Les tournées effectués dans les prisons du Gabon par l’ONG pour la défense des libertés «La Voix des Oubliés» ont révélé la présence en milieu carcéral de cas, certes rares mais réels, de malades mentaux, communément appelés fous. Ce qui n’est pas sans soulever quelques interrogations.

© charcot.artabsolument.com

© charcot.artabsolument.com

 

La première question qui vient à l’esprit est celle de savoir si les malades mentaux peuvent être considérés comme des justiciables au même titre que les saints d’esprit. Le bon sens commanderait à répondre par la négative, car on imagine mal comment on pourrait juger pénalement responsable un sujet qui est, précisément un irresponsable, c’est-à-dire un sujet dont on suppose l’inconscience des actes, son discernement étant altéré par son état. Mais le bon sens commande aussi que l’on prenne en compte le fait que l’intéressé peut être suffisamment dangereux du fait de ses troubles mentaux et que les actes qu’il a posés nécessitent qu’il soit emprisonné pour protéger les autres citoyens et éviter la récidive. Que prévoit le code pénal en la matière ?

Les membres de l’ONG «La voix des oubliés» (en polo bleu) avec Me Solange Yenou, présidente (au second plan) en visite à la prison de Tchibanga. © Gabonreview

Les membres de l’ONG «La voix des oubliés» (en polo bleu) avec Me Solange Yenou, présidente (au second plan) en visite à la prison de Tchibanga. © Gabonreview

Selon l’article 50 du code pénal, « N’est pas punissable celui qui était atteint, au moment de l’infraction, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. Dans ce cas, la juridiction d’instruction ou de jugement peut, lorsque l’état de l’auteur est de nature à compromettre l’ordre public ou la sécurité des personnes, ordonner son placement dans un établissement spécialisé».

On le voit, si les circonstances amènent le juge à considérer un malade mental pénalement responsable et décide de le faire incarcérer, une autre question se pose fatalement : notre administration pénitentiaire est-elle outillée en termes de configuration des lieux, de moyens matériels et de ressources humaines pour la prise en charge de tels cas ? Voire. Car, malheureusement, les agents de la sécurité pénitentiaire ne sont nullement outillés pour gérer ce type de cas dont les auteurs n’hésitent pas à agresser soit les gardiens de prison, soit encore leurs co-détenus.

Un des problèmes qui se posent donc, et non des moindres, est celui de savoir dans quelles mesures la justice, à travers l’administration pénitentiaire, peut être à même de s’occuper de condamnés qui nécessiteraient des soins hautement spécialisés. Autrement formulée, la question est de savoir si la prison est le lieu indiqué pour s’occuper des malades mentaux, surtout jugés dangereux pour leurs prochains. Car, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le malade mental a aussi des droits, y compris en matière de santé. Il ne doit pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants, d’une part, et doit être dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine. Singulièrement, au même titre que les autres détenus, ses droits à la santé doivent être garantis. Il doit, notamment, bénéficier de soins médicaux. Et là, le bât blesse forcément car nos prisons n’ont ni les moyens matériels ni le personnel qualifié pour une telle mission.

Au total, l’incarcération, dans les conditions actuelles, de malades mentaux dans nos prisons pose problème dans la mesure où elle expose à de graves dangers les autres prisonniers (violences entre détenus) et le personnel pénitentiaire, tout en prenant le risque d’aggraver encore plus l’état pathologique de ces malades avec les conséquences que l’on peut imaginer, y compris l’automutilation ou le suicide. On prend également le risque d’un effet boomerang d’une telle aggravation lorsque, tôt ou tard, ces fous seront remis en liberté après être devenus encore plus dangereux qu’au moment de leur arrivée en prison. Le problème reste donc entier.

 

 
GR
 

4 Commentaires

  1. Grimba dit :

    M.Makoumba Dissumba bien que la situation des malades mentaux soit honteuse et que ce type de situation fasse perde le nord mais n’oublions qui sont les victimes. M.Makoumba Dissumba les malades mentaux sont des victimes aux même titres que « leurs victimes ». Les coupables se sont ceux qui incapables de s’occuper des malades mentaux les laissent déambuler dans les rues, ces derniers sont parfois armés de couteaux, de barres de fer… Le pire personne ne trouve ça choquant tout le monde crie au drame lorsqu’il y a un accident.
    La question de cet article aurait dû être que font des malades mentaux dans une prison ????
    Cependant je veux vous remercier M.Makoumba Dissumba de relayer et de mettre un peu de lumière sur cette ONG.
    Curieusement il y a personne pour commenter l’article, dès qu’il s’agit de politique politicienne il y a du monde mais les vrais problèmes des gabonais il y a personne. Pauvre Gabon des enfants sont tous des inconscients

    « On juge du degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite ses fous », Lucien Bonnafé,

  2. Biswe dit :

    « La question de cet article aurait dû être que font des malades mentaux dans une prison? »Je ne vous le fait pas dire!
    Pour creuser plus avant le questionnement, encore faut-il se demander quand le sont-ils devenus. Avant leur emprisonnement ou durant celui-ci?
    pour la premère hypothèses, la loi est claire, c’est non!

    Et pour la seconde, cela devient plus compliqué, si l’on tient compte de l’environnement. Evidemment , un fou devenu ne devraît pas être en prison, mais plutôt pris en charge par ceux qui en ont la responsabilité et les capacités, asiles ou hôpitaux psychiatriques.

    Or de ce que l’on sait du principal centre de Mélen, c’est quasiment fuir la peste pour le choléra.

    Finalement, la question ne serait-elle plutôt « Quelle est la politique nationale de prise en charge des maladies et autres déficience mentales?

  3. Oiseau-de-Pluie dit :

    Je trouve ça terrible d’associer « l’automutilation et le suicide » avec la folie…
    La souffrance morale n’a absolument aucun rapport avec le fait d’être fou.
    Exemple : aujourd’hui, 5 novembre, est la journée mondiale de lutte contre le harcèlement scolaire. Des milliers d’adolescents en sont victimes, parmi eux, beaucoup sombrent dans l’anorexie, la mutilation, voir mettent fin à leurs jours. Alors, sont-ils fous pour autant ?
    Non, ce sont plutôt leurs harceleurs qui sont fous !

    La « Maison de Solenn » est un établissement créé pour venir en aide aux jeunes en souffrance, son nom est un hommage à la fille de Patrick Poivre d’Arvor qui souffrait d’anorexie et de boulimie et qui a mis fin à ses jours à l’âge de 19 ans. Etait-elle folle ? Non. Cette maison des adolescents accueille-t-elle des jeunes fous ?
    Non, elle accueille des jeunes en souffrance.

    Valérie Valère est une jeune fille qui souffrait d’anorexie et qui a vécu l’enfer psychiatrique, était-elle folle ? Absolument pas, elle était même dotée d’un talent d’écriture extraordinaire qui avait fait d’elle une écrivaine célèbre. A 21 ans, elle avait déjà publié 3 livres, dont un best-seller. Elle avait simplement un profond mal de vivre lié à un manque d’amour.

    Toutes ces personnes ont souffert, mais elles étaient parfaitement saines d’esprits.

    Alors ça suffit, y’en a marre d’associer les souffrances de l’âme avec la folie, cela n’a aucun rapport !!

    Et ce que je trouve déplorable, c’est que les personnes qui souffrent moralement sont justement… souvent mélangés à de vrais fous. Je parle en connaissance de cause, je l’ai vécu.
    A 18 ans, je pensais au suicide pour mettre fin à une douleur insupportable. J’ai été enfermée dans un hôpital psychiatrique pour « adultes » car je venais tout juste d’être majeure, mais honnêtement, on avait plutôt l’impression d’être en gériatrie car il n’y avait que des personnes âgées avec moi…

    Et ces personnes n’avaient aucun rapport avec moi. La plupart n’étaient absolument pas lucides, ne comprenaient rien à ce qu’on leur disait, et j’en passe. En bref, elles me faisaient même très peur et cet internement où j’ai été torturée avait fortement aggravé mon mal-être.
    Moi, j’étais juste malheureuse, mais parfaitement saine d’esprit, et je n’avais rien à faire là-bas.
    Dans l’hôpital psychiatrique où j’ai été internée, il y avait eu un meurtre à peine quatre ans plus tôt, c’est pour dire… !

    Pour répondre à la question de base : « Peut-on et doit-on emprisonner les malades mentaux ? », je répondrais qu’il faut uniquement emprisonner les personnes réellement folles et réellement dangereuses. Réellement malades mentales, quoi.

    Et non pas les personnes très lucides, très gentilles, qui ne feraient même pas de mal à une mouche comme moi, mais simplement malheureuses…

  4. YOVE dit :

    Dans un Etat de droit, un individu accusé d’un délit ou d’un crime est conseillé par un ou plusieurs avocats tout au long de la procédure, qui commence par la garde à vue. Avant que l’on arrive à la mise en examen, le conseil de l’accusé peut demander l’expertise d’un psychiatre ou d’un psychologue clinicien, au vu du comportement troublant que peut révéler les faits reprochés à l’accusé. Cette assertion concerne, bien sûr, les fous qui n’en n’ont pas forcément l’air. Car on peut être réellement fou ou folle et s’habiller néanmoins en Cardin, en Dior ou en Chanel, et donc avoir l’air d’un « qrand quelqu’un » normal, quoiqu’un peu bizarre, irascible ou sujet à des sautes d’humeur.

    Pour ce qui est de nos fous déambulant dans leur plus simple appareil à travers la ville, en arborant un regard incandescent, et qui sont généralement environnés de pestilence crasseuse, la question ne se pose pas: cela se voit…

    S’il est donc établi que l’accusé est fou, il ne peut pas y avoir de procès suite à l’acte qui lui est reproché, dans la mesure où la reconnaissance de son état mental pathologique est en même temps la reconnaissance de son irresponsabilité devant les tribunaux. Il ne devrait donc pas y avoir d’emprisonnement dans de tels cas.

    Dans un pays normal et un Etat de droit, un tel cas est pris en charge par des structures spécialisées en psychiatrie. Et dans un pays normal, de telles structures sont vraiment conçues et équipées pour soigner; et non pour servir de prison d’un autre genre, qui finit par aggraver la maladie et parfois par entraîner la mort.

    Or, que voyons-nous à Mélen? Une authentique prison pour certains patients et un mouroir à ciel ouvert pour la plupart de ces pauvres hères.

    C’est à se demander si le Gabon a une politique en matière de santé mentale, laquelle aurait dû s’interroger sur les causes de telles pathologies, leur prégnance, leur propagation à grande échelle au sein du tissu social tout entier, les conséquences de cet état de fait sur notre perception commune de la dignité humaine… Je ne sais pas si le Ministère de la santé a diligenté ne serait-ce qu’une étude sérieuse en la matière, si des statistiques existent. Parmi les malades mentaux, quels pourcentages y a-t-il d’hystériques, de névrosés, de schizophrènes?… Combien d’entre eux ont-ils des tendances suicidaires? Combien d’agressions ou tentatives d’agression sont-elles imputables à quelle catégories de « fous », et dans quelles circonstances? Existe-il des cas de guérison opérées par la médecine sur les « fous qui ont marché nus »? Y a-t-il des guérisons obtenues par d’autres voies, notamment par le biais du désenvoutement et de la délivrance?

    Les Gabonais sont en droit de s’imprégner de telles choses. Une telle étude pourrait en dire long sur nous, en tant que peuple, en guise de manifestation de notre HUMANITUDE.

Poster un commentaire