Du “Qui boude, bouge” aux jeûnes d’Esther : le récit inédit de Brice Lacruche sur TV+

Les rumeurs d’une liaison avec Sylvia Bongo, le slogan «Qui boude, bouge» devenu symbole de rupture et d’arrogance supposée, et une tournée nationale présentée par ses adversaires comme un acte d’insubordination : Brice Lacruche Alihanga est revenu, sur TV+ Afrique, sur ces épisodes qui ont façonné son image publique et précipité sa disgrâce. Entre coulisses du Palais, accusations de plan de succession dynastique après l’AVC d’Ali Bongo, rapport de l’ONU qualifiant sa détention d’illégale et arbitraire, pressions en prison pour le charger, et plongée mystique dans la foi, il a livré un récit où se mêlent défense personnelle, chronique politique et radiographie d’un système.

Le dernier jour du 8ème jeûne d’Esther de Brice Lacruche Alihanga, fut le jour du coup d’État. © GabonReview (capture d’écran)
Dans le silence maîtrisé du plateau de TV+ aménagé à son domicile, l’ancien directeur de cabinet déroule son récit comme un témoin sorti de l’ombre. Sa voix alterne entre la précision clinique du technocrate et les inflexions d’un homme qui revient de loin. Ce qu’il raconte dépasse la simple autobiographie : c’est une plongée dans la mécanique interne d’un régime où l’allégeance pouvait valoir autant qu’une nomination, et où chaque geste public se chargeait d’un sens politique parfois déformé jusqu’à l’absurde. Derrière les phrases, c’est toute la grammaire du pouvoir gabonais des années Bongo qui se dévoile, avec ses codes, ses réflexes de défense, et ses zones d’ombre.
L’homme qui voulut démissionner du cœur du pouvoir

Brice Lacruche sur TV+, le 10 août 2025. © GabonReview (capture d’écran)
Nommé en 2017, Brice Lacruche Alihanga arrive au Palais convaincu qu’il pourra étendre au pays entier le travail social qu’il mène via son association, l’AJEV. Mais il découvre vite un pouvoir cloisonné, organisé en cercles qui se méfient les uns des autres. Les décisions majeures se prennent ailleurs, parfois hors du bureau présidentiel. J’étais «seulement là comme un pot de fleurs», résume-t-il. Peu d’hommes, à ce niveau, osent le geste qu’il accomplit alors : déposer sa lettre de démission sur le bureau du chef de l’État. La réponse est brutale : «Espèce de petit con, tout le monde veut ce poste et toi tu veux démissionner ? Tu partiras quand moi je le déciderai.»
Dans cette altercation se lit une règle tacite : ici, une fonction n’est pas un mandat, mais un gage accordé, et la quitter revient à contester le donateur. Paradoxalement, ce bras de fer débouche sur un ajustement concret – le rétablissement d’un circuit formel de signature – mais confirme aussi que l’initiative personnelle a un coût politique élevé.
Du “Qui boude, bouge” à la fracture dynastique
Parmi les phrases ayant marqué l’activité politique de Brice Lacruche, «Qui boude, bouge» occupe une place à part. Elle naît, selon ses explications sur TV+, lors d’une rencontre avec des jeunes, alors qu’il est en tournée à Owendo. Ceux-ci doutent qu’un renouvellement soit possible face aux “vieux” qui tiennent les leviers. Sa réplique – «Parmi eux, celui qui boude, il bouge» – se veut un signal : aucun bastion n’est intouchable. Dans l’instant, l’effet est galvanisant, la réplique est reprise à un autre meeting. Mais dans l’univers feutré et stratifié du pouvoir gabonais, la formule est extraite de son contexte, réinterprétée comme un affront aux anciens. L’arme rhétorique se retourne contre son auteur, preuve que dans cet environnement, chaque mot est une pièce à conviction potentielle.
Le décor change radicalement après l’AVC du président. Lacruche affirme que Noureddin Bongo Valentin lui déclare vouloir être «le prochain président». Pour lui, ce moment scelle sa mise à l’écart. Il dénonce la prise en main de l’appareil judiciaire par ce dernier, suivie de son arrestation le 3 décembre 2019 et de quatre années d’isolement. Un rapport du Groupe de travail des Nations unies qualifiera cette détention d’illégale et arbitraire, mais restera lettre morte, raconte-t-il sur TV+. Derrière les barreaux, il affirme avoir vu la mécanique se répéter : des codétenus convoqués, isolés, à qui l’on faisait miroiter une libération immédiate s’ils acceptaient de signer ou de déclarer que lui, Lacruche, était le commanditaire des fautes qu’on leur imputait. «Si tu veux sortir, il faut charger Lacruche», leur lançaient les enquêteurs ou les intermédiaires. Certains ont cédé pour retrouver l’air libre ; d’autres ont refusé, sachant que ce choix signifiait prolonger indéfiniment leur captivité.
Foi, jeûnes et coup de libération
En prison, privé d’armes politiques, il se tourne vers la foi. La lecture de la Bible lui fait voir sa propre trajectoire à travers le prisme de Paul. Huit fois, il observe le jeûne d’Esther (trois jours sans boire ni manger) pour demander à Dieu la libération du pays. «Le dernier jour du 8ème Jeûne d’Esther, c’est le jour du coup d’État», témoigne-t-il, y voyant un signe providentiel. La religion devient boussole, outil de survie et récit politique.
Depuis le 30 août 2023, il salue la rupture incarnée par Brice Clotaire Oligui Nguema, tout en insistant sur l’ampleur du chantier : «Tout est à redéfinir. C’est le moment tant attendu pour que chacun recommence à rêver.» Mais il refuse l’amnésie : «Oui au pardon, non à l’oubli.» Dans le récit de Brice Lacruche Alihanga, la mémoire est une arme de vérité et le seul rempart contre la répétition des dérives du passé – y compris celles qui transforment un “qui boude, bouge” en chef d’accusation.

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