Après une semaine mouvementée et des révélations fracassantes, Muddy Waters cherche un second souffle pour pousser Olam à la faute. Son rapport explosif n’a pas eu l’effet escompté auprès des actionnaires du géant singapourien qui a pu, pour le moment, conserver sa crédibilité sur les marchés financiers.

Sunny Verghese, patron d'Olam International, résiste bien à l'agression de Muddy Waters et se paie le luxe de le défier - © BBC News

Dans le «soap opera» qui se joue entre le raider analyste américain Muddy Waters Research (MWR) et le groupe Olam International, la cible parfaite pour faire de l’argent rapidement que décrivait Carson Block, le fondateur de MWR, semble plus coriace qu’il ne l’avait imaginée, ou du moins annoncé. Sans revenir sur les détails de la guerre qui oppose ces deux monstres de la finances, l’un par son appétit et son audace, l’autre par sa taille, reconnaissons toutefois que ces derniers jours ont un peu clarifié les positions de l’un et de l’autre.

Face aux accusations de bilan, sinon trafiqué, du moins manipulé, décrit par le rapport de 133 pages de Muddy Waters, Olam à répondu qu’elle était capable de lever immédiatement 10 milliards de dollars de trésorerie en vendant ses stocks de marchandises, essentiellement des produits alimentaires faciles à écouler, des noix de cajou, du café, du cacao, du riz, du coton et beaucoup d’autres. Le groupe a aussi affirmé qu’ils soupçonnaient leur adversaire de servir de paravent à des hedges funds, ces vautours de la finance, prêts à dévorer ce qui serait disponible dans le cas d’un dépeçage d’Olam.

A ce jour, Olam est parvenu à limiter la casse sur les marchés boursiers en ne perdant que 9,5% sur son titre alors que la chute s’élevait à plus de 21 % une semaine plus tôt. Les banquiers spécialistes des matières premières ont plutôt soutenus la défense d’Olam en affirmant que les dettes de ce dernier étaient somme toute raisonnables et correctement proportionnées à sa taille et à son activité.

Pour Carson Block, «La réponse d’Olam est essentiellement un gaspillage de toner, d’autant que celle-ci se compose de diapositives de présentation en conserve et de bave de consultant. (…)Il semble que le Titanic fonce à pleine vapeur vers l’iceberg». Le ton employé par Sunny Verghese, le patron d’Olam, n’est guère plus diplomatique : «Ce “bogey” [crotte-de-nez, ou épouvantail, au choix, en français – ndrl] est en train de dire que nous avons une sorte de crise de liquidité mais ses accusations ne peuvent être corroborées. (…) Je n’arrive pas à comprendre comment Muddy Waters pourrait dire que la compagnie peut échouer. (…) Nous avons d’abondantes liquidités, avec une marge de sécurité importante, compte tenu de la réaction probable des marchés de capitaux de la dette.»

Mais à ce stade, il est évident que les deux adversaires tiennent leur agenda et qu’ils sont singulièrement incompatibles l’un avec l’autre. Muddy Waters est un spécialiste de la vente à découvert et des opérations spéculatives menée dans des temps très courts. Il vend des titres de leurs victimes acquis «à découvert», c’est à dire payables plus tard, lorsque les taux sont élevés, puis l’attaque pour faire baisser les cours en bourse afin de les racheter beaucoup moins cher dans les jours qui suivent, empochant la différence. Olam, elle, a une stratégie à long terme, 5 ans, 10 ans ou plus pour certains investissements. Et pour le moment, l’entreprise semble avoir déjoué les ruses de son agresseur.

Car Olam dispose d’atouts qu’a visiblement négligé Carson Block : son principal actionnaire est un fond souverain de Singapour, un investisseur public donc, capable de lever des sommes considérables instantanément avec la garantie de l’État. Stephen Forshaw porte-parole de Temasek, actionnaire majoritaire d’Olam, a en effet déclaré dans un communiqué envoyé par courrier électronique le 29 novembre que sa société d’investissement appartenant à l’État maintenait sa participation dans Olam et qu’elle était prête à l’augmenter encore.

Non content d’avoir rassuré les investisseurs par la solidité de ses appuis financiers et le soutien public de ses clients, Olam contre attaque en déclarant le lundi 3 décembre qu’elle allait se constituer une trésorerie encore plus solide par la vente imminente de 1,25 millions de dollars d’obligations et de bons de souscription. Plus fort encore, Olam a annoncé le rachat du plus gros exportateur d’oignons déshydratés, Dehydro Limited, un investissement de 30,8 millions de dollars, alors que Muddy Waters lui reproche justement sa frénésie de rachats dans les secteurs productifs qu’elle juge risqués. Bref, Olam montre les dents, et même se moque ouvertement du trublion américain, fort du soutien d’une grande partie du monde de la finance. «Nous ne faisons pas cela pour la liquidité, nous avons déjà la liquidité», a déclaré lundi Sunny Verghese.  «Nous faisons cela pour démontrer que nous pouvons accéder aux marchés de la dette et des capitaux à ces taux d’aujourd’hui (et) que nous avons un actionnaire important qui est prêt à nous appuyer et nous soutenir, non par des mots mais par des actes.»

Au Gabon, la plupart des journaux et commentateurs n’ont retenu que les gros titres de la semaine dernière. Les opposants au régime, qui voient en Olam un nouveau colonisateur sur les marchés de l’agriculture et du «Gabon vert» se réjouissent bruyamment de sa «faillite imminente» et avec elle celle de la présidence qui en est le principal soutien au Gabon. Un jugement un peu hâtif sans doute. Les partisans du pouvoir ne veulent y voir que les mauvaises manières du monde de la finance dont ils rappellent les errements spéculatifs de ces dernières années. Là aussi de manière beaucoup trop simpliste, car si Olam reste un groupe solide, les arguments de Muddy Waters ne sont pas pour autant sans fondements. Enfin, les écologistes et la société civile militante se réjouissent un peu vite de la chute de ce qu’ils considèrent, avec raison d’ailleurs, comme une multinationale de la monoculture intensive, un dangereux destructeur de forêts et surtout un spéculateur très agressif dans l’agroalimentaire. Les trois ont en partie raison, sauf que s’il est un domaine où les bons sentiments et la logique politique ont largement démontré leur impuissance, c’est bien celui de la finance internationale. Entre Olam et Muddy Waters, la bataille est loin d’être jouée, même si la première a, pour le moment, réussi à prendre l’avantage.

Toutefois, le véritable souci qu’annoncent les observateurs qualifiés des marchés boursiers est que l’attaque par Muddy Waters sur Olam, pourrait rendre les investisseurs nerveux sur l’ensemble du secteur des matières premières. En privé, ils disent qu’ils craignent que certains investisseurs, en particulier les personnes fortunées, modèrent leurs ardeurs pour financer l’industrie jusqu’à ce que les eaux autour d’Olam s’éclaircissent à nouveau. Ils redoutent alors que ce litige relance une flambée des prix des matières premières agricoles dont les conséquences seraient catastrophiques.

 
GR
 

8 Commentaires

  1. saydou kan dit :

    Si je conmprend bien et compte tenu de la strategie de muddy waters (detruire mediatiquement – acheter – revendre), on peut considrer que OLAM est plutot une entite stable et viable, sinon il ne serait pas la cible de ce cabinet predateur…!?

  2. ni lire ni écrire dit :

    Après Blackwater, Muddy Waters… décidemment la World Company, dans ce qu’elle a de pire, manque d’imagination quand elle décide de jouer les Rambo, que ce soit au sens propre ou sur les marchés financiers…

  3. moi makaya dit :

    ah le monde de la finance et de la spéculation ça c’est du vrai terrorisme. l’expression « s’enrichir sur le dos des autres » prend tout son sens.
    l’objectif de l’un de l’autre est clair, pour MWR, olam doit perdre sa crédibilité au près des marchés pour voir une chute abissale de son titre, qui ensuite est racheté à prix réduits par MWR. de l’autre côté, nous avons les actionnaires d’olam qui se posent en garantie, prêt à lever des fonds pour endiguer une chute probable annoncée.
    ce qui nous interesse ici, c’est la participation du gabon dans l’investissement d’olam. le gouvernement joue son va tout en matière de capacité à établir un partenariat dont les risques encourus sont à terme un remboursement total en cas de faillite de l’entreprise (ce qui n’est pas souhaitable en tant que citoyen). au fond, les journaux n’ont pas tord d’avoir retenu seulement les gros titres politiquement parlant, car c’est ce en réalité qui nous interesse, qu’olam se déchire avec MWR ça c’est pas notre souci, mais que les intérêts de notre pays se retrouvent menacés à l’issu de cette bataille ça c’est inacceptable surtout que le gouvernement se place en défenseur de son partenaire ce qui est normal vu ce que cela pourrait impliquer et que l’opposion voit en cela un moyen d’être un peu plus crédible au yeux de la population qui d’ailleurs n’approuve pas nécessairement ce projet sauf pour ceux qui y son directement exposés.
    le principal actionnaire d’olam est un fond souverain d’investissement public singapourien, prêt à débloquer de grandes liquidités, mais il en faut plus pour calmer les marchés et les investisseurs, car on connait la méfiance et les rumeurs qui suffisent pour déstabiliser les marchés et surtout les actionnaires. tout le monde joue sa participation et franchement si je sais que cette bataille devient agassante et persiste, je tempererais ma participation au risque de provoquer la flambé des matières premières et tous ce que cela pourait impliquer. mais en même temps est ce que ce ne serait pas aussi une victoire de MWR?
    quoi qu’il en soit nous devons prendre nos précausions (gabon) à la mesure de notre bêtise quoi…makaya.

  4. Télesphore OBAME NGOMO dit :

    Heureusement que l’on sait lire aussi bien les écrits d’un article que l’orientation donnée à ces écrits. Ce que Muddy Watters a revélé sur Olam est basé sur des faits concrets et des analyses pertinentes, non démenties par Olam d’ailleurs. Cette dernière a même reconnu qu’il y a quelques problèmes mais qui vont être résolus avec le temps et aussi qui connaissent un pic du fait de la crise qui frappe le monde.

    Olam a perdu 9,5% sur son titre, ce qui n’est pas rien. Faut il encore rappeler que des actions ne se désolidarisent pas sans l’avis d’experts?

    Non, cette entreprise n’est pas crédible, elle n’est pas fiable. Elle n’est pas soumise à des exigences de gestion. D’où la gabegie et les montages financiers sans tête ni queue.

    Muddy Watter vient de démonter un géant au pied d’argile de la spéculation. On attend la plainte d’Olam contre Muddy Watter si elle s’est senti diffamée ou offusquée des vérités révélées sur ses mascarades financières.

    • Luc Lemaire dit :

      La plainte contre Muddy Waters a été déposée il y a quelques jours pour calomnie et malveillance. Muddy Waters à son tour menace de proter plainte contre Olam pour l’avoir accusée de travailler à la solde de hedges funds. Mais ce sont des procès commerciaux qui dureront des années, s’ils ne finissent pas par se solder par un accord à l’amiable.

      9,5 % après une semaine d’attaques brutales n’est pas extraordinaire. Olam travaillant sur la durée, et ses actionnaires étant essentiellement des fonds d’investissements, les aléas ponctuels ne mettent pas la société en danger. Quant à savoir si Olam est « crédible », il s’agit avant tout du leader sur le négoce du coton et de la noix de cajou, et d’un acteur majeur dans le café et le cacao, des activités peu susceptibles de chuter.

      Les attaques de Muddy Waters ne portent d’ailleurs pas sur ces activités mais sur la frénésie d’investissements et de rachats d’Olam au Nigeria (où l’entreprise a démarré), au Gabon mais aussi au Brésil, en Asie et dans le Magreb. Quant à savoir si ces investissements dépassent les capacités en trésorerie d’Olam, j’avoue être incompétent pour en juger. Ça ne semble pas être l’opinion des actionnaires ou des marchés, mais rien n’est encore joué. La levée de fonds d’Olam qui ne date que d’hier permettra sans doute d’y voir plus clair. Réponse dans quelques semaines sans doute.

  5. Jean Onomo dit :

    Je ne sais pas quel est le but de celui qui a ecrit cet article. Il faut se departir du contexte gabonais et se situer dans une logique autre que celle tropicale pratiquee par le Gabon et surement les nouveux sponsors de gabonreview. Muddy Waters est une organisation serieuse et reconnue comme tel. ce qui a ete revele sur Olam n’a strictement rien a voir avec le gabon seulement pour que vous deveniez subitement l’avocat du singapourien. D’ailleurs Olam a reconnu les faits a lui reproches.
    C’est une entreprise tropicale tres eloignee des standards modernes voulus par les normes prudentielles. Alors votre Olam, ca ne vole pas haut.

    • Luc Lemaire dit :

      Si vous avez lu cet article, vous aurez sans doute remarqué qu’il n’est pas question de prendre la défense d’Olam mais de remarquer que l’opération financière de Muddy Waters ne fonctionne pas pour le moment. Il n’est, nulle part, écrit ni même suggéré que l’un ou l’autre a raison ou tort dans cette affaire… Enfin, je vous rappelle qu’un précédent article pointait les reproches faits par Muddy Waters à Olam, en particulier certains investissements au Gabon : https://www.gabonreview.com/blog/muddy-waters-et-olam-en-guerre-totale/

      Ce n’est pas aux journalistes de prendre parti, mais à vous de vous forger une opinion sur la base d’informations fiables. Je vous propose de rechercher un peu ce qui se dit dans la presse financière pour vérifier que nous n’inventons ni ne transformons rien dans cet article.

  6. lisiane dit :

    Décidément, j’ai vraiment le sentiment que nombreux sont ceux qui viennent assouvir leur colère et leur haine dans les commentaires sans faire l’effort de lire l’article qui les précèdent ! Ou bien alors ce sont des ânes bâtés. Je ne vois pas, pour ma part, où est la défense d’Olam dans cet article. Au contraire, à de nombreux endroits, le journaliste nous confirment qu’il s’agit d’une multinationale uniquement soucieuse de ses profits et de ses revenus. Mais bon, peut-être n’ai-je rien compris.

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