Après plus de deux décennies de tensions, la Cour internationale de Justice a tranché : les îles Mbanié, Cocotiers et Conga reviennent à la Guinée équatoriale, tandis qu’une partie du territoire continental est théoriquement rétrocédée au Gabon. Face à la vague de réactions, parfois passionnées, Guy Rossatanga-Rignault, professeur de droit et avocat du Gabon devant la CIJ, remet les faits au centre. Entre rigueur juridique, malentendus populaires et mémoire coloniale, il décrypte, sans concessions, le sens réel d’un verdict historique.

«Le droit et l’émotion ne font pas bon ménage», dixit Guy Rossatanga-Rignault, Professeur de droit public et science politique, Co-Agent, Conseil et Avocat de la République Gabonaise près la CIJ. © GabonReview

 

GabonReview : Monsieur Rossatanga-Rignault, le Gabon a plaidé pendant des années en s’appuyant sur la Convention de Bata de 1974, que la CIJ a pourtant rejetée. Comment expliquez-vous que l’argument central de notre défense ait été jugé juridiquement non pertinent Était-ce un pari risqué dès le départ ?

Guy Rossatanga-Rignault : En tant qu’Agent de la République Gabonaise, il ne me revient de commenter une décision de la CIJ. D’autres le feront le moment venu.

Pour autant, le Gabon n’a pas plaidé pendant des années en s’appuyant sur la Convention de Bata de 1974, comme vous dites. Cette affaire n’a été plaidé devant la CIJ qu’en décembre dernier. Je me permets de faire cette observation car on raconte un peu tout et n’importe quoi sur cette affaire. Et j’avoue être épaté par l’explosion d’experts depuis quelques jours dans notre pays.

Rossatanga-Rignault : «J’avoue être épaté par l’explosion d’experts depuis quelques jours dans notre pays.» © GabonReview

De même, je ne sais pas ce que vous entendez par argument central car la défense du Gabon était constituée de milliers de pages de documents (écrits, images, vidéos…). Que la Cour ait choisi de ne pas en reconnaître la pertinence et la validité n’y change rien.

Il n’y a donc aucun pari risqué dès le départ car, lorsqu’on va devant un tribunal, même pour un divorce ou un vol, on ne sait jamais ce que les juges vont décider. Ça s’appelle la justice. Quant au pari, il n’est pas inutile de rappeler que le Gabon était en position de défendeur dans cette affaire. Pendant 20 ans, c’est la Guinée qui a rejeté toute solution diplomatique pour s’en remettre à la CIJ. C’est cela les faits et l’Histoire !

Vous avez rappelé l’importance du droit des traités dans cette affaire, mais la CIJ s’en est tenue aux textes coloniaux de 1900. Faut-il en conclure que le Gabon n’avait aucune chance face à la mécanique froide du droit international ? Ou bien avons-nous sous-estimé la rigidité historique de la Cour ?

Il faudrait que les uns et les autres commencent par lire l’arrêt de la Cour. Ce que vous appelez les textes coloniaux de 1900 sont… justement des traités. Il s’agit précisément de la Convention franco-espagnole de 1900 que la Cour a considéré comme seul traité faisant droit. Et, c’est justement en vertu de cette reconnaissance que la frontière terrestre doit être désormais fixée conformément aux lignes droites (parallèles et méridiens) de cette Convention de 1900. D’où le retour au Gabon des territoires qui se situent à l’Est du méridien concerné. Par contre, ce n’est pas en vertu d’un traité (et encore moins de la convention de 1900) que la Cour a affirmé la souveraineté de la Guinée Equatoriale sur les îles. La Cour a estimé que l’Espagne y a exercé sa souveraineté pendant la période coloniale Aucun traité colonial ne le dit. Une fois de plus, il faut lire l’arrêt de la CIJ.

Des voix gabonaises dénoncent une stratégie trop académique, déconnectée des réalités géopolitiques. En clair : avons-nous «trop cru au droit» et pas assez joué la carte diplomatique ou stratégique en amont du jugement ?

Chacun a le droit de dire ce qu’il veut sur tout. Surtout dans notre pays où tout le monde sait tout sur tout.

Que voulez-vous que je réponde à des gens qui s’insurgent contre l’usage du droit devant une Cour où on est censé faire… du droit ? C’est quoi la carte diplomatique ? C’est quoi la carte stratégique ? Je ne sais pas de quoi il s’agit dans un procès.

Vous avez dit après le verdict que «le Gabon et la Guinée équatoriale sont condamnés à vivre ensemble’. Mais que veut dire vivre ensemble» quand l’un gagne et l’autre perd ? Le Gabon peut-il digérer cette perte sans tension intérieure ni ressentiment régional ?

Le droit et l’émotion ne font pas bon ménage. En droit moderne, vous connaissez un jugement sans perdant ni gagnant. Cela empêcherait la vie de continuer ?  Il ne vous semble pas évident que la géographie condamne le Gabon et la Guinée à vivre ensemble ? Pour le reste, je n’ai pas les capacités de juger de la digestion de je ne sais quoi par le Gabon sans tension intérieure ni ressentiment régional.  Le Gabon a été clair au moment du rendu de l’arrêt et l’est toujours : une décision a été rendue. Les deux parties doivent s’asseoir, seules ou assistées, pour la faire appliquer dans sa totalité : le tracé de la frontière terrestre, la souveraineté sur les îles et la négociation de la frontière maritime qui n’existe pas aux yeux de la Cour.

Au-delà de Mbanié, Cocotiers et Conga, ce jugement ouvre une brèche : d’autres différends frontaliers africains pourraient désormais être tranchés selon les titres coloniaux. Le Gabon ne vient-il pas d’accepter un précédent dangereux pour l’Afrique ?

Ce jugement n’ouvre aucune brèche et le Gabon n’a rien à accepter ou refuser. Du reste, et depuis toujours, la CIJ tranche les différends territoriaux en Afrique et ailleurs essentiellement selon les titres coloniaux : c’est le principe de l’uti possidetis juris (le respect des frontières héritées de la colonisation) qui est un principe général du droit international public et l’un des principes fondamentaux de l’Organisation de l’Unité Africaine et, aujourd’hui, de l’Union Africaine. Ne pas le savoir expose à toutes les élucubrations qu’on lit ici et là.

Certains médias évoquent un gain territorial pour le Gabon sur la partie continentale, notamment autour d’Ebebiyin et de Mongomo, en vertu du tracé de 1900. Pouvez-vous nous dire clairement ce que le Gabon récupère – en superficie, en enjeux stratégiques – et quand ces redéfinitions prendront effet sur le terrain ?

Il ne s’agit pas de médias, mais de l’arrêt de la CIJ. Dès lors que le seul titre reconnu par la CIJ en matière de frontière terrestre est la Convention de 1900, la frontière terrestre entre les deux Etats doit être fixées conformément à cette Convention de 1900. Tout le monde peut le vérifier sur le terrain, la frontière est matérialisée par le cours de la rivière Kyé et le pont sur cette rivière entre les deux pays. Or il n’y a pas de frontière sur la rivière Kyé dans la Convention de 1900. La réalité qu’a refusé de reconnaitre la Guinée (suivie en cela par la CIJ), c’est que la rivière Kyé comme frontière est le produit de la Convention de Bata de 1974. Il faut donc en tirer les conséquences et rétrocéder au Gabon tous les territoires (autour de 300 km2) concernés !

Si le Gabon perd les îles, mais regagne du terrain à l’intérieur des terres, cela implique-t-il un redéploiement des forces, une renégociation de la cohabitation frontalière ou même des frictions avec les populations locales ? Un nouveau «front froid» pourrait-il s’ouvrir à l’Est ?

Je vous parle de droit. Je ne spécule pas sur les états d’âme, le chaud ou le froid etc…

Que diriez-vous aujourd’hui aux Gabonais qui considèrent que le pays a cédé une partie de son territoire ? Peut-on encore parler de perte «symbolique», ou faut-il reconnaître une défaite géopolitique réelle, avec ses conséquences ?

Je ne peux empêcher les gens de considérer ce qu’ils veulent. Je n’ai donc pas grand chose à dire ou à répondre à cela. Je vous ai donné le droit et les faits. Ensuite chacun en pense ce qu’il veut. Je suis désolé de le redire : mon métier ne consiste pas à spéculer sans fin sur des états d’âme.

 
GR
 

3 Commentaires

  1. EDZANG ANICET dit :

    La décision de la CIJ nous ramène symboliquement au Gabon de 1900, la seule différence étant qu’elle a tranché la question de la souveraineté des trois îlots, un sujet déjà pertinent à l’époque. Le véritable défi pour le Gabon post 1974 est de savoir s’il peut réellement faire confiance à la GE.

  2. Gayo dit :

    Il est aussi condescendant ce monsieur?

  3. Bibalou Maximin dit :

    La condescendance du prétendu savant africain. Si on n’est pas juriste, on ne doit rien dire. On doit la boucler.

    Il évacue la majorité des questions pourtant pertinentes, il botte en touche. À la fin, il n’a pas permis d’éclairer l’opinion.

    Il est sur la défensive du fait de l’échec de la ligne de défense qu’il a imposé au Gabon du haut de ses titres académique. On n’est pas avocat parce qu’on est diplômé de Droit.

    Triste savant des tropiques. Merci à Gabon Review d’avoir publié cette interview mettant au grand jour la vacuité et les rodomontades de bluffeur diplômé.

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