COP30 : l’esprit mutirão ou le risque de passer à côté

À Belém, la COP30 s’annonce moins comme un énième rendez-vous de plaidoyers que comme un chantier grandeur nature où ne seront crédibles que celles et ceux déjà engagés dans l’action : sous l’impulsion du concept brésilien de mutirão, la présidence exige des preuves concrètes d’inventivité collective plutôt que de nouvelles listes de doléances. Ceux qui arriveront les mains vides mais la rhétorique bien rodée risquent donc de rester sur le quai, prévient ici Adrien NKoghe-Mba*, pour qui cette conférence pourrait redessiner la carte des légitimités climatiques en récompensant la participation active plutôt que la plainte.

Belém – Cette COP ne récompense plus la plainte, mais la participation. Non pas la participation symbolique. La participation active. Visible. Engagée. Préparée. © GabonReview
« Ne plus se contenter de plaider, d’exiger et d’attendre, mais prendre l’initiative de résultats concrets dans le cadre d’une action. »
Ces mots de l’ambassadeur André Corrêa do Lago, président désigné de la COP30 qui se tiendra à Belém au Brésil du 10 au 21 novembre prochain, n’ont pas été jetés au hasard dans le brouhaha des annonces diplomatiques. Ils sont un message clair, presque un avertissement poli. Une invitation à se préparer autrement. Et, surtout, une ligne de démarcation silencieuse entre ceux qui comprendront le sens profond de cette COP — et ceux qui viendront y rejouer le scénario habituel.
Ceux-là, ceux qui viendront avec leurs revendications prêtes, leurs discours rodés, leurs griefs réels ou recyclés, risquent de passer à côté. Pas par manque de mérite. Mais parce qu’ils n’auront pas entendu ce que cette COP cherche à être : un tournant, pas une répétition.
Ce qui change
Depuis des années, les sommets climatiques ont fonctionné selon une mécanique bien connue. Un pôle réunit ceux qui “doivent payer”, l’autre ceux qui “ont droit”. On discute, on négocie, on déplore, on plaide. Et bien souvent, on repart avec un texte plus ou moins satisfaisant, mais rarement transformateur.
La COP30, à en croire le ton donné par sa présidence brésilienne, cherche à sortir de ce cadre. Non pas en niant les déséquilibres historiques. Mais en déplaçant la focale. Le Brésil ne propose pas une COP de la diplomatie pure. Il propose une COP de la démonstration. Pas de la démonstration de force, mais de celle d’engagement. D’invention. D’audace collective.
C’est dans ce contexte qu’émerge le mot clé de cette présidence : mutirão. Ce n’est pas un mot de jargon. C’est un mot populaire. Il vient des campagnes brésiliennes, là où, faute de moyens, les communautés se sont toujours appuyées sur leur cohésion pour bâtir ensemble ce qu’aucun n’aurait pu faire seul. Une maison. Une route. Une école.
Transposé à l’échelle mondiale, mutirão devient plus qu’un symbole. C’est une méthode. Et c’est aussi un filtre.
Ce que cette COP attend vraiment
Cette conférence ne sera pas un simple enregistrement de doléances. Elle ne sera pas une salle d’attente pour promesses futures. Elle sera — ou ne sera pas — le point de convergence d’un effort mondial déjà en cours. Elle valorisera celles et ceux qui auront commencé à faire, sans attendre. Ceux qui auront tissé des partenariats au niveau local. Ceux qui auront engagé des expérimentations, des actions concrètes, même modestes, mais réelles.
Dans ce contexte, arriver à Belém les bras croisés mais le dossier chargé de frustrations anciennes ne suffira pas. Cela risque même de décrédibiliser ceux qui persistent à croire que la seule posture qui compte est celle du plaignant, du récepteur, du spectateur du système climatique mondial.
Ceux qui auront compris l’esprit du mutirão seront venus avec autre chose. Ils auront amorcé une dynamique sur leur propre sol. Ils auront converti leur indignation en organisation. Leur besoin en réseau. Leur parole en preuve.
Car c’est cela, l’exigence tranquille de cette COP : elle demande non pas des réclamations, mais des contributions. Elle ne cherche pas des causes à défendre, elle cherche des dynamiques à fédérer.
Le risque de rester sur le quai
Belém sera un moment-clé non parce qu’on y adoptera un texte décisif, mais parce que c’est une COP qui redistribue les cartes de la légitimité. Dans cette nouvelle grammaire de l’action climatique, les rôles traditionnels s’effacent. La hiérarchie entre ceux qui ont, ceux qui doivent, ceux qui attendent, devient moins lisible. Ce qui compte, c’est ce que chacun apporte à la table, en actes.
Ceux qui s’accrochent encore au registre du plaidoyer pur risquent de parler dans le vide. La conversation aura changé de registre. Elle se tiendra ailleurs : dans les pavillons où l’on montrera, dans les espaces où l’on reliera, dans les arènes où l’on bâtira. Elle se passera entre ceux qui, loin des caméras, auront déjà enclenché ce qu’on appelle désormais une “transition”.
Et ceux-là ne seront pas forcément les plus riches, ni les plus puissants. Ils seront simplement ceux qui auront compris que cette COP ne récompense plus la plainte, mais la participation. Non pas la participation symbolique. La participation active. Visible. Engagée. Préparée.
Il y a des moments où le langage du changement précède le changement lui-même. Belém pourrait être de ceux-là. Encore faut-il que chacun choisisse le bon langage. Celui du mutirão ne parle ni en millions de dollars, ni en pages de plaidoyer. Il parle en gestes. En alliances. En preuves d’intelligence collective.
Ceux qui n’auront rien enclenché d’ici là découvriront peut-être trop tard que la COP30 s’est jouée avant son ouverture. Et que ceux qui l’ont comprise ne l’ont pas attendue pour commencer à y participer.
*Directeur général de l’Institut Léon Mba et président de l’association Les Amis de Wawa pour la préservation des forêts du bassin du Congo.

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