Et si la Terre n’avait pas de poumons ?

On croyait bien faire en appelant les forêts «les poumons de la Terre». Une image rassurante, répétée à l’envi, des salles de classe aux tribunes politiques, en passant par les documentaires. Et si cette métaphore était non seulement scientifiquement fausse, mais aussi contre-productive pour l’action écologique. Adrien NKoghe-Mba* déconstruit cette métaphore populaire pour révéler un paradoxe troublant : en simplifiant à l’excès la complexité environnementale, nous risquons de compromettre notre capacité à agir efficacement face aux défis climatiques. Une réflexion nécessaire sur la responsabilité pédagogique de nos représentations du vivant.

Ce que nous appelions le “poumon de la Terre” est en train d’exhaler du carbone, pas de l’oxygène. © GabonReview
Il y a des métaphores qu’on croit inoffensives. Qu’on répète sans y penser. Qu’on enseigne aux enfants comme des vérités évidentes.
Et pourtant, parfois, ce sont ces petites phrases, apparemment anodines, qui font le plus de dégâts.
Prenez celle-ci : “Les forêts sont les poumons de la Terre.”
On l’entend partout. Dans les discours politiques. Dans les documentaires Netflix. Dans les manuels scolaires. C’est court, c’est simple, ça rassure. Mais c’est aussi — et surtout — faux.
Parce que les poumons, biologiquement parlant, ne produisent pas d’oxygène. Ils en consomment. Ils le filtrent, le transmettent en notre sang, et rejettent du dioxyde de carbone. Si on prend cette image au pied de la lettre — ce que font des millions de gens — alors elle signifie que les forêts rejettent du CO₂. Ce qui serait une catastrophe.
Mais allons plus loin : même lorsqu’on essaie d’adapter cette métaphore en se disant qu’elle signifie plutôt “les forêts nous permettent de respirer”, c’est encore inexact. La majorité de l’oxygène que nous respirons ne vient ni de la forêt amazonienne, ni du bassin du Congo. Il vient de l’océan. Des phytoplanctons, ces micro-organismes invisibles, responsables de 50 à 80 % de la production d’oxygène atmosphérique.
Autrement dit : vous respirez de la mer, pas de la forêt. Et c’est là que le mythe devient dangereux.
Parce qu’en croyant que “nos poumons sont en feu” quand une forêt brûle, on oublie ce que les forêts font réellement : elles stockent du carbone. Elles agissent comme des banques vivantes qui emprisonnent le CO₂ que nous émettons à vitesse industrielle. Tant qu’elles restent debout, elles amortissent le choc. Mais si on les rase ou si on les brûle, elles relâchent ce CO₂ d’un coup — comme une banque qui ferait faillite en vidant tous ses coffres.
Et c’est exactement ce qui est en train de se passer.
En 2019, des études ont montré que certaines parties de l’Amazonie sont devenues des sources nettes de CO₂. Pas à cause de la “nature”, mais à cause de l’homme : déforestation, agriculture intensive, incendies… Autrement dit : ce que nous appelions le “poumon de la Terre” est en train d’exhaler du carbone, pas de l’oxygène.
Et pendant ce temps, les véritables producteurs d’oxygène — les phytoplanctons — sont menacés par le réchauffement climatique, l’acidification des océans, et la pollution plastique. Mais eux, ils ne brûlent pas de façon spectaculaire. Ils ne font pas de fumée. Ils ne font pas la une des journaux. Alors on les oublie.
C’est là tout le paradoxe : on protège mieux ce qu’on comprend mal quand on le rend trop simple.
Et si je vous disais que la Terre n’a pas de poumons, vous me traiteriez peut-être de provocateur. Mais si je vous dis qu’elle a des équilibres fragiles, qu’elle respire à travers des milliards de micro-processus invisibles, qu’elle régule sa température grâce à une chorégraphie délicate entre le vivant, le carbone, l’eau et l’énergie, alors là, on entre dans le réel.
La science est complexe. Mais l’action peut être simple.
On peut protéger les forêts, non parce qu’elles produisent notre oxygène, mais parce qu’elles ralentissent le chaos climatique.
On peut protéger les océans, non seulement parce qu’ils sont beaux, mais parce qu’ils nous permettent de respirer sans qu’on s’en rende compte.
Et on peut commencer par arrêter d’enseigner des métaphores fausses aux enfants. Parce qu’un enfant qui comprend comment fonctionne réellement une forêt, un océan, ou un cycle biogéochimique, c’est un citoyen qui pourra faire des choix éclairés. Pas juste liker une vidéo sur les incendies en Amazonie avec un emoji triste.
Alors, faisons le deuil de cette vieille image des “poumons de la Terre”.
Et remplaçons-la par une vision plus exigeante — mais plus juste :
La Terre n’a pas de poumons. Elle a un système vivant. Et c’est nous qui sommes en train de lui couper le souffle.
*Directeur général de l’Institut Léon Mba et président de l’association Les Amis de Wawa pour la préservation des forêts du bassin du Congo.

0 commentaire
Soyez le premier à commenter.