Déguerpissement au Premier Campement « Nous sommes là depuis les années 60, mais on veut nous balayer sans ménagement »

Face à l’opacité et à la brutalité des déguerpissements, des familles du Premier Campement au nord de la capitale gabonaise interpellent le chef de l’État. Après Libreville et Owendo, la commune d’Akanda est désormais également ciblée par ces opérations, suscitant désarroi et colère.

Après Libreville et Owendo, la commune d’Akanda est désormais également ciblée par l’opération de déguerpissements, suscitant désarroi et colère. © D.R.
Une nouvelle vague de déguerpissements s’installe dans le Grand Libreville, frappant tour à tour la capitale, Owendo, puis maintenant Akanda, où plusieurs quartiers sont dans l’incertitude quant à leur avenir. À Akanda, dans le quartier du Premier Campement, les habitants dénoncent des opérations menées dans le flou total, sans communication officielle ni mesures d’accompagnement.
« Nous sommes menacés par un projet que nous ne connaissons pas», alerte Jules Mouleghi, porte-parole des habitants du site. « Personne ne nous a expliqué quoi que ce soit. On a vu des militaires et des civils débarquer et poser des marques sur nos maisons : “À démolir sans délai – Titre foncier République gabonaise”. »
Le Premier Campement n’est pas un squat récent. Il représente plus de 60 ans d’occupation continue par des familles dont les parents ont été engagés dès les années 60 par les Eaux et Forêts pour des travaux de reboisement. « Nos papas ont planté les Okoumés jusqu’au Cap. Ensuite, ils se sont installés dans cette zone qui n’était ni protégée ni interdite à l’époque, » rappelle Jules Mouleghi.
Un projet de reclassement avait été envisagé par le président Omar Bongo Ondimba, mais abandonné, permettant aux populations de s’installer durablement. Dès 2008, des dossiers de régularisation foncière ont été déposés, sans aboutissement, malgré la création en 2009 de l’ANUTTC, censée reprendre les contentieux du cadastre impérial.
Une méthode brutale, un flou inquiétant

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Les habitants disent être surpris et choqués par la manière dont les autorités procèdent. « Le 2 juillet au soir, des agents sont venus sans préavis, accompagnés de militaires en bérets rouges. Ils ont apposé des marques de destruction sur nos maisons, en disant qu’on devait partir immédiatement. Et cela, sans document, sans explication, sans dialogue. »
À la question de savoir quel projet justifie cette expulsion, aucune réponse officielle. « C’est le flou artistique. On nous dit juste que c’est un “titre foncier de la République gabonaise”. Mais on ne nous dit pas à quel projet cela correspond. Ils refusent de discuter avec nous. C’est une grande injustice, déplore-t-il. »
Psychose dans les quartiers visés
Ce type d’intervention brutale plonge les quartiers ciblés dans la peur, la confusion et l’angoisse du lendemain. « Nous sommes traqués. Chaque jour, des agents viennent nous menacer. “Enlevez vos tôles, demain on vient casser”. On vit dans la terreur. Nous n’avons nulle part où aller. C’est un choc total pour nos familles. »
La peur d’être chassé de chez soi sans alternative crée une véritable psychose. « Nous sommes choqués, traumatisés. Nous vivons sous une menace permanente. Chaque jour, ils reviennent nous dire qu’ils vont amener des engins pour casser nos maisons. Et toujours sans explication… »
Et la situation s’étend. Après Libreville, Owendo a également connu des marques de démolition sur plusieurs habitations informelles, et la commune d’Akanda est désormais concernée, notamment dans des zones proches des servitudes d’aménagement, sans qu’aucune communication institutionnelle ne soit encore intervenue pour éclairer les populations.
Un appel à l’humanité du président de la République
Si les habitants du Premier Campement affirment soutenir la politique de modernisation du chef de l’État, ils demandent que celle-ci soit accompagnée de mesures humaines, équitables et respectueuses des droits citoyens.
« Nous ne sommes pas contre les projets de développement. Mais nous demandons qu’ils tiennent compte de l’histoire des populations. Nous sommes là depuis bien avant la Ve République. Nous ne demandons que la régularisation et l’accompagnement si déplacement il doit y avoir», plaide Jules Mouleghi. »
Et de conclure : « Ce n’est pas parce que nous avons des maisons modestes que nous ne méritons pas d’être considérés. Nos parents ont bâti cet endroit. Nos enfants pourraient le valoriser demain. Mais on veut tout effacer, sans égard pour notre histoire. Monsieur le président, nous vous appelons à l’arbitrage. Aidez vos compatriotes. »
Cette situation soulève un enjeu de fond : comment concilier urbanisation maîtrisée et respect des droits des citoyens vivant en périphérie ou dans des zones dites précaires ? Si l’assainissement du tissu urbain est une nécessité, il ne peut se faire au mépris de la mémoire sociale et des procédures équitables. La multiplication des cas à Libreville, Owendo et maintenant Akanda souligne l’urgence d’une stratégie nationale claire et inclusive sur la gestion du foncier urbain, afin d’éviter des drames humains et sociaux à répétition.

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