’équilibre. Cette dernière peut être déterminée en utilisant «l’indice Big Mac». Reprenons notre exemple du poisson mentionné précédemment et faisons l’hypothèse que le Big Mac est représenté par ce dernier. Si en 2018 le kg de dorade coute 7 Euros en France et 5.000 francs CFA au Gabon, alors la parité de pouvoir d’achat (le taux de change d’équilibre) est 1 € = 714 (5000/7) francs CFA. Le cours officiel étant de 1 € = 656 francs CFA, en dessus de sa valeur d’équilibre, le franc CFA est surévalué de 8%. Si cette situation dure, alors le franc CFA pourra être considéré comme une monnaie forte par rapport à l’Euro dans notre exemple.

Avoir un franc CFA fort c’est avoir un pouvoir d’achat renforcé pour acheter des produits et des services facturés dans de monnaies relativement faibles comme le Dollar, le Yen, le Rand, le Yuan etc. En réduisant le prix des importations, le franc CFA fort limite l’inflation importée. Il s’agit d’un avantage considérable pour les entreprises lorsqu’elles importent les biens d’équipement et les consommations intermédiaires (les engrais par exemple) qui ont un contenu technologique appréciable. Même avantage lorsqu’il s’agit d’importer des produits pharmaceutiques et du matériel médical qui ne peuvent être fabriqués localement.

C’est également un avantage pour l’Etat lorsqu’il rembourse la dette extérieure libellée généralement en devises étrangères. Il faut se souvenir que lorsque le franc CFA a perdu 50% de sa valeur suite à sa dévaluation en 1994, la conséquence automatique a été le doublement de l’encours de la dette publique en monnaie nationale. Celui-ci a réduit énormément les marges budgétaires à même de financer les filets de protection nécessaire à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

Toute personne qui se souvient des conséquences désastreuses de la dévaluation du franc CFA, ne peut pas souhaiter revivre l’expérience d’une monnaie faible qui n’a pas eu les effets positifs attendus de la fameuse courbe en J si souvent plébiscitée par certains économistes. Les économies des PAZF étant extraverties, nous pouvons reconnaître que le franc CFA a permis de maitriser l’inflation (qui tourne autour de 2%) et d’assurer la stabilité de la monnaie à travers une politique monétaire restrictive caractérisée par un rationnement du crédit.

Mais il faut souligner le côté négatif de cette politique du franc fort imposée de l’extérieur est que cette monnaie devient un frein de la compétitivité de nos exportation et au développement économique.

Comment capitaliser les bienfaits d’un franc CFA, d’un dolè ou d’un miang, fort ?

La monnaie est pour l’économie ce qu’est la température du corps ou l’électrocardiogramme du cœur pour l’examen du médecin, ils renseignent sur l’état de santé d’un patient. De même, en économie, la valeur de la monnaie traduit l’état de santé de l’économie (taux de croissance, taux d’inflation, situation du budget et de la balance des paiements).

Que faire pour renforcer la valeur de la monnaie, qu’elle soit nationale, régionale ou continentale ?

Avant de répondre à cette question, il faut préciser que la valeur du FCFA est soutenue par la santé de l’ensemble des économies des PAZF matérialisée ici par le niveau des réserves de change dans le compte d’opérations. La réponse est claire et connue de tous les économistes. Il faut que le pays, la région ou le continent produise, de façon habile, le maximum de biens et services consommés par sa population afin de n’importer que ce qui ne peut être produit localement et qui est nécessaire à la vie.

Le fait pour les PAZF de ne pas produire grand-chose fait que le système bancaire a peur d’accorder des crédits aux opérateurs économiques. En effet, ces crédits sont automatiquement utilisés pour importer des biens et services de l’étranger, diminuant ainsi les réserves de change et mettant en péril la parité du FCFA avec l’euro. Or, il n’y a pas d’activités économiques sans crédit. Le système actuel a fait le choix de privilégier la valeur du franc CFA au détriment du développement économique. Le seul moyen envisageable pour atteindre les deux objectifs, c’est-à-dire une croissance économique soutenue et un franc CFA fort, est d’augmenter significativement la production domestique.

En maitrisant ses importations grâce à une production locale importante, un pays, une région, un continent peut accumuler des réserves de change qui lui permettront de maintenir la parité fixe, de garantir un certain nombre de mois d’importation, de faire face au remboursement de sa dette extérieure et assurer ainsi la couverture extérieure de sa monnaie.

En général, pour produire un bien (le riz, la viande, les tubercules, le poisson, le lait, le beurre, la télévision, la voiture etc.) ou un service (le transport, le fret, les soins médicaux, l’éducation, la communication, le gardiennage…) les entreprises utilisent principalement trois facteurs de production que sont le travail, le capital et le progrès technique.

Compte tenu du fait que notre pays est sous-développé, c’est-à-dire pauvre en intelligence humaine, au sens du rapport de la société à son environnement, nous n’avons pas suffisamment de capital et nous ne maitrisons pas le progrès technique par absence de recherche et d’innovation. Nous pouvons simplement utiliser le travail comme déterminant principal de l’enrichissement national, régional ou continental.

La stratégie du décollage économique

Nous pouvons faire le choix de concentrer notre stratégie économique sur la production des biens de consommation voire uniquement sur celle des produits alimentaires puisque nous avons des terres en abondance.

Pour rappel, nous avons importé au total 1.343 milliards de franc CFA de biens en 2016. Les biens de consommation (454 mds) représentent 34% et les produits alimentaires (323 mds) soit   24% du total des importations.

En termes de services nos estimations aboutissent à un chiffre de 885 milliards dont 426 milliards de services aux entreprises (services numériques, activités comptables, publicité, architecture, activités juridiques etc.), 285 milliards de fret et assurance de marchandises et 115 milliards de voyages entre autres.

Comment améliorer la productivité du travail ?

Le travail devient plus productif lorsqu’il est associé à un capital physique (intensité capitalistique) et une technologie appropriée. Un pays qui a une accumulation du capital plus importante et une technologie plus avancée pourra produire plus avec une même quantité de travail qu’un pays dont la technologie est plus primitive. Ne la produisant pas, notre pays doit l’importer. Dans cette opération de transfert des technologies l’Etat doit jouer un rôle actif en étant le leader qui incite les entreprises privées à adopter des procédés de production plus efficaces.

C’est pour cette raison que nous proposons la création de trois grandes entreprises publiques dans les domaines de l’agriculture vivrière, de l’élevage et de la pêche. Celles-ci pourraient être privatisées plus tard si la gestion publique montrait à nouveau ses limites. La création desdites entreprises publiques se justifie par le fait que ces activités ne peuvent être développées sans des subventions publiques car ayant un niveau de profitabilité très faible voire nulle à court terme. Elles ne peuvent donc par attirer le secteur privé local et à fortiori les investissements directs étrangers qui sont plutôt intéressés par les cultures d’exportation comme l’hévéa et le palmier à huile à l’image de ce que fait Olam Gabon. De toute façon notre système financier (frileux) et notre système judiciaire (malveillant) n’incitent pas à l’optimisme quant à notre capacité à attirer les investissements étrangers.

Nous proposons également la création d’une agence chargée de la veille et du transfert de technologie. Elle aura pour mission principale d’adapter les technologies disponibles à l’étranger au Gabon. Cette agence pourrait être associée à un centre de recherche dont l’objet sera le suivi des évolutions de la recherche fondamentale et appliquée dans les domaines de la biotechnologie agricole, de la technologie numérique, des nanotechnologies etc.

Enfin, nous proposons la création d’une compagnie nationale de transport aérien à l’image de Rwandair ou d’Ethiopian, deux transporteurs aériens qui font la fierté du continent et sur lesquels on peut s’inspirer pour la mise en œuvre d’un système de management performant. L’importance des importations de services voyages (estimés à 115 mds de FCFA) montre clairement l’existence d’une demande effective pour ce marché du transport aérien.

La réussite de ce Plan de décollage économique (PDE) nécessite l’existence d’un environnement macroéconomique et politique sain, qui restaure la confiance des agents dans leurs institutions. Celles-ci ne pouvant être crédibles que dans la mesure où il existerait des contrepouvoirs garantissant la culture de la bonne gouvernance.

Conclusion

La stratégie économique d’un pays comme le Gabon doit viser la transformation de sa structure économique pour la faire passer d’une économie de rente à une économie de production. Il faut développer nos capacités à produire ce que nous consommons en créant des entreprises publiques selon une programmation réaliste.

Cette transformation est favorisée par l’existence de ressources financières issues de la vente des matières premières qui permettent d’importer les technologies nécessaires à l’augmentation de la productivité du travail. Nous pouvons tirer profit de nos dotations factorielle en terre et de 800 km de cotes sur l’océan atlantique pour développer les activités agricoles, d’élevage et de pèche en intégrant progressivement les technologies qui ont déjà fait leurs preuves ailleurs. Il est possible de construire une capacité à produire le riz par exemple pour tenir compte de l’évolution des préférences des consommateurs, en particulier des plus jeunes. En plus, ces activités, intensives en travail, vont créer de nombreux emplois stables et contribuer à la baisse du chômage. Elles peuvent également lutter contre l’exode rural par la dissémination géographique des activités économiques à l’intérieur du pays et contribuer ainsi au renforcement de la cohésion des provinces.

Ensuite, il faut s’atteler à limiter les importations de services tels ceux d’architecture, de conseils juridiques et des activités comptables en veillant à une meilleure organisation des corporations locales existantes tout en renforçant leur capacité opérationnelle. En faisant cela, il est aisé de renforcer la valeur de notre monnaie quelle qu’elle soit et de mettre un terme à toute forme de fantasmes et d’illusions sur le FCFA !

De toute façon, compte tenu des rapports de forces qui ne nous sont pas favorables dans les relations internationales, même s’il n’est pas possible d’être indépendant sur le plan militaire et monétaire il faut essayer au moins d’être autonomes sur le plan alimentaire. C’est possible !

Fidèle Magouangou, Docteur Nouveau Régime en Economie Mathématique et Econométrie (Aix-Marseille II), Conseiller municipal (Mandji, Ndolou).

 
GR
 

3 Commentaires

  1. Ikobey dit :

    Très bon article ! vision réaliste, clair, précise sans blabla et sans démagogie idéologique.
    Je diverge sur certains points : la création de 3 grandes entreprises publiques dans l’agriculture et la pêche. Je serais plus favorable à la création d’un organisme d’Etat de soutien à l’agriculture familiale et villageoise par une assistance technique et une formation professionnelle gratuite et continue ainsi que par éventuellement des subventions (limités dans le temps et le montant)pour favoriser nos agriculteurs à s’adapter et à améliorer le mode de production. Il faudrait aider les agriculteurs pour l’acheminement des productions vivrières vers les lieux de consommation.
    Les grandes entreprises publiques , surtout en agriculture, ont souvent montré leur inefficacité à un coût très important.

    Encore félicitation à M.Magouangou pour son travail. C’est le genre d’article que l’on aimerait lire plus souvent.

  2. OSSAMI dit :

    On apprends beaucoup de choses.
    Hormis le volet agricole, je suis d’accord pour la création d’une compagnie aérienne sur l’exemple d’ETHIOPIAN qui a fait ses preuves depuis belle lurette. Ce ne sont pas les cadres qui manquent dans ce domaine, les lignes et la clientèle non plus, sinon mettons nous ensemble avec les autres pays de la CEMAC pour casser le monopole d’Air France dans notre sous région.Si Air France a des vols 7/7 jours dans tous les pays de la sous région, c’est qu’il y a de l’argent à gagner.

  3. jones dit :

    Bon développement et beaucoup de théorie pour nous dire que le franc cfa est bon. Mais ce que je pense, c’est qu’une question de souveraineté aussi importante peut être tranchée simplement par référendum et non faire l’objet des petits accords entre chefs d’Etats et la France qui sont ensuite classés secrets.

    Il s’agit de l’avenir d’un peuple, du peule gabonais,du peuple africain qui doit prendre son destin en marche, donc qu’il faut consulté et pour qu’on ait son avis tout simplement.

    Quand il s’est agi de l’euro (notre grand frère très protecteur), les opinions publics ont été consultées. Et pourquoi pas celles des pays africains (PAZF)? sommes nous toujours pas suffisamment mûrs pour comprendre ce qui est bien ou mal ?

    Le FCFA n’a d’avenir que si l’on continue d’ignorer ceux là même qui le touche et le manie tous les jours donc le peuple. Une simple consultation populaire pourra envoyer ce truc aux calendes grecs.

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