Les duos mythiques de la chanson gabonaise

La musique gabonaise regorge de collaborations artistiques qui ont marqué les esprits et façonné l’identité sonore du pays. Des pionniers des années 70 aux jeunes talents d’aujourd’hui, ces rencontres créatives ont donné naissance à des œuvres mémorables, témoignant de la richesse et de la diversité du patrimoine musical national. Dans cette exploration nostalgique et passionnée, Hugues-Gastien Matsahanga, chroniqueur culturel de GabonReview, nous invite à redécouvrir ces duos mythiques qui ont écrit les plus belles pages de la chanson gabonaise, de Pierre Akendengue et les frères Damas jusqu’aux collaborations actuelles d’Emma et Eboloko.

Exemple de duo notable : Jimmy Ondo et Alain Bongo enregistrent en 1976, à Hambourg, les titres «Restons Gabonais» et «Si dans la vie». © D.R

Il y a quelques jours, la communauté artistique célébrait la Fête Internationale de la Musique, un événement incontournable pour les passionnés de musique à travers le monde. Un véritable prétexte à la légèreté, une occasion de célébrer la diversité sonore et la créativité. C’est dans cette optique que, pour cette sixième chronique de notre édito culturel, nous vous proposons de remonter le temps et de revisiter le répertoire de quelques duos mythiques de la chanson gabonaise.

Les duos, qu’ils soient occasionnels ou pérennes, rassemblent des artistes dont la complicité et la créativité ont marqué l’histoire musicale de notre pays. Ensemble, ils ont laissé des empreintes indélébiles, façonnant le paysage sonore gabonais des cinquante dernières années. Sans nécessairement appartenir à la catégorie des duos officiels, certains partenariats ont néanmoins laissé une trace profonde dans la mémoire collective.

Retour aux sources

Remontons d’abord aux années soixante-dix, à l’aube de la musique gabonaise moderne, lorsque les premières collaborations prennent forme. Parmi celles-ci, celle qui unit le prodige Pierre Akendengue et les frères et sœurs Damas demeure emblématique. Issus des orchestres Les Sphinx et Mini-Sphinx, les Damas ont souvent côtoyé Pierre Akendengue, tissant une amitié musicale de plusieurs décennies.

Cette complicité s’est concrétisée en 1979 avec la sortie du disque intitulé « Claude Damas, Solange et Sophie Interprètent Akéndéngué à la Manière des Sphinx du Gabon », publié aux éditions Ntché. Sur ce vinyle de 45 tours, les trois voix de la fratrie revisitent avec talent le répertoire de Pierre Akendengue, alors en pleine ascension. Les neuf titres qui composent l’album, co-réalisés par Claude Damas et Akendengue lui-même, ont marqué leur époque, notamment des classiques tels que « Tonda Salé », « Toute Mpike » ou encore « Ezengue ».

Autre duo notable : Jimmy Ondo et Alain Bongo. Amis de longue date, tous deux passionnés de pop et de rock, ils enregistrent en 1976, à Hambourg, les titres « Restons Gabonais » et « Si dans la vie ». Ce partenariat marque le début d’une aventure musicale riche en concerts et tournées à travers le monde. Cependant, leur collaboration restera limitée dans le temps, notamment en raison des ambitions scolaires, familiales et surtout politiques d’Alain Bongo.

Les années 80 et 90, quant à elles, furent plus difficiles pour l’émergence de nouveaux duos, la scène étant dominée par des orchestres corporatistes (Massako, Diablotins, Akweza) ou des groupes d’animation politique. Pourtant, certains artistes ont su saisir leur chance. C’est notamment le cas de Prince Martin Rompavet, qui écrit en 1992 le tube « Ndindo », interprété par Angèle Révignet dans l’album « Taximan ». Plus tard, Rompavet lui-même donnera suite à cette chanson avec « Nanda Nde », dans l’album « Démocratie ».

Le souffle créatif les années 90

Au fil des années 90, le duo féminin Angèle Assélé et Annie-Flore Batchiellilys, dans l’album « Feeling Love » (Epassy Records 1998), a aussi laissé une empreinte durable avec la chanson « Désespoir », une balade douce et touchante.

L’émergence du hip-hop à la fin des années 90 a également donné naissance à des duos marquants. Parmi eux, Moveizhaleine, composé de Maât Seigneur Lion et Lord Ekomy Ndong, se distingue par sa longévité et sa cohérence artistique. Leur tube « Aux Choses du Pays » (Zorbam Produxions 2001) reste un incontournable, témoignant de leur engagement et de leur créativité persistante.

Le duo Ety et Mack constitue une étoile filante qui a illuminé le ciel musical gabonais en 2003. Issus tous deux d’ensembles très en vue — Evizo Stars pour Ety et Mbala pour Mack — leur partenariat a été synonyme de raffinement et d’élégance. Bien que leur collaboration n’ait été qu’éphémère, leur unique album a connu un grand succès, notamment grâce au titre « Mussienguili » (Oss Pro, 2003).

La nouvelle vague des années 2000

Le groupe de RnB gabonais « La Fuenté », créé en 1995 dans les quartiers populaires de Libreville, est initialement composé de quatre membres : Styve, Latchow, Eric et Simp. Par la suite, le groupe s’est réduit à un duo formé de Styve et Latchow. C’est dans cette configuration qu’il a connu ses plus grands succès avec des morceaux tels que « Question de feeling », « Belle Maman », « Le Proprio » et « Ghetto Bling Bling » (EBEN Entertainment, 2005). Leur vision musicale singulière, portée par des mélodies accrocheuses et des textes poétiques, a marqué une génération avant leur séparation en 2012.

Christian Ayum, alias Chriss Ayum, était un jeune artiste gabonais à l’avenir prometteur. Ancien membre du groupe Evizo Stars, il s’est éloigné de ses amis pour former un duo avec Krate Mounéné, un autre ancien de la scène. Ensemble, ils ont sorti l’album « Excès de Zèle » (Chriss Production, 1998), un véritable joyau qui a permis à Chriss Ayum d’étendre son talent, notamment dans la salsa avec le titre « Ningo ». Malheureusement, Chriss Ayum est décédé le 5 janvier 2004 à Paris, à l’âge de 33 ans, laissant derrière lui un héritage musical précieux. Son partenaire de duo a lui aussi succombé à une longue maladie quelques années plus tard.

Avec l’évolution technologique, les collaborations entre artistes sont devenues monnaie courante. La mode des albums a laissé place à celle des « singles » et « maxi-singles » diffusés en streaming, facilitant ainsi les collaborations de circonstance, souvent appelées « featuring », où deux talents en vogue unissent leurs voix pour une seule production.

La jeune garde de la génération Y

C’est cette alchimie que le producteur Edgar Yonkeu a su capter avec brio dans le titre « L’Aveu » extrait de l’album « A Nu » (Direct Prod, 2013), en réunissant Arielle T et Shan’l. Bâti autour d’un projet poétique, ce single a confirmé la maturité artistique d’Arielle T et révélé la brillante Shan’L La Kinda. Le succès fut immédiat, tant dans les ventes que lors de la tournée « Tu Creuses Tour », qui a sillonné les grandes villes du pays.

Quatre ans plus tard, le même producteur a renouvelé cette formule avec succès, en réunissant cette fois la chanteuse Créol et Shan’l dans le duo endiablé « Bonobo » (Direct Prod, 2017). Ce titre a rencontré un succès populaire retentissant, confirmant leur place parmi les figures majeures de la scène musicale gabonaise actuelle.

La nouvelle génération n’est pas en reste. Parmi les révélations du moment, deux collaborations se démarquent : Emma ft Eboloko et EJ ft Eboloko. Animée par une inspiration sans détour, la jeune Emma’a a littéralement éclaté avec le titre « Grand Bandit » (Numerik’Art, 2022), où elle s’associe au rappeur Eboloko. Ce morceau a été une véritable pépite, ouvrant même les portes de Sony Music Afrique à cette jeune étoile montante.

De son côté, Eboloko, connu pour ses mixtapes où il brille par ses kicks et punchlines, s’est imposé comme l’un des artistes incontournables du rap gabonais. Considéré par ses fans comme le « banger boy » du genre, il a notamment posé un gimmick sur le titre « Bobo » (Mafia24, 2022), du rappeur E.J., « l’homme du 5e ». Sa popularité ne cesse de croître, et ses collaborations sont très recherchées.

N’hésitez pas à compléter cette liste de duos en commentaire. La chronique ne prend pas de vacances, et rendez-vous à la prochaine édition !

Hugues-Gastien MATSAHANGA,

Essayiste et Spécialiste des Industries Culturelles et Créatives