La 3e édition de l’«Etat de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde» (SOFI 2018) révèle que la faim s’est aggravée. Dans l’article d’opinion ci-après, à côté de la préservation de la paix, José Graziano da Silva, directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), tente de convaincre de ce que le renforcement de la résilience face au changement climatique est crucial pour enrayer la faim.

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José Graziano da Silva, directeur général de la FAO. © FAO / Alessandra Benedetti

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et les organismes partenaires des Nations Unies (FIDA, OMS, PAM et UNICEF) viennent de publier l’édition 2018 de L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde.

Pour la troisième année consécutive, la faim a augmenté dans le monde. Le nombre absolu de personnes sous-alimentées est passé de 804 millions en 2016 à près de 821 millions en 2017. Ce sont les mêmes niveaux qu’il y a dix ans. Nous assistons donc à une érosion inquiétante et à un renversement des progrès enregistrés dans la lutte contre la faim. Ces résultats soulignent la nécessité d’une action plus audacieuse.

Les taux de retard de croissance chez les enfants restent trop élevés. En 2017, près de 151 millions d’enfants de moins de cinq ans – soit 22 pour cent – présentaient un retard de croissance. En outre, l’émaciation continue de toucher plus de 51 millions d’enfants de moins de cinq ans.

Les conflits demeurent la principale cause de la faim dans le monde. En fait, l’incapacité à réduire la faim dans le monde est étroitement liée à la recrudescence de la violence, en particulier en Afrique subsaharienne : les efforts de lutte contre la faim doivent donc aller de pair avec ceux visant à soutenir la paix. Le rapport montre également que les effets du changement climatique, en particulier les sécheresses prolongées, constituent un facteur clé de la récente aggravation continue de la faim dans le monde.

En 2017, les chocs climatiques ont été un facteur clé des crises alimentaires dans 34 des 51 pays confrontés à de telles crises. Les températures augmentent et deviennent plus variables. Les journées très chaudes deviennent plus fréquentes et les journées les plus chaudes deviennent encore plus chaudes. Nous assistons à une variabilité accrue des précipitations et le calendrier, la durée et l’intensité des saisons des pluies changent également. Le nombre de catastrophes climatiques extrêmes, y compris les chaleurs extrêmes, les sécheresses, les inondations et les tempêtes, a doublé depuis le début des années 90, ce qui signifie que nous assistons en moyenne à 213 catastrophes de moyenne et grande envergure chaque année.

Les 2,5 milliards de petits agriculteurs, éleveurs, pêcheurs et populations tributaires de la forêt qui tirent leur nourriture et leurs revenus des ressources naturelles renouvelables sont les plus touchés par la variabilité du climat et les phénomènes extrêmes. Les effets directs se font sentir le plus sur les disponibilités alimentaires, compte tenu de la vulnérabilité de l’agriculture face au changement climatique et du rôle primordial du secteur en tant que source de nourriture et de moyens de subsistance pour les pauvres des milieux ruraux.

L’accès alimentaire est également fortement compromis. Les preuves montrent que la variabilité et les extrêmes climatiques s’accompagnent de la flambée des prix des denrées alimentaires et la volatilité accrue des prix. Les acheteurs nets de produits alimentaires, en particulier les pauvres des milieux urbains et ruraux, sont les plus durement touchés par les flambées de prix. Un accès alimentaire insuffisant augmente le risque d’insuffisance pondérale à la naissance et de retard de croissance chez les enfants, lesquels sont associés à un risque accru de surpoids et d’obésité dans la vie.

L’insécurité alimentaire explique en partie la coexistence de la dénutrition et de l’obésité dans de nombreux pays. En 2017, 38 millions d’enfants de moins de cinq ans étaient en surpoids, l’Afrique et l’Asie comptant respectivement 25 pour cent et 46 pour cent du total à l’échelle mondiale. Au niveau mondial, l’obésité augmente également chez les adultes: environ 672 millions d’adultes étaient obèses en 2017, ce qui représente plus d’un adulte sur huit. La consommation accrue d’aliments industrialisés et transformés est la principale cause de l’épidémie de surpoids et d’obésité dans le monde aujourd’hui. Si les gouvernements n’adoptent pas de mesures urgentes pour enrayer l’augmentation de l’obésité, nous pourrions bientôt avoir plus de personnes obèses que de personnes sous-alimentées dans le monde.

Les effets du changement climatique ont également des répercussions sur la composition nutritionnelle des aliments. Des études indiquent que des niveaux plus élevés de CO2 dans l’air diminuent les niveaux de nutriments essentiels, tels que le zinc, le fer, le calcium et le potassium. Cela comprend les cultures de base comme le blé, l’orge, les pommes de terre et le riz.

La résilience face au changement climatique est une priorité pour lutter contre la faim et d’autres formes de malnutrition. La bonne nouvelle est que nous avons les connaissances et les outils nécessaires pour commencer à relever ce défi. Nous avons également l’expérience et les preuves montrant les facteurs transversaux qui appuient les politiques et pratiques efficaces pour faire face aux risques climatiques.

La surveillance des risques climatiques et les systèmes d’alerte rapide s’avèrent essentiels pour que des gouvernements et agences internationales surveillent les risques multiples et prédisent la probabilité de risques climatiques pour les moyens de subsistance, la sécurité alimentaire et la nutrition. Nous voyons également les efforts pour investir dans des mesures de réduction de la vulnérabilité, notamment des bonnes pratiques qui soient résilientes face au changement climatique au niveau des exploitations agricoles ainsi que des infrastructures qui résistent aux effets du changement climatique (y compris des installations de stockage et de préservation des aliments) et une gestion plus efficace de l’eau (y compris l’irrigation, le drainage, les technologies permettant de collecter et d’économiser l’eau, le dessalement et la gestion des eaux pluviales et des eaux usées).

Les agriculteurs aussi agissent. Par exemple, les petits agriculteurs d’Afrique subsaharienne diversifient leurs cultures dans le but de répartir les risques de production et de revenus. Les preuves montrent également que le mélange de variétés de cultures, combinant les meilleures semences des parcelles d’essais sur le terrain avec les variétés traditionnelles pour la saison de culture suivante, permet aux agriculteurs d’accroître la résilience de leurs cultures face au changement climatique.

Le défi consiste à intensifier et à accélérer ces actions afin de renforcer la résilience des moyens de subsistance et des systèmes alimentaires face à la variabilité et les extrêmes climatiques. Nous avons besoin de politiques, programmes et pratiques intégrés de réduction des risques de catastrophe et de gestion et d’adaptation au changement climatique, avec une vision à court, à moyen et à long terme.

Un monde libéré de la faim est toujours à portée de main malgré les récents revers. Mais nous devons agir rapidement, pendant qu’il est encore temps, pour mettre un terme à l’érosion de nos gains durement acquis dans la lutte contre la faim. S’attaquer aux effets du changement climatique – tout en soutenant la paix – contribuera à nous remettre sur la voie vers la réalisation de l’objectif mondial Faim Zéro.

Auteur : José Graziano da Silva, directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

 
GR
 

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