À l’heure où le Gabon referme la parenthèse de la transition pour entrer dans une nouvelle phase institutionnelle, GabonReview a sollicité le regard d’acteur à la fois politique et technocratique de Jean Gaspard Ntoutoume Ayi, vice-président de l’Union nationale et directeur général de la Dette. Dans cet entretien, en perspective des élections législatives et dans un contexte où l’opinion publique attend des voix solides et crédibles, il est amené à revenir sur le sens de son engagement politique, à tirer les enseignements de la transition. Il plaide pour une gestion rigoureuse des finances publiques, et affirme sa volonté de contribuer à la reconstruction du pays par la voie parlementaire.

«Le 30 août 2023 est venu mettre un terme à une entreprise de destruction de notre pays que les voies démocratiques n’étaient pas parvenues à éradiquer», dixit Jean Gaspard Ntoutoume Ayi. © GabonReview (montage)

 

GabonReview : Monsieur Ntoutoume Ayi, on vous connaît comme l’un des piliers idéologiques de l’Union nationale. Qu’est-ce qui fonde aujourd’hui encore votre engagement politique ?

Jean Gaspard Ntoutoume Ayi : Dès le mois de novembre 2009, soit moins d’un mois après la première prestation de serment d’Ali Bongo, donc son premier coup d’Etat électoral, avec d’autres compagnons j’ai été associé sous la direction de Paulette Missambo aux travaux préparatoires qui ont abouti à la création de notre Parti. Et depuis cette date, mon engagement politique est indissociable de l’Union Nationale.

Le 30 août 2023 est venu mettre un terme à une entreprise de destruction de notre pays que les voies démocratiques n’étaient pas parvenues à éradiquer. La transition étant arrivée à son terme, nous sommes à présent dans la situation où nous devons reconstruire notre pays.

La devise de l’Union Nationale est : « Le Gabon pour Tous ! ». Notre parti a un projet pour notre pays. Il présentera ce projet au suffrage des électeurs lors des prochaines consultations pour les élections législatives et locales. Naturellement, ce projet entre en résonnance avec le projet du président de la République que nous avons soutenu sans réserve, aussi bien tout au long de la période de la Transition que pour sa brillante élection le 12 avril dernier. Le projet qu’il a présenté et qui a obtenu l’approbation quasi unanime du Peuple gabonais à travers son vote est porteur d’espérance pour notre pays. L’Union Nationale est déterminée à contribuer, à la place qui est la sienne, à la pleine réalisation de ce projet.

Jean Gaspard Ntoutoume Ayi : «‘’Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde.’’ Il suffit pour cela de voir les comportements de certains, notamment les anciens camarades d’Ali Bongo. Autant j’invite au pardon, autant je pense que nous ne devons rien oublier et toujours nous souvenir que les acteurs de ce qui s’est produit sont toujours en activité.» © D.R.

La transition est officiellement terminée. Quel regard portez-vous sur cette période ?

Le 30 août 2023, les Gabonais ont été sortis de leur sommeil par l’annonce des résultats de l’élection présidentielle par Monsieur Stéphane Bonda, alors Président de Centre Gabonais des Elections, le fameux CGE. Le cauchemar… Au terme de cette déclaration, j’ai le souvenir d’être debout à ma terrasse, les yeux tournés vers le ciel obscur, comme pour trouver une réponse céleste à ce qui ressemblait à une malédiction pour notre pays. Intervinrent alors, comme une réponse du Ciel à ma désespérance, ces douze (12) compatriotes déclinant le Communiqué N° de 001 du CTRI. Je comprends que nos compatriotes parlent encore aujourd’hui de Coup de la libération pour désigner les évènements du 30 août 2023.

Je voudrais avant tout rendre hommage et dire ma reconnaissance éternelle à ces 12 Gabonais, jusque-là inconnus de tous. Il reviendra aux historiens d’écrire leur histoire qui, de mon point de vue, constituera le point de départ du Gabon que nous allons construire. Je forme le vœu que dans le Panthéon de l’histoire de notre pays, leurs noms et l’histoire de chacun d’eux figurent en bonne place. Nos petits-enfants et nos arrières petits-enfants devront se souvenir d’eux, connaitre par cœur leurs parcours de vie. Les rues, les avenues et les boulevards de nos villes devront, le moment venu, porter leurs noms. Ils sont pour moi l’incarnation du patriotisme.

Je voudrais aussi rendre hommage au Général de Brigade Brice Clotaire Oligui Nguéma. C’est à lui que ses frères d’armes ont confié la responsabilité de diriger la Transition. Ils ont choisi celui parmi eux qui était le plus à même de conduire cette mission si délicate. Il a réussi avec brio à maintenir le pays uni, à rassurer la communauté internationale et à faire de la transition gabonaise un exemple désormais cité à travers le monde. Au regard du résultat, je suis admiratif.

La période de Transition a été pour notre pays une période riche d’enseignements. Elle a permis de faire renaître l’espérance en chacun de nous. Elle a éprouvé notre capacité à nous pardonner pour le mal qui nous a été fait collectivement et individuellement. Il semble que pour beaucoup d’entre nous, cela prendra encore un peu de temps. Mais je suis volontariste : nous devons y arriver.

Cette période nous rappelle enfin que rien n’est jamais acquis et que comme l’avait dit Bertolt Brecht en 1941 : « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde. ». Il suffit pour cela de voir les comportements de certains, notamment les anciens camarades d’Ali Bongo. Autant j’invite au pardon, autant je pense que nous ne devons rien oublier et toujours nous souvenir que les acteurs de ce qui s’est produit sont toujours en activité.

La date des législatives est fixée et beaucoup s’interrogent sur votre position. Vous êtes-vous décidé à franchir le pas ?

Le Chef de l’Etat m’a fait l’honneur de me proposer de diriger la Direction Générale de la Dette durant la période de la Transition. Après une longue réflexion et beaucoup d’hésitation, j’ai accepté cette responsabilité qui m’était confiée. Je l’ai acceptée avant tout parce que c’était un acte élevé de confiance et l’expression de la volonté de reconstruire le Gabon avec tous les Gabonais sans exclusion. Je l’ai aussi acceptée parce que je considérais que durant cette période, nous avions tous le devoir de nous mettre au service des autorités de la Transition pour contribuer à la réussite de cette dernière. Ainsi, comme le Colibri de la légende : je faisais ma part. J’espère m’être montré à la hauteur de la confiance placée en moi. Pour ma part, j’exerce cette responsabilité avec bonheur, avec enthousiasme et un sens élevé de responsabilité.

Avec l’élection du président de la République, nous sommes arrivés au terme de la Transition. Mon engagement politique n’est un secret pour personne. Je suis Vice-président de l’Union Nationale. Il n’y a donc pas de pas à franchir en ce qui me concerne. Je serai naturellement candidat à l’élection du député de ma circonscription du 2ème arrondissement de la Commune d’Akanda. Mon ambition est de participer à la restauration de notre Assemblée Nationale. Le pays en a réellement besoin.

Vous avez souvent défendu une approche rigoureuse des finances publiques. Est-ce compatible avec le rôle de parlementaire ?

Le Parlement est pour l’Etat ce que le Conseil d’Administration est pour l’entreprise. A l’observation, le Parlement constitue le maillon faible de la gestion rigoureuse des Finances publiques dans notre pays. Et plus largement de la gestion publique.

Le rôle d’un parlementaire comprend, entre autres, le vote de la loi, le contrôle de l’action du gouvernement et l’évaluation des politiques publiques. En matière de finances publiques, le Parlement a notamment pour mission de consentir à l’impôt, d’autoriser les dépenses de l’État, de contrôler leur exécution et de s’assurer de la transparence des comptes publics. Une approche rigoureuse des finances publiques, qui implique une gestion saine et transparente des recettes et des dépenses, est donc un élément clé du rôle de contrôle du Parlement. Elle permet de s’assurer que l’argent public est utilisé efficacement et au mieux des intérêts du pays et de la population.

En défendant une approche rigoureuse des finances publiques, un parlementaire remplit donc pleinement son rôle en veillant à la bonne utilisation des fonds publics et en contribuant à la transparence de l’action gouvernementale. Cela va se traduire par l’exigence de budgets sincères, l’initiative de propositions de loi visant à améliorer la gestion financière de l’État ou encore l’interpellation du gouvernement sur la manière dont sont utilisés les deniers publics et des enquêtes parlementaires lorsque cela s’avèrera nécessaire.

Vous êtes directeur général de la Dette, un poste éminemment technique. Comment conjuguez-vous cela avec votre engagement politique ?

Cette situation nous rappelle d’abord que les femmes et les hommes qui ont un engagement politique ont également un métier qu’ils ont vocation à exercer. Mes amis Minault Maxime Zima-Ebeyard ou Anges Kevin Nzigou sont respectivement médecin et avocat, tout comme je suis spécialiste en gestion des finances publiques.

Dans l’exercice de leurs métiers, les individus sont tous astreints à des obligations de réserve. Cela est vrai pour le médecin, pour l’avocat ou le journaliste. Dans l’exercice de mon métier, je suis également astreint à une obligation de réserve. Je suis fonctionnaire. A ce titre, cette obligation de réserve à laquelle je suis particulièrement attaché est encadrée par les textes législatifs et réglementaires de la fonction publique. L’obligation de réserve, qui n’est pas l’absence de liberté politique, syndicale ou religieuse, est une composante essentielle des droits et obligations des agents publics. Elle commande que ces derniers s’interdisent de s’exprimer hors cadre professionnel sur les dossiers dont ils ont la charge ou qu’ils sont amenés à connaitre dans l’exercice de leurs fonctions.

Cette question essentielle est traitée par les articles 68 à 71 du Code de Déontologie de la fonction publique qui encadrent la neutralité et le devoir de réserve :

  • Article 68.- Sous réserve des restrictions relevant de son statut, l’agent public s’exprime librement.
  • Article 69.- L’agent public est tenu de respecter la confidentialité des informations dont il a connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. Sauf dispositions législatives contraires ou dispense expresse, cette obligation subsiste après la cessation des fonctions.
  • Article 70.- L’agent public ne doit pas user de son poste, de sa fonction ou de sa responsabilité à des fins politiques ou partisanes susceptibles de nuire à l’intérêt du service public.
  • Article 71.- L’agent public ne doit pas, pour cause de son appartenance politique ou de ses croyances idéologiques, influencer ou détourner l’action administrative.

Enfin, comme Directeur Général de la Dette, j’ai sous ma responsabilité plusieurs centaines de compatriotes qui travaillent avec moi au quotidien, je suis au service des usagers et des partenaires de cette administration, et j’ai en charge la mise en œuvre de la politique du Gouvernement sous l’autorité duquel j’exerce. J’exerce cette fonction, au service de l’Etat, en conformité avec ce qui fonde mon engagement politique : le sens de l’Etat, le rapport à l’autre et l’amour de mon pays.

Comment appréciez-vous cette double casquette de technocrate et de politique : atout ou handicap ?

Je pense que nous avons un mauvais usage de l’expression technocrate. En toute rigueur, on désigne comme technocrate un Responsable qui tend à faire prévaloir les aspects techniques, au détriment de l’élément humain. Et j’ose croire que ce n’est pas ce que vous vouliez dire.

J’ai un métier que j’exerce depuis 28 ans au sein de l’administration gabonaise ou au service d’organismes internationaux. Je l’exerce actuellement dans l’administration publique en tant que fonctionnaire, parce que j’ai été intégré dans la fonction publique en 1997, au sortir de l’Institut de l’Economie et des Finances (IEF). Je l’ai aussi exercé pour le compte de plusieurs organismes internationaux lorsque mon engagement politique m’a arbitrairement couté mon emploi dans la fonction publique pendant 14 ans.

Par ailleurs, j’ai une vocation, celle de me mettre au service de l’intérêt général. Cette vocation se traduit par mon engagement politique au sein de l’Union Nationale, formation politique dont je suis le Vice-président.

Dans l’exercice de ma fonction de Directeur Général, il ne sera jamais fait mention de mon engagement politique ou de mes responsabilités au sein de l’Union Nationale. De même, dans le cadre de mes activités politiques, je ne saurais évoquer les sujets que je suis amené à traiter ou à connaitre dans le cadre professionnel.

Je dirais pour conclure que ma sensibilité politique m’aide à avoir une approche plus humaine de mes responsabilités dans l’administration, tout comme ma connaissance de l’appareil d’Etat me permet d’avoir des analyses politiques plus éclairées.

Quel serait, selon vous, le rôle d’un député dans le Gabon post-transition ?

La Constitution de notre pays dispose en son article 90 que « tout mandat impératif est nul », chaque parlementaire choisira donc en conscience le rôle qui sera le sien. Pour ma part, je considère qu’en tant que représentant du Peuple, le Parlementaire devra être celui qui, dans le dispositif existant, devra veiller, plus que tout autre, à faire le lien entre les attentes des Gabonais et les choix des pouvoirs publics.

Brice Clotaire Oligui Nguéma a été élu a plus de 94% sur la base d’un projet qu’il a présenté au peuple gabonais. L’Union Nationale, la formation politique à laquelle j’appartiens, et moi-même avons clairement soutenu ce projet et celui qui en était le porteur. Le rôle du député étant de voter la loi, de contrôler et évaluer l’action du pouvoir exécutif, les députés qui seront élus lors des prochaines élections législatives, prévues en septembre 2025, auront pour rôle principal de voter les lois qui permettront la réalisation des engagements du projet pour lequel le président de la République a été élu et de veiller à ce que l’action de l’exécutif, donc principalement des membres du Gouvernement, soit conforme au projet que les Gabonais ont plébiscité.

Si demain, votre responsabilité à la Dette venait à vous être retirée, comment envisageriez-vous la suite ?

Une chose est certaine, ce jour viendra où je ne serai plus Directeur Général de la Dette. Fort heureusement d’ailleurs !

Le jour de ma prise de fonction, j’ai accompagné mon prédécesseur saluer nos collègues de la Direction Générale de la Dette dans la cour au pied de notre bâtiment. En le regardant, je me suis dit : le prochain c’est moi. Chaque jour, lorsque je regarde la galerie des portraits de mes prédécesseurs qui se trouve dans mon bureau, j’y vois la place qui sera réservée au mien. Certains parmi eux ne sont restés que quelques mois et d’autres jusqu’à 19 ans. Mais tous ont été amenés à quitter cette fonction et à faire autre chose. Lorsque viendra pour moi ce moment, je voudrais d’abord pouvoir dire à mes collègues combien j’ai aimé travailler avec eux et combien j’ai apprécié la compagnie de chacun d’eux. C’est cela qui pour moi est le plus important, faire au mieux et avec ses collègues ce que l’on est chargé de faire et s’épanouir en le faisant.

Pour la suite, j’ai acquis la certitude au cours des ans qu’il y a quelqu’un quelque part qui veille sur moi. Je suis donc confiant.

 
GR
 

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