Ce qui devait être une simple mission de vérification professionnelle s’est transformé en cauchemar pour une ressortissante chinoise, directrice générale de la société Baywell Resources Investment. Résidente temporaire au Gabon, cette femme d’affaires opérant dans le secteur minier aurait été victime d’un enlèvement, d’une séquestration illégale, et de violences psychologiques orchestrées par le directeur général d’Imperator/Ivanhoe Gabon SA, le Français Lucas Perez, avec la complicité présumée d’agents du service du B2 à Koula-Moutou, dans la province de l’Ogooué-Lolo. Une histoire à la lisière de l’affaire d’État.

La businesswoman veut la protection complète de ses droits en tant qu’investisseur étranger au Gabon. © Off Investigation

 

Le 23 mai 2025. Ce jour-là, Wu Chunhong, ressortissante chinoise, pensait simplement faire son travail. Accompagnée d’un huissier de justice et de son chauffeur, elle se rend sur le site minier IVANHOE/IMPERATOR, où sa société, Baywell Resources Investment, détient un contrat toujours en cours pour l’exploitation des permis G7-710 et G7-939. Elle vient constater l’état du terrain et réclamer des paiements restés impayés. Mais ce déplacement professionnel va virer à la traque, puis à la détention illégale. À leur arrivée, les visiteurs découvrent des activités d’extraction illégale d’or opérées par de nouveaux sous-traitants, tandis que les structures appartenant à Baywell avaient disparu du site.

Wu reconnaît tout de suite les lieux et les visages : cela fait quatre ans qu’elle travaille avec Lucas Perez, le directeur général franco-gabonais de la société Imperator/Ivanhoe Gabon SA. Mais cette fois, l’accueil est glacial. Hostile, même. L’ambiance se tend rapidement. L’huissier tente de faire valoir sa mission. Rien n’y fait. Wu dérange. Elle pourrait mettre à jour une situation embarrassante : Lucas Perez continuerait d’utiliser frauduleusement le nom d’Ivanhoe tout en installant de nouveaux sous-traitants illégitimes sur une zone contractuellement liée à Baywell. Alors, la fuite commence. Le cortège de Wu prend la route. Mais le cauchemar est lancé : le véhicule est pris en chasse par les hommes de Perez.

100 kilomètres de traque, cellule, sang et silence

Une course poursuite s’engage sur plus de 100 kilomètres du site jusqu’à la ville de Matsatsa/Moanda. À Lastoursville, la situation dégénère : Lucas Perez, assis dans son véhicule, ordonne à son chauffeur de provoquer un accident. La collision est évitée de justesse. Seules la maîtrise du conducteur et l’intervention de la gendarmerie locale permettent d’éviter le pire. Pour Wu, il ne fait aucun doute : il s’agissait d’une tentative d’homicide déguisée. Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Aux alentours de minuit, la businesswoman et son chauffeur sont contraints de monter dans le véhicule de Lucas Perez. Leurs propres moyens de transport sont confisqués sans autorisation. Conduits à Lastourville, ils passent une nuit dans une pièce obscure, sans électricité ni nourriture, avant d’être transférés à Koulamoutou.

Là-bas, ils sont détenus au bureau du B2, sans décision judiciaire ni notification officielle. La responsable du B2, «une certaine Madame Ornela Lorine», les place en cellule sans explication, après une conversation avec Lucas Perez. Les effets personnels de Wu, dont deux téléphones Apple, sont saisis sans procès-verbal et ne lui seront jamais restitués. Elle est maintenue dans des conditions particulièrement dures : privation de nourriture, absence d’eau, cellule insalubre, et impossibilité d’accéder à des produits d’hygiène alors qu’elle était en période menstruelle. Son pantalon est souillé de sang. Elle le montre à la responsable du B2, plaide sa cause, évoque ses investissements dans les villages gabonais.

Pression et humiliation

Mais aussi, les routes construites, les maisons réparées, l’électricité apportée. Elle implore un appel à son ambassade, à sa famille, à un avocat. Elle reçoit pour toute réponse : le silence. Lorsqu’elle évoque les contrats encore en vigueur entre sa société et Ivanhoe, Madame Lorine vérifie… et confirme. Elle admet que Baywell est bel et bien sous-traitant officiel. Mais, malgré cette preuve, la détention continue et dure trois jours, elle reste coupée du monde. Même lorsqu’elle évoque ses liens avec des personnalités gabonaises de haut niveau, comme un ambassadeur rencontré lors de forums économiques Chine-Gabon, rien n’y fait. 

Ce n’est qu’après avoir dû signer deux documents, un interdisant de revenir sur le site Ivanhoe sans l’autorisation de Perez et l’autre niant toute maltraitance, qu’elle a recouvré sa liberté, le 27 mai. Mais l’affaire prend un tour encore plus troublant lorsqu’elle utilise la fonction de géolocalisation d’iCloud pour retrouver ses téléphones. Le 30 mai, ceux-ci sont repérés dans la résidence de Lucas Perez à Libreville. Le 31 mai, ils sont localisés au bureau du B2 dans la capitale, puis à nouveau dans la résidence de Perez le 2 juin. Une trajectoire suspecte, sur près de 600 km partant de Koula-Moutou, qui laisse planer de sérieuses interrogations sur les liens entre le français et certaines entités de l’appareil sécuritaire.

Regrets amers : début d’un scandale national ?

Estimant être victime d’un vol aggravé, d’un abus d’autorité et d’une détention arbitraire, la businesswoman chinoise a déposé plainte contre Lucas Perez, dénonçant également la complicité manifeste de certains agents du B2. Elle affirme que les différends internes à la société Imperator ne devraient en aucun cas impacter son entreprise Baywell, qui est légalement liée aux permis miniers concernés. La quarantaine d’années, elle est venue au Gabon à l’invitation du gouvernement, à la suite des forums Chine-Afrique et Gabon-Chine, pour investir dans le secteur minier. Pour récolter trahison, humiliation et souffrance ?

L’affaire, explosive, mêle enjeux économiques, relations diplomatiques, dérives sécuritaires et potentiels conflits d’intérêts au plus haut niveau. Les autorités gabonaises seront-elles prêtes à faire toute la lumière sur ce qui pourrait bien devenir un scandale politico-économique aux ramifications internationales ? Cette histoire laisse croire que la politique d’attractivité économique du pays vacille et incite à se demander si le Gabon peut encore garantir la sécurité de ses investisseurs étrangers ? Certains acteurs se sentent-ils assez puissants pour transformer la loi en instrument de pouvoir personnel ? L’affaire Wu Chunhong pourrait bien n’être que le début d’un scandale national.

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Gayo dit :

    Qui a déjà entendu parler de cette entreprise ? Quelqu’un sait-il aujourd’hui combien l’or rapporte réellement au trésor public ?
    L’exploitation de l’or gabonais semble toujours se faire dans une totale opacité, sur fond de réseaux mafieux.

    On a le sentiment qu’avec le nouveau régime, une nouvelle mafia s’est simplement installée autour d’Oligui, remplaçant celle des Bongo, pour s’approprier les revenus de certains minerais stratégiques. Comme si les 18 % du pétrole captés par une seule famille ne suffisaient pas, voilà que d’autres ressources nationales continuent d’être bradées à des intérêts mafieux étrangers, pendant que les caisses de l’État restent désespérément vides.

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