Après une tournée régionale l’ayant conduit, avec le ministre gabonais des Affaires étrangères, Alain-Claude Bilie-By-Nze, auprès des chefs d’Etat de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC), le Secrétaire général de cette institution dresse le bilan de ces déplacements. Dans cette interview accordée à la presse, Ahmad Allam-Mi, note les écueils ayant entravé le fonctionnement de l’organisation et explique la pertinence des réformes en cours censées sortir la CEEAC de sa léthargie.

Le Secrétaire général de la CEEAC, Ahmad Allam-Mi, dressant le bilan de ces déplacements au terme de la dernière étape à Kinshasa (RDC). © Gabonreview

 

Gabonreview : Vous avez sillonné les pays membres de la CEEAC dans le cadre d’une mission que vous a assigné le président en exercice de cette communauté, le président gabonais, Ali Bongo Ondimba. Quel est le bilan de cette tournée ?

Ahmad Allam-Mi: Effectivement, l’étape de Kinshasa où nous sommes actuellement constitue la dernière étape de la mission que nous a confié le président en exercice de la CEEAC, Son Excellence, Ali Bongo Ondimba, au ministre des Affaires étrangères et moi-même pour se rendre dans les différents Etats membres de la CEEAC pour leur remettre les documents finaux qui ont été finalisés par le dernier Conseil des ministres de la CEEAC. Ces documents sont relatifs à la réforme de la CEEAC. On peut donc dire que notre mission est bien remplie puisque nous avons été reçus dans tous les Etats membres par les chefs d’Etat de ces pays.

Comment ont réagi ces chefs d’Etat face au message que vous leur avez livré ?

Tous les chefs d’Etat ont bien accueilli la démarche, la mission que nous a confiée le président en exercice. Ils sont satisfaits du résultat des réunions sur la réforme. Les documents finaux qui leur ont été remis, étaient d’ailleurs paraphés par leur ministre respectif, qui estiment que le moment est venu pour qu’une conférence des chefs d’Etat se tienne rapidement pour qu’on accélère le processus de la réforme. Et c’est ce que nous leur avons dit. Notre objectif est effectivement d’accélérer le processus de la réforme. Ils nous ont rassuré de leur intention d’assister au Sommet qui est programmé pour le 18 décembre, à Libreville. Les invitations ont été envoyées par le président en exercice à ses pairs. Ce sommet sera précédé par un Conseil des ministres, le 16 et le 17, les chefs d’Etat pourront venir, même dans la nuit du 17 au 18 pour les éventuelles concertations préalables.

A quoi peut-on s’attendre à l’issue de ce sommet ?

En général, un sommet extraordinaire a un seul point à l’ordre du jour. Le Seul point à l’ordre du jour c’est la réforme. L’objectif c’est de faire adopter les documents par les chefs d’Etat et de les faire signer par eux. Le résultat sera l’adoption, la signature des cinq documents que nous avons remis et qui étaient déjà validé par les ministres. Il se pourrait qu’il y ait quelques modifications. Les chefs d’Etat sont souverains. Mais nous pensons que le travail a été si bien fait par les experts et par les ministres que les modifications ne seraient pas d’une grande importance. Peut-être des coquilles, mais pas des modifications substantielles.

Si les documents sont signés, la réforme entrait-elle automatiquement en vigueur ?

Un Traité, pour qu’il entre en vigueur, il faut bien qu’il soit ratifié. La signature ne suffit pas. On aura besoin d’une petite période transitoire de quatre à cinq mois qui sera assurée par une équipe de transition. Cela veut dire qu’au mois de mai au plus tard, normalement il est prévu un sommet, cette fois ordinaire, de la CEEAC pour installer la nouvelle équipe de la CEEAC qui serait choisie et nommée dans le cadre de nouvelles dispositifs juridiques. Cette nouvelle équipe ne peut être nommée et travailler que dans le nouveau cadre juridique.

Pourquoi la nécessité d’un nouveau cadre juridique ?

La réforme de la CEEAC est attendue depuis très longtemps. On en parlait déjà depuis 2009 déjà. Mes prédécesseurs ont aussi essayé de la faire aboutir, mais je ne sais pas pour quelles raisons cette réforme a été retardée jusqu’à 2019. En 2015, au Sommet de N’djamena, les chefs d’Etat ont lancé la réforme. Ils ont demandé à ce que la réforme soit accélérée. Pourquoi ? Parce que la CEEAC dispose de textes qui sont très anciens, qui ont été en 1983. Entre temps, l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) a évolué. Elle est devenue l’Union africaine (UA) en 1999. Le monde a changé. La CEEAC a de nouvelles responsabilités dans le domaine de la paix et de la sécurité. Le texte du Copax est un texte qui a été adopté à part, mais qui a été collé et non intégré à l’ancien traité instituant la CEEAC. Le nouveau traité intègre le Copax. Evidemment, il y a que le management de la CEEAC ne disposait pas de textes clairs. Le statut du personnel, le règlement financier, le cadre organique, rien n’était fait. On improvisait. Les choses n’étaient pas claires, les Etats étaient déçus par l’exécutif de la CEEAC qui ne leur donnait pas satisfaction. Et puis il y a eu plusieurs audits qui ont confirmé l’état lamentable de la CEEAC. L’ambiance n’était pas bonne. Il fallait un nouveau cadre juridique et politique pour que la CEEAC puisse ouvrir une nouvelle page et occuper la place qui lui revient sur la scène internationale. Il est courant d’entendre dire que la CEEAC ne marche pas, qu’elle est la dernière communauté économique régionale (CER), etc. En réalité, la CEEAC fonctionne en dépit des difficultés qu’elle rencontre.

Elle remplit plus ou moins ses responsabilités dans différents domaines autant que possible. Mais les Etats membres s’en méfiaient quand même. Il fallait donc un nouveau cadre juridique. C’est depuis 2009 qu’on court derrière la réforme. Cette fois-ci nous avons réformé, révisé les textes fondamentaux, les textes essentiels, c’est à dire le Traité, le cadre organique, le règlement financier et le statut du personnel. En même temps, il y a d’autres textes qui doivent être mis à jour. Ceux-là seront révisés par la nouvelle Commission. Les projets existent, il ne faut pas attendre que ces textes soient adoptés par les ministres, parce qu’il est temps que la CEEAC démarre sur des bases nouvelles.

Parmi les goulots d’étranglement de la CEEAC, il y a aussi le problème des finances, des cotisations. Y-a-t-il des garanties des chefs d’Etat que les caisses de la CEEAC seront renflouées pour qu’elle puisse remplir convenablement ses missions ?

Il est vrai que si l’exécutif de la CEEAC ne dispose pas de moyens financiers pour effectuer son travail, on ne va pas lui demander de faire des miracles. Il ne peut pas donner plus de résultats que de moyens mis à disposition. Aujourd’hui à la CEEAC, nos capacités techniques et financières sont autour du tiers des moyens dont elle devrait disposer. Ceci doit changer. Comme je le disais, le monde a changé. Les CER vont jouer un rôle important dans le cadre de l’architecture de l’Union africaine. Il y a un sommet dédié spécialement au CER, en juillet de chaque année et au cours duquel les présidents en exercice des CER assistent avec les exécutifs. Il faut que la CEEAC soit réformée, renforcée pour qu’elle puisse tenir son rôle. Il faut bien qu’en Afrique centrale qu’on ait une CER dynamique, performante avec des moyens pour qu’elle puisse s’imposer. Si non, je ne vois pas comment on pourra occuper notre place sur la scène internationale.

Il faut que les Etats appliquent la Contribution communautaire d’intégration (CCI) prévue à cet effet. Si tous les Etats appliquaient cette CCI, l’institution pourrait bénéficier d’une enveloppe évalué autour de 50 milliards de francs CFA. C’est un montant supérieur aux moyens dont nous disposons aujourd’hui. Sur un budget de fonctionnement de 17 milliards, nous recevons 7 à 6 milliards par mois. Sur un budget d’investissement des partenaires, c’est 35 milliards. 35 plus 7 cela fait 42 milliards. C’est bien en deçà de ce que peut rapporter la CCI.

En même temps, si les partenaires ne contribuent pas, nous serons en mesure d’investir dans les pays, au lieu toujours de compter sur les partenaires qui ont parfois des conditions très draconiennes en matière de gestion. Vous savez que l’Union européenne (UE) nous impose les procédures financières de l’UE qui sont des règles correspondant à un monde un peu moderne alors que nous, nous avons des conditions très particulières surtout dans des situations de paix et de sécurité comme en Centrafrique.

Vous savez qu’en Centrafrique, nous avons à peu près quatre milliards d’inéligibilité, à la suite des opérations de maintien de la paix qui ont été financées par l’UE entre 2016 et 2013. On nous demande de les rembourser alors que cet argent, je pense que nos militaires, nos missions l’ont bien utilisé pour soutenir nos forces sur place. Tout simplement parce que les factures en question ne correspondent pas aux règles et procédure de l’Union européenne. Par exemple, lorsque vous acheter un cabri en brousse pour nourrir vos troupes, on vous donne un petit papier. Ce n’est pas considéré comme une facture. Quand les chefs militaires prennent la dotation des salaires des militaires, il va sur le terrain pour le leur donner, ce n’est pas considéré comme une facture. Il fallait que chaque militaire signe. Ce n’est pas possible sur un champ. Je ne dis pas qu’il ne faut pas compter sur l’UE, on a besoin de nos partenaires. Mais il est difficile dans certaines conditions de respecter ces règles.

Je viens de dire que nous avons des capacités techniques et financières limitées. Le département administration et finance à la CEEAC a des problèmes techniques, un problème de personnel. On ne peut pas recruter parce qu’on n’a pas de moyens pour les payer. C’est un département pourtant essentiel pour la gestion des moyens qui sont mis à notre disposition. Si le département du personnel ne gère pas bien les ressources humaines, si elles ne fonctionnent pas bien, si la gestion financière ne fonctionne pas bien,… Le pauvre Secrétaire général est aveugle sur ce genre de situation. Il essaie d’éviter autant que possible certains abus.

Mais vous savez que si vous avez une administration faible, vous ne pouvez pas gérer convenablement une maison. Un renforcement des capacités en priorité du département financier et administratif est important pour la bonne gestion de la CEEAC pour qu’on puisse, dans la gestion de l’assistance des partenaires, respecter leurs procédures financières. Il est question même que l’UE nous assiste pour un audit à six piliers comme on dit maintenant pour que la gestion se passe bien. On a des faiblesses à la CEEAC, il faut avoir le courage de le reconnaitre, même en matière de paix et de sécurité par exemple.

Comment appréciez-vous le travail entre la présidence en exercice et le Secrétariat général de la CEEAC, notamment dans le dossier de réforme ?

Nous avons travaillé en toute confiance, en toute symbiose avec la présidence en exercice. Je reconnais que la présidence en exercice nous a soutenu. La mission appartient en effet à la présidence en exercice. Il ne faut pas oublier que la réforme a été confiée par les présidents à la Conférence de N’Djaména à la présidence en exercice, c’est-à-dire le Gabon. Le président en exercice devait être entouré des ministres de l’intégration des Etats membres et d’un cabinet, nous le secrétariat, nous ne faisons qu’appuyer, accompagner, en toute intelligence, en toute confiance la présidence pour qu’on puisse aboutir au résultat que nous avons maintenant. Certains disent que depuis 2015, on aurait pu faire plutôt. Non, il fallait que les consultations soient les plus inclusives. Qu’on puisse associer le maximum de personnes intéressées par la réforme. D’abord, il y a eu l’audit légal et institutionnel qui s’est tenu à Yaoundé en 2015 où ont participé tous les experts des Etats. Beaucoup de personnes ressources. Ensuite, il y a eu une retraite à Libreville entre le Secrétariat général et tout le personnel de la CEEAC et les responsables des institutions spécialisées. Il y a également eu des réunions entre les experts des Etats eux-mêmes. Cela a pris du temps. Ces consultations étaient les plus inclusives possibles car tout le monde a contribué plus ou moins. Et c’est cela le résultat de la présidence en exercice appuyé par le Secrétariat général.

 
GR
 

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