Justice sous tension, avocate sous pression : l’affaire Eyue Bekale, un révélateur d’exception

Annoncée pour ce 17 juillet, la conférence de presse du Procureur de la République sur l’affaire des vidéos clandestines a été reportée sine die. Pendant ce temps, l’avocate de Sylvia Bongo et de Noureddin Bongo Valentin reste au centre d’un enchaînement procédural aux contours flous. À la lumière du droit gabonais et des garanties statutaires de la profession d’avocat, une question s’impose : ce traitement est-il conforme à l’État de droit, ou révèle-t-il une dérive inquiétante du système judiciaire ?

Ce n’est pas Me Giselle Eyue Bekale seule qu’on interroge, c’est la manière dont la justice traite l’un des siens. En défendant la procédure, l’avocate rappelle que la justice ne peut punir hors du droit. © Getty Images
Au Gabon, la protection de l’avocat n’est pas un privilège : elle est un pilier fondamental du droit à un procès équitable. L’article 68 de la loi sur la profession stipule l’inviolabilité des cabinets d’avocats ; l’article 70 exige que toute enquête ou audition visant un avocat fasse l’objet d’une notification préalable au bâtonnier. Ces textes, joints aux articles 53 et 58 du Code de procédure pénale, garantissent le respect des droits de la défense, même lorsqu’un avocat devient lui-même sujet à une procédure.
Un cadre légal précis, contourné dans les faits ?
Or, dans l’affaire Me Eyue Bekale, plusieurs entorses à ce dispositif semblent avoir été commises : irruption d’agents de la DGR sans mandat ni information préalable du bâtonnier, convocation antidatée remise à 14 h pour une comparution exigée à midi, pressions indirectes relayées par voie médiatique. L’avocate a dû se retrancher dans son propre cabinet, dans une posture quasi insurrectionnelle, non contre la loi, mais pour que la loi s’applique à elle comme aux autres.
Face à cette situation, le bâtonnier Raymond Obame Sima a tenu la ligne de crête : affirmer la loyauté du Barreau envers la justice tout en rappelant l’indispensable respect des procédures. Il a imposé que l’audition se tienne non à la DGR, mais au bureau du Procureur de la République, en présence d’un membre du Conseil de l’Ordre. Nullement corporatiste, cette exigence est constitutionnelle : le droit n’a de sens que s’il s’applique sans discrimination, y compris – et surtout – quand l’opinion publique s’échauffe.
Il y a que dans l’ombre, une autre bataille se joue. Me Eyue Bekale est soupçonnée d’avoir facilité l’enregistrement clandestin de scènes d’instruction par son client. Celui-ci a reconnu les faits, mais la suspicion demeure sur son conseil. Si la preuve est établie, des suites disciplinaires ou pénales pourraient advenir. Mais tout procès commence par une rigueur dans la forme. Or ici, la forme a vacillé.
Une normalité de façade, une anomalie de fond
La conférence de presse attendue du Procureur devait sans doute rétablir la chronologie, éclairer les faits, et dissiper le malaise. Son ajournement, sans motif ni délai, laisse la place au soupçon. Que cherche-t-on à ajuster, à temporiser, à effacer ?
Au-delà de la personne de Me Eyue Bekale, c’est l’idée même de l’avocat qui vacille. Peut-il encore exercer sans crainte dans un système où la procédure semble s’adapter à la cible ? Peut-il défendre sans devenir suspect ? L’affaire révèle une tension profonde : entre la nécessité d’une justice ferme et celle d’un État de droit équitable, entre la lutte contre l’impunité et le respect des formes.
Et si l’anomalie, ici, n’était pas le comportement d’un avocat, mais l’affaiblissement sourd des garde-fous judiciaires ? La justice gabonaise traverse en tout cas une épreuve. Elle peut en sortir renforcée, si elle choisit la rigueur, la transparence, la régularité. Mais si elle cède à l’air du temps – celui des procédures bricolées, des pressions médiatisées, des violations banalisées – elle se condamne à perdre le peu de crédibilité qu’elle a encore. Dans ce dossier, la question n’est plus seulement : Me Eyue Bekale a-t-elle fauté ? Mais bien : la justice, elle, est-elle restée fidèle à ses propres lois ?

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