La question du Droit d’auteur au Gabon : Et si on en parlait ?

Alors que le paiement des droits d’auteur pour l’exercice 2024 a récemment ravivé les tensions dans le monde culturel gabonais, la question de leur répartition, de leur régulation et de leur avenir reste au cœur d’un profond malaise. Derrière les annonces officielles, une réalité plus complexe se dessine : celle d’un système encore peu compris, inégalitaire et mal adapté aux défis du numérique. Essayiste et chroniqueur culturel de GabonReview, Hugues-Gastien Matsahanga dresse ici un état des lieux sans fard et plaide pour une refonte pragmatique et équitable du droit d’auteur au Gabon.

«Malgré les espoirs qu’il représente, le système actuel du Droit d’auteur semble peiner à transformer la précarité des professionnels de la culture en une véritable prospérité.» © GabonReview
Voici un sujet qui suscite de vives réactions et soulève de nombreuses interrogations quant à sa réelle signification et à son application pour nos artistes. Malgré les espoirs qu’il représente, le système actuel du Droit d’auteur semble peiner à transformer la précarité des professionnels de la culture en une véritable prospérité. C’est sans compter avec l’intrusion du numérique et l’intelligence artificielle, qui, mal régulée, peuvent aggraver la brèche sur l’édifice de la propriété intellectuelle.
La pomme de la discorde
Bien que de nombreux ateliers et séminaires aient été organisés pour informer les acteurs sur cette thématique, celui du 31 février dernier, initié par le BUGADA (Bureau Gabonais des Droits d’Auteur) et son ministère de tutelle, ne semble pas avoir réussi à dissiper les doutes persistants au sein de la communauté des acteurs culturels. Les conditions d’application de la Loi n° 1/87 du 29 juillet 1987, notamment la clé de répartition des droits et son avenir, demeurent une source d’incompréhension.
L’annonce par le BUGADA, le 1er avril dernier, du lancement du paiement des droits d’auteur pour l’exercice 2024 a ravivé les débats. Cette opération, exécutée en deux phases les 2 et 4 avril, a concerné un total de 413 bénéficiaires. La Direction Générale du BUGADA a attribué cette initiative à une dotation présidentielle spéciale de 70 millions FCFA ainsi qu’à la perception de 32.850.000 FCFA de redevances pour l’année 2024.
Si cette démarche est indéniablement positive pour les bénéficiaires, elle n’a pas manqué de soulever des questions fondamentales sur le mécanisme de répartition et sa pérennité. Il est essentiel d’examiner les représentations des racines de ce que nous percevons aujourd’hui comme une anomalie qui freine le développement durable des industries culturelles et créatives dans leur ensemble.
Pour sa part, l’atelier organisé en début d’année par le ministère de tutelle avait pourtant réuni des experts du BUGADA et des entrepreneurs culturels chevronnés pour éclairer les professionnels sur la protection des œuvres et l’importance de la propriété intellectuelle. Malgré les efforts déployés pour partager les bonnes pratiques en matière d’enregistrement, de recouvrement et de perception des droits, des incompréhensions persistent, notamment lors des paiements, où des disparités de traitement sont constatées.
Au commencement était le Droit
Fondamentalement, le droit d’auteur protège les créations originales dans les domaines littéraire, artistique et musical. Il offre aux auteurs un contrôle sur l’exploitation de leurs œuvres, leur permettant de s’opposer à leur reproduction ou à la copie de parties importantes. Ce droit s’acquiert automatiquement dès la création, sans formalité, pour une durée déterminée par la loi. L’objectif est de protéger les créateurs, d’encourager la création et de leur permettre de valoriser leurs œuvres grâce à des droits exclusifs de reproduction, d’adaptation, de distribution, de représentation et de communication au public. C’est dans ce cadre que s’inscrit la notion de propriété intellectuelle. La protection, dont la durée varie selon le type d’œuvre et les lois nationales, est généralement calculée à partir de la déclaration de l’œuvre.
L’acquisition du droit d’auteur ne nécessite aucune formalité, sous réserve que la création soit originale et déclarée auprès d’un organisme habilité, tel que l’OGAPI (Office Gabonais de la Propriété Intellectuelle) au Gabon, pour prouver l’antériorité. Le droit d’auteur englobe à la fois des droits moraux (paternité, divulgation, etc.) et des droits patrimoniaux (reproduction, adaptation, etc.). Il existe également des droits voisins, protégeant les interprétations et les enregistrements sonores, qui nécessitent des déclarations spécifiques pour la rémunération des acteurs impliqués dans la production.
Déficit d’information et de formation
Comme nous venons de le voir, le droit d’auteur est un instrument normatif visant à garantir la reconnaissance et la protection des œuvres des créateurs. Au Gabon, ce cadre juridique est défini par la Loi n° 1/87 du 29 juillet 1987 et par des conventions internationales comme la Convention de Berne. La gestion de la collecte et du paiement des droits est assurée par le BUGADA, un organe étatique placé sous la tutelle du Ministère de la Culture et des Arts, contrairement à des entités comme la SACEM (Société des Auteurs Compositeurs et Editeurs de Musique) en France qui relèvent du droit privé en tant qu’entreprise mixte. Ainsi, en tant qu’entité relevant de la tutelle du ministère chargé de la Culture et des Arts, le BUGADA a pour mission de défendre les intérêts moraux et matériels des auteurs et de déterminer les conditions d’exploitation de leurs œuvres. Les paiements sont financés par les redevances de droits d’auteur et des dotations spéciales. Seuls les membres du BUGADA, inscrits au registre de l’organisme, sont en droit de percevoir leurs droits auprès du Trésor Public sur présentation d’un bon de caisse, leur carte de membre et de leurs pièces d’identité.
Au cours d’un entretien avec un média local, le Directeur Général du BUGADA, Gildas Boris Ndong Nang, a récemment reconnu l’existence d’un « déficit d’information et de formation sur les enjeux de la propriété intellectuelle, particulièrement dans le contexte numérique et globalisé actuel. » La spécificité du Gabon rend urgente une réflexion approfondie sur la manière d’organiser le système afin que les droits d’auteur bénéficient à un plus grand nombre d’artistes et que la répartition soit plus équitable, reflétant le travail de chacun.
La répartition forfaitaire actuellement pratiquée par le BUGADA ne tient pas suffisamment compte du travail individuel des artistes, ni du droit voisin incluant les autres acteurs intervenant sur la chaîne de production. Et encore moins les professionnels des filières plus confidentielles telles que l’artisanat d’art ou les arts plastiques. Il est pourtant impératif que les artistes professionnels s’inscrivent au BUGADA et déclarent leurs œuvres auprès des organismes de protection intellectuelle. Si une démarche personnelle et libre est nécessaire de la part des artistes, il est tout aussi crucial de réexaminer le cadre de fonctionnement du BUGADA pour favoriser cette évolution.
Les nécessaires accompagnement et appui institutionnel
La Ministre de la Culture et des Arts, Armande Longo Moulengui, a dès sa prise de fonction encouragé « l’innovation et le pragmatisme au sein de l’administration et chez les acteurs culturels ». Son récent renouvellement de mandat, élargi à la Jeunesse et aux Sports, suscite l’espoir d’une nouvelle dynamique. Il sera essentiel de multiplier les espaces d’échange pour établir de nouvelles bases et renforcer les capacités des acteurs institutionnels et culturels concernant leurs responsabilités dans le développement des industries culturelles.
Concernant les adhésions et les déclarations d’œuvres, la plateforme numérique Jacco permet déjà par exemple de mesurer l’impact de chaque œuvre. Mais combien d’artistes sont-ils conscients de cette avancée ? L’existence de ce dispositif institutionnel suggère que le manque d’information auprès des acteurs est un problème majeur. Le BUGADA a en effet pour missions de défendre les intérêts des auteurs, de déterminer les conditions d’exploitation des œuvres, d’établir les contrats d’exportation et d’administrer les fonds destinés aux artistes.
Nous l’avons déjà souligné, au Gabon, la Loi n°16/2023 reconnaît légalement le statut de l’artiste, définissant différentes catégories et instituant une carte professionnelle et un registre national. L’adoption de cette loi et les textes d’application attendus pourraient ouvrir la voie à une réforme du mécanisme de collecte et de rétribution des droits d’auteur et des droits voisins, permettant à un plus grand nombre d’ayants droit d’en bénéficier.
À court et moyen terme, la création d’un fonds d’appui à la culture, sous forme d’un fonds de développement culturel alimenté par des redevances prélevées auprès des opérateurs exploitant les créations locales, pourrait stimuler l’essor culturel, améliorer l’accès à la culture et revitaliser durablement les communautés artistiques locales.
Les défis du numérique en perspective
L’autre défi réside dans l’intervention du numérique, côté pile, comme levier de développement des ICC Industries Culturelles et Créatives), tout en considérant le risque qu’il pourrait constituer dans la protection des œuvres de l’esprit. En tant que levier, le numérique permet par exemple aux artistes musiciens en particulier de s’affilier aux plateformes de « streaming » et toucher des publics plus larges, bien au-delà des frontières du pays. Mais le fonctionnement des maisons de production locales et les labels y rattachés est si peu régulé qu’il permet à quelques rares élus d’en profiter.
Côté face, l’intrusion du numérique, à travers l’intelligence artificielle en amont de la chaîne de production des œuvres de l’esprit, constitue une réelle menace pour le droit des auteurs. Il est bien connu qu’en droit d’auteur, les créations générées par l’IA sans intervention humaine ne sont généralement pas protégées. Seules les œuvres où l’humain apporte une contribution créative substantielle peuvent être protégées. L’utilisation de l’IA comme outil pour assister un créateur humain, sans être le seul auteur, peut être protégée. Il s’agit là d’une problématique sur laquelle l’Etat entend également se pencher en s’inspirant des recettes déjà expérimentées ailleurs.
C’est sous cette dimension transversale que le Gouvernement a récemment lancé une concertation sur l’intelligence artificielle et les droits d’auteur. Cette initiative gouvernementale majeure devrait viser à définir une stratégie adaptée aux enjeux spécifiques du pays en vue de susciter une réflexion sur l’avenir culturel et technologique. Affaire à suivre.

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