Le Gabon, l’histoire que personne ne raconte… encore

Dans un monde où les récits forgent les nations, le Gabon demeure un géant silencieux. Écologiquement exemplaire, stratégiquement positionné, culturellement dense, il reste pourtant absent des grandes narrations internationales. Dans cette chronique incisive, Adrien Nkoghe-Mba* plaide, dans cette chronique, pour l’émergence d’un véritable « appareil narratif gabonais », capable de transformer les atouts du pays en vision partagée, en fierté collective et en puissance douce. Car aujourd’hui, plus que la force brute, c’est l’art de se raconter qui distingue les pays qui comptent.

Ce pays existe. C’est le Gabon. La seule question est : pourquoi le monde ne le sait-il pas encore ? Il y a qu’un récit national n’est pas une brochure touristique. C’est une architecture mentale. © GabonReview
Imaginez un pays au cœur de l’Afrique équatoriale, recouvert à 88 % par la forêt, avec plus d’arbres que d’habitants. Un pays qui respire encore le silence des éléphants, le chant des gorilles, et où le carbone est capté plus qu’il n’est émis. Ce pays existe. C’est le Gabon. La seule question est : pourquoi le monde ne le sait-il pas encore ?
Nous vivons dans une ère où les récits façonnent les puissances. La Silicon Valley s’est vendue comme un rêve libertaire de garage. Dubaï, comme un mirage devenu cité du futur. Le Rwanda, comme la start-up nation africaine post-conflit. Et le Gabon ? Silence radio. Pas parce qu’il n’a rien à dire, mais parce qu’il n’a pas encore décidé comment le dire — ni à qui.
Aujourd’hui, le Gabon n’a pas besoin d’un slogan. Il a besoin d’un appareil narratif. Un système de production, de diffusion et de défense de son histoire. Un mécanisme institutionnel, médiatique et culturel qui transforme ses faits en fierté, ses politiques en symboles, ses ambitions en vision partagée. Car dans un monde saturé d’images, la perception est devenue une frontière stratégique.
Prenez le climat. Si les forêts sont les poumons de la planète, alors le Gabon est un des rares pays encore sous oxygène naturelle. Il capte plus de CO₂ qu’il n’en émet. Mais ce leadership écologique n’a pas encore trouvé son récit universel. Pendant que d’autres pays s’autocélèbrent pour avoir planté quelques arbres, le Gabon protège depuis des décennies une biodiversité inestimable. Voilà une opportunité de soft power verte. Mais pour rayonner, encore faut-il illuminer.
Ou regardons la géopolitique. Dans une Afrique centrale en quête de stabilité, le Gabon pourrait jouer un rôle de boussole. Ni géant démographique ni puissance militaire, mais puissance narrative. Un pays capable de dire qui il est et ce qu’il propose à l’Afrique et au monde : un modèle d’équilibre entre souveraineté, durabilité et modernité.
Mais cela demande un saut stratégique. Car un récit national n’est pas une brochure touristique. C’est une architecture mentale. Une construction patiente, où médias, artistes, diplomates, chercheurs et diasporas deviennent les maçons d’une image plus grande que les faits bruts. C’est une diplomatie de l’imaginaire. Et les États qui ne s’en dotent pas deviennent les figurants de leur propre histoire.
Alors oui, le Gabon doit investir dans un Ministère de la Narration — peut-être pas dans les titres, mais certainement dans l’esprit. Il lui faut des plateformes de storytelling, des films, des think tanks, des influenceurs, des musées vivants. Il lui faut, en un mot, une voix.
Parce que dans le monde d’aujourd’hui, ce ne sont pas les pays les plus puissants qui gagnent — ce sont ceux qui savent se raconter.
*Directeur général de l’Institut Léon Mba et président de l’association Les Amis de Wawa pour la préservation des forêts du bassin du Congo.

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