Malgré le renouveau politique initié par la transition en août 2023, le Gabon continue de traîner un lourd passif juridique international. Des créances validées mais impayées, parfois anciennes, menacent encore la crédibilité financière de l’État. Car si le pouvoir change, les engagements contractuels demeurent et les créanciers, eux, n’oublient jamais.

Plus de 87 milliards FCFA de passif contentieux : l’équivalent de 1,2 % du PIB national à régler. © GabonReview

 

Au lendemain du coup de libération du 30 août 2023, les nouvelles autorités gabonaises ont promis l’assainissement des finances publiques et la restauration de la souveraineté économique. L’effort est visible : apurement de 17,9 milliards FCFA envers la Banque mondiale, régularisation de dettes vis-à-vis de la BAD, de l’AFD ou encore de la BID. Pourtant, une ombre tenace subsiste : celle des dettes contentieuses, contractées dans le cadre de litiges internationaux opposant le Gabon à diverses entreprises étrangères.

Ces dossiers, pour certains vieux de près d’une décennie, rappellent une vérité implacable : l’État ne meurt jamais. Lorsqu’une sentence arbitrale est rendue, elle ne s’efface ni avec les régimes ni avec les discours. Trois cas, en particulier, concentrent aujourd’hui l’attention des experts financiers et juridiques : KCI (Tunisie), Webcor (Malte) et Bryan Cave LLP (États-Unis). À eux seuls, ils totalisent plus de 87 milliards FCFA de passif, équivalant à 1,2 % du PIB national.

Quatre bombes à retardement : KCI, Webcor, Santullo et Bryan Cave

L’affaire KCI est emblématique. Engagée en 2016, elle résulte de la rupture de contrats d’ingénierie non honorés par l’État gabonais. Si un paiement partiel de 5,5 millions d’euros a été effectué en 2019, le solde impayé frôle aujourd’hui 35 millions d’euros (environ 22,96 milliards de francs CFA), intérêts compris. Saisie conservatoire de l’Hôtel Pozzo di Borgo à Paris, blocage d’une cession à Bernard Arnault, menace de vente forcée : le contentieux a quitté les prétoires pour peser sur les actifs diplomatiques de l’État.

Le cas Webcor, quant à lui, flirte avec le scandale. Un protocole transactionnel de 65 milliards FCFA aurait été signé dans la plus grande opacité en janvier 2024, sans paiement à ce jour. Plus troublant encore : des poursuites pénales ont été engagées au Gabon pour «concussion et haute trahison» contre les signataires gabonais du deal. Un contentieux juridico-politique aux allures de bombe à retardement.

Autre affaire emblématique de la dette contentieuse gabonaise, le dossier Santullo-Sericom. Le Gabon a remporté une victoire judiciaire majeure : après l’annulation en 2022 de la sentence arbitrale condamnant l’État à verser 101 milliards FCFA, le pourvoi en cassation introduit par le groupement a été radié en octobre 2023, rendant la décision définitive. Toutefois, les volets pénaux suisses se poursuivent, avec environ 65 milliards FCFA d’avoirs gelés et une procédure de confiscation en cours. En parallèle, de nouvelles enquêtes au Gabon visent des affaires connexes, notamment des travaux non livrés et des importations illégales liées au réseau Santullo. L’affaire n’étant pas classée, ce dossier illustre la persistance des contentieux liés à la corruption et au blanchiment, même après la disparition de leur principal protagoniste.

Enfin, le cabinet Bryan Cave LLP, qui réclame 1,25 million de dollars (750 millions de francs CFA) pour des services de lobbying rendus en 2016, complète ce triptyque contentieux. Si la justice américaine a tranché en faveur du cabinet en 2019, le statut de paiement reste flou, aggravé par des intérêts qui continuent de courir.

Une post-transition confrontée à l’héritage empoisonné des contentieux

Face à cette situation, le gouvernement pos-transition tente d’éteindre les foyers un à un. Mais la tâche est herculéenne. Ces créances validées constituent non seulement des risques budgétaires mais aussi des leviers d’influence contre l’État dans les négociations internationales, voire des prétextes à la saisie d’actifs souverains.

Car dans le droit international comme dans la diplomatie des affaires, l’impunité contractuelle n’existe pas. Ce que les dirigeants d’hier ont signé, ceux d’aujourd’hui doivent l’assumer, ou le renégocier, mais jamais l’ignorer.

Le Gabon a certes entamé un virage historique. Mais pour tourner la page, encore faut-il solder l’addition.

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Gayo dit :

    La gouvernance d’Ali Bongo a été une malédiction et une vraie catastrophe. Et dire que personne ne paie pour autant de mal causé au Gabon et à son peuple. Et ils ont le culot de parler d’extorsion quand leur enrichissement est injustifié.

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