Fantômas : entre mythe, sang et politique, l’épopée tragique d’un voyou de légende

Il s’appelait Hervé Obiang Beyeme. Mais pour des générations de Gabonais, il restera Fantômas : cascadeur intrépide devenu voyou adulé, puis figure sulfureuse des bas-fonds et des intrigues politiques des années 1990. Symbole de défiance et de rébellion, il fut aussi l’otage d’un système qui l’éleva avant de le broyer. Sa mort brutale en décembre 1992 l’a transformé en légende urbaine. Retour sur un destin aussi épique que foudroyant

Son nom résonnait comme un défi : cascadeur sur les bus, chef de bande, martyr de Bitam, Fantômas narguait la Mort avant d’être broyé par l’Histoire. Sa fin atroce l’a gravé dans la mémoire collective comme une légende urbaine. © GabonReview
Il y a quelques jours, la chaîne YouTube Noir D’abord ravivait la mémoire collective avec une vidéo intitulée «Fantômas (Gabon, 1992) : du bras du pouvoir à l’ennemi n°1». Cette publication reprend elle-même le récit livré en 2018 par La Voix du Gabon sur le destin foudroyant d’Hervé Obiang Beyeme, alias Fantômas. Trente ans après, l’ombre de ce jeune homme de Bitam continue de hanter l’imaginaire gabonais.
Du tumulte de la gare routière à l’envol d’un mythe
Au milieu des années 1980, Libreville vibrait au rythme d’un spectacle insensé : les cascades sur les toits des bus scolaires. Lycéens et collégiens, au mépris de la mort, s’agrippaient aux carrosseries en marche, traversaient les toits des bus, disparaissaient par les fenêtres, surgissaient à l’avant comme des funambules de l’asphalte. Parmi ces chevaliers de fortune, un nom déchirait la clameur : Fantômas ! Fantômas !
Elève au Lycée technique Omar Bongo, Hervé Obiang Beyeme, né à Bitam en 1967 et ayant grandi dans les quartiers populaires d’Akébé à Libreville, s’était choisi ce pseudonyme emprunté au cinéma français. Comme le bandit insaisissable des films avec Jean Marais et Louis de Funès, il défiait policiers et spectateurs, bandana au visage, bras croisés à l’avant d’un bus lancé à vive allure. Souvent ses camarades tombaient, mouraient écrasés, mais lui revenait toujours, sourire aux lèvres, convaincu de narguer la Mort pour ses compagnons disparus.
Du bad boy au parrain de quartier
À mesure que les cascades déclinent, Fantômas glisse vers la petite délinquance : vols à l’étalage, bagarres, braquages. Mais son aura dépasse vite le cercle des voyous. Leader naturel, il attire et fédère des bandes de jeunes désœuvrés. Dans son fief des Akébés, il protège les plus faibles et partage ce qu’il a.
En 1990, l’avènement du multipartisme bouleverse le paysage gabonais. Le pouvoir, en quête de bras pour ses démonstrations de force, s’appuie sur des figures populaires. Fantômas, capable de mobiliser des centaines de jeunes, est recruté. Il assure la sécurité des meetings, mène des opérations de déstabilisation des meetings de l’opposition, et incarne ce mélange explosif de force brute et de loyauté recherchée par certains cercles politiques. L’enfant terrible devient un bad boy officiel, sollicité, payé, applaudi. On le croise jusque dans les allées du palais présidentiel, recevant des fonds pour des projets supposés de réinsertion.
Collusions politiques : du protégé à l’ennemi public
Mais l’alliance est fragile. Missions impayées, promesses non tenues : Fantômas se détache de ses commanditaires. Il refuse certaines besognes, tente de bâtir ses propres réseaux. Erreur fatale. Dans ce jeu de pouvoir, nul ne quitte la scène impunément. Celui qui était exhibé comme un symbole de virilité populaire devient une menace pour ses anciens protecteurs.
En novembre 1992, les journaux le désignent «ennemi public n°1». Commence une traque acharnée : embuscades, chantages, son fils d’un an pris en otage pour l’obliger à se rendre. Insaisissable, Fantômas ridiculise ses poursuivants, publie une lettre ouverte dans un journal d’opposition, clamant son innocence et dénonçant une cabale. Mais déjà, il est devenu une «patate brûlante» dont plus personne ne veut.
Descente aux enfers et fin tragique
Son ultime refuge est Bitam, sa ville natale. Dénoncé par un oncle effrayé par la pression médiatique, il est capturé par les services secrets. On lui sectionne les tendons pour éviter toute fuite. À Oyem, humilié, nu, exhibé sur un pick-up, il est réduit à un spectre. À Libreville, livré aux caméras, il refuse de reconnaître les crimes qu’on lui impute. Battu jusqu’à l’épuisement, il finit par murmurer les aveux dictés.
Le 2 décembre 1992, à 26 ans, il meurt dans les geôles du camp Gros Bouquet après 72 heures de tortures. Le lendemain, L’Union titre : «Fantômas est mort». À Bitam, une foule immense l’accompagne jusqu’à sa dernière demeure.
Épilogue : d’un homme à une légende
Héros pour certains, criminel pour d’autres, Fantômas demeure une figure ambivalente. Tour à tour cascadeur téméraire, chef de bande, homme de main d’un pouvoir cynique, il incarne la violence et la dérive d’une époque. Sa fin atroce l’a figé dans la mémoire collective comme une légende urbaine, mi-homme, mi-mythe.
Entre fascination et effroi, attraction et rejet, Fantômas symbolise ces destins où l’audace se confond avec la tragédie, et où un enfant de Bitam, trop tôt happé par la rue et le pouvoir, finit par entrer malgré lui dans l’histoire.

2 Commentaires
Le roi beni, Nazih et consort ne serait ils pas des descendants de Fantomas ?
Bjr. Morceau au choix: « il est capturé par les services secrets ». La jeunesse était pourtant « sacré » à l’époque. Amen.