Alors que le Texas investit près de 28 milliards de francs CFA dans la recherche sur l’ibogaïne, le Gabon, terre d’origine de la plante sacrée, reste encore à la périphérie d’un marché mondial en plein essor. Si le pays parvenait à structurer une filière éthique et industrielle autour de cette ressource stratégique, les retombées économiques pourraient atteindre jusqu’à 167 milliards de francs CFA par an. À condition de cesser d’être simple gardien du sacré pour devenir acteur souverain d’un savoir ancestral désormais convoité.

Ibogaïne : quand le Texas investit 50 millions de dollars (près de 28 milliards de francs CFA), le Gabon reste toujours à la marge de son propre trésor. © GabonReview

 

En juin 2025, le gouverneur texan Greg Abbott a signé une loi instaurant un partenariat public-privé autour de l’ibogaïne, alcaloïde psychédélique bien connu extrait de la racine de Tabernanthe iboga, plante endémique de la forêt gabonaise et pilier des rites initiatiques du Bwiti. Soutenue par l’ancien gouverneur Rick Perry, devenu ardent défenseur du projet après avoir constaté les effets spectaculaires de cette molécule sur des vétérans atteints de SSPT (syndrome de stress post-traumatique), cette initiative vise l’approbation de l’ibogaïne par la FDA (Food and Drug Administration, l’agence fédérale américaine chargée de la réglementation des produits alimentaires, des médicaments, des vaccins, des dispositifs médicaux, des cosmétiques, etc.).

Une révolution thérapeutique est ainsi en marche. L’étude publiée par Nature Medicine en 2024 a montré, chez des soldats américains, des réductions de 88 % des symptômes de stress post-traumatique et de dépression, un mois après le suivi d’un protocole ibogaïne-magnésium. Les États-Unis, portés par la dynamique du Texas, multiplient désormais les projets : essais cliniques, start-ups biotechnologiques, consortiums pharmaceutiques.

Le Gabon : gardien spirituel, oublié économique

Mais pendant ce temps, au Gabon, l’arbre sacré se meurt. Surexploitation, trafic transfrontalier, absence de laboratoires certifiés, cadres réglementaires flous… Si le pays a classé l’iboga comme «ressource stratégique» et suspendu ses exportations depuis 2019, cette stratégie défensive reste peu suivie d’effets structurels. Un seul permis d’exportation «Nagoya-compatible» aurait été délivré depuis. Et les brevets ? Tous déposés à l’étranger. Depuis les premiers travaux de pharmacologie menés par feu le Pr Jean-Noël Gassita, ayant décrit les alcaloïdes de l’arbuste et leurs effets stimulants dès les années 1970, la recherche, au Gabon, reste limitée faute de financements et d’infrastructures

Quelques signaux faibles émergent néanmoins : des pépinières communautaires, une plantation industrielle à Oyem, des capsules locales développées par des entrepreneurs comme Yoan Mboussou. Mais le cœur du problème demeure : sans financement conséquent, ni vision stratégique claire, le Gabon reste spectateur d’un marché mondial qu’il aurait dû structurer, éthiquement et économiquement.

Un marché mondial, des retombées possibles

Sur le plan économique, l’ibogaïne représente une opportunité majeure pour le Gabon, à condition d’installer une filière structurée. Le marché mondial des psychédéliques, estimé à environ 3 milliards USD (environ 1 671 milliards FCFA) en 2023, pourrait dépasser les 9 milliards USD (environ 5 013 milliards FCFA) d’ici 2032. En capturant ne serait-ce que 5 % de cette filière, le Gabon pourrait générer entre 150 et 300 millions de dollars (entre 83,5 à 167 milliards FCFA) par an.

À cela s’ajouterait les retombées indirectes : emplois agricoles pour la culture d’iboga traçable, transformation pharmaceutique locale, exportation régulée, valorisation touristique ou thérapeutique. Chaque étape de la chaîne (de la racine brute au médicament certifié) multiplie la valeur ajoutée. Encore faut-il bâtir les infrastructures, former les compétences, et garantir aux communautés bwitistes une juste rétribution.

Le lien entre l’iboga et le Gabon est indissoluble. Il est temps de repenser le rapport à ce trésor naturel en alliant souveraineté, science et spiritualité. Instaurer une indication géographique protégée «Iboga – Gabon», renforcer la recherche locale, nouer des partenariats équitables avec les consortiums étrangers : telles sont les pistes vitales pour que l’«or vert du Bwiti» ne soit plus un cadeau spolié mais un levier de développement.

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Gayo dit :

    Oui, Oligui préfère augmenter le nombre de parlementaires improductifs et créer un parti pour perpétuer la culture des roitelets, au lieu de soutenir réellement l’essor scientifique et technologique.
    Pourtant, le Gabon a déjà investi des sommes considérables, et nos scientifiques et ingénieurs sont mondialement reconnus.
    Si les milliards gaspillés dans le Sénat étaient plutôt attribués à Masuku et à nos entrepreneurs, afin de stimuler la recherche et l’innovation, notre développement aurait avancé bien plus vite.
    Le Texas, par exemple, a investi 28 milliards. Avec nos moyens, certes plus modestes, nous aurions pu faire de ce secteur une priorité nationale.
    Même si ce sont les États-Unis, accepter de se faire dépasser dans un domaine qui nous appartient relève d’un choix politique défaillant, entretenu par les gouvernements successifs.
    Si nous avions choisi de nous investir pleinement dans le développement de l’ibogaïne, même les Américains auraient été contraints de nous respecter et de nous associer, reconnaissant ainsi la valeur d’un patrimoine issu de notre terroir.
    Aujourd’hui, l’ibogaïne est devenue un patrimoine mondial. Il faut arrêter de se lamenter : si un peuple est incapable de valoriser et de s’approprier un don que Dieu lui a confié, il est tout à fait normal que d’autres le fassent et en récoltent les bénéfices. Dieu ne vous a pas donné cette lumière pour la cacher sous le boisseau, dans un rejet des implications du modernisme et de la mondialisation.

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