La tension monte d’un cran entre Bilie-By-Nze et les institutions de la République. Dernier épisode en date : un communiqué du ministère de l’Intérieur, aussitôt fustigé par l’opposant, déclenche une salve virulente sur les réseaux. Il est encore question des comptes de campagne de l’ancien Premier ministre qui engage une bataille constitutionnelle virant à l’affrontement politique. À travers cette crise, c’est la robustesse de l’architecture institutionnelle gabonaise qui se trouve mise à l’épreuve, au croisement du droit, du politique et de la stratégie.

Ce n’est pas seulement une affaire de comptes de campagne qu’il s’agit de solder : c’est le legs de l’ancien régime qu’il faut définitivement congédier. © GabonReview

 

La scène est devenue familière : un communiqué officiel tombe, cinglant ; une riposte fuse, cinglante. Depuis plusieurs semaines, Alain-Claude Bilie-By-Nze ne se contente plus d’émettre des doutes sur la régularité du processus de contrôle des comptes électoraux. Loin d’être marginale, sa posture mobilise les ressorts du droit constitutionnel pour enrayer une mécanique qu’il considère viciée.

Bilie-By-Nze gèle la procédure par l’arme constitutionnelle

En refusant de déposer ses comptes de campagne présidentielle dans les délais fixés (le 25 juin 2025), Bilie-By-Nze ne se contente pas d’un simple pied de nez à l’autorité. Il enclenche une véritable contre-offensive, fondée sur un point de droit aussi précis que stratégique : l’incompétence de la Cour des comptes à contrôler des dépenses de campagne financées par des fonds privés, en l’absence de subvention publique. À l’appui de cette thèse, il invoque la lettre même de la Constitution, qui limite la compétence de la haute juridiction financière au «contrôle des finances publiques». Tout le reste, selon lui, relèverait d’un excès de pouvoir.

Dans un mémoire circonstancié daté du 22 juillet 2025, il a donc formellement soulevé une exception d’inconstitutionnalité, appelant la Cour constitutionnelle à trancher. Et tant que celle-ci ne s’est pas prononcée, il considère toute tentative d’imposer des sanctions comme illégitime et juridiquement nulle.

C’est là que le principe d’effet suspensif prend toute sa dimension. En droit gabonais, tout recours porté devant la Cour constitutionnelle suspend automatiquement les effets de l’acte contesté. Cette règle, solidement établie tant par la jurisprudence que par la pratique institutionnelle, a pour objectif de protéger les justiciables contre l’application prématurée de mesures potentiellement inconstitutionnelles. En d’autres termes, tant que la Cour constitutionnelle n’a pas statué, ni la Cour des comptes ni le ministère de l’Intérieur ne peuvent légalement poursuivre ou sanctionner.

C’est ce qu’Alain-Claude Bilie-By-Nze rappelle avec une ironie mordante dans son post sur X (anciennement Twitter), le 29 juillet : «En l’absence d’une décision de justice devenue définitive, ce communiqué n’a strictement aucune valeur juridique. La Cour Constitutionnelle devant préalablement se prononcer sur ce dossier. À moins que le résultat soit déjà connu de l’exécutif !» Et d’enfoncer le clou quelques minutes plus tard : «Le communiqué du ministère de l’Intérieur est un abus de pouvoir entaché d’illégalité. La question de l’examen des comptes de campagne, même au sens de la loi actuelle que nous contestons, doit préalablement être réglée par les juridictions compétentes»

Cette formule n’est pas anodine. Le mot «préalablement» agit ici comme un signal juridique clair : aucune décision, aucune procédure, aucune sanction ne saurait légalement précéder l’arbitrage de la Cour constitutionnelle. Bilie-By-Nze joue la montre, certes, mais il le fait en s’appuyant sur un dispositif de protection juridique prévu par le texte fondamental. L’effet suspensif devient ainsi un bouclier procédural, mais aussi un instrument politique de blocage, habilement brandi au nom de l’État de droit.

De leur côté, la Cour des comptes et le ministère de l’Intérieur voient dans cette manœuvre une tentative dilatoire, voire une insubordination masquée sous les atours du droit. Le communiqué ministériel du 29 juillet est sans équivoque : «Tout refus de dépôt de comptes de campagne constitue une infraction au Code électoral, passible de sanctions administratives, financières et judiciaires, telles que prévues aux articles 217 et suivants

À la frontière du légal et de l’héritage politique

En s’immisçant dans la joute, l’Exécutif commet cependant une erreur d’appréciation, car le ministère de l’Intérieur n’est ni juge constitutionnel ni autorité disciplinaire à l’égard d’un justiciable en cours de procédure. En réagissant avant l’arrêt de la Cour constitutionnelle, il s’expose à la critique de précipitation, voire d’immixtion.

Reste que cette affaire dépasse largement la seule personne d’Alain-Claude Bilie-By-Nze. Elle constitue une épreuve de vérité pour les institutions de la nouvelle République, qui clament leur indépendance retrouvée depuis la chute du régime Bongo. À mesure que l’horloge judiciaire avance, une question s’impose avec insistance : les juridictions gabonaises sauront-elles s’extraire de l’ombre du pouvoir exécutif et dire le droit, rien que le droit ? Ou retomberont-elles dans les travers d’un passé récent, où la légalité s’inclinait docilement devant l’opportunité politique, où la justice semblait corvéable à merci, toujours prompte à réprimer l’opposant quand l’ordre venait d’en haut ?

Ici, plus que jamais, le pays joue sa crédibilité institutionnelle. Et chaque silence, chaque précipitation, chaque posture, pèsera bien au-delà de ce contentieux. Car ce n’est pas seulement une affaire de comptes de campagne qu’il s’agit de solder : c’est le legs de l’ancien régime qu’il faut définitivement congédier.

 
GR
 

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