À Libreville, un bouleversement profond est en cours, à la croisée de l’urbanisation accélérée et des impératifs d’aménagement du territoire. Ces dernières semaines, les opérations de déguerpissement qui ont frappé plusieurs quartiers dits «spontanés» ou «précaires» — notamment derrière l’Assemblée nationale, l’ambassade de Chine ou encore Plaine-Orety — ont mis en lumière la fragilité de l’organisation urbaine de la ville, mais surtout, l’absence d’une politique sociale et durable de relogement. C’est, en tout cas, le porté par une fidèle lectrice de GabonReview qui a souhaité participer au débat, en anonyme. 

Vue de quelques habitations dans un quartier de Libreville. © D.R.

 

À l’instar de la commune d’Owendo, où les populations de certains quartiers sont invitées  à céder la place au projet public, Libreville, ville tentaculaire née d’une urbanisation souvent anarchique, fait l’objet d’une vaste opération de déguerpissement depuis quelques semaines. Recouverte à près de 80 % par ce qu’on appelle l’habitat spontané, la capitale du Gabon est au cœur des projets d’embellissement des autorités qui veulent en finir avec ce paysage urbain composite fait d’un entrelacs d’habitations auto-construites, souvent sur des terrains non viabilisés, parfois à flanc de collines ou sur des zones à risques (bassin-versant, zones inondables). Derrière la prison centrale, dans les quartiers des PK, à Nzeng Ayong, Montagne Sainte, Akébé ou encore Carrefour Léon Mba, des milliers de familles vivent depuis des décennies sur ces terres, sans titre foncier, sans réseaux d’assainissement, souvent sans sécurité structurelle.

Ces zones, bien que précaires, ne sont pas pour autant dépourvues de vie ni de dignité. Certains foyers ont investi toutes leurs économies pour ériger des bâtisses solides, parfois même esthétiques, au cœur de ces quartiers. Mais dans ce tissu hétérogène, la majorité des habitations restent des constructions de fortune, exposées à la moindre pluie diluvienne ou au moindre projet d’aménagement de l’État.

Déguerpissements : les limites d’un urbanisme autoritaire

Les récentes démolitions ont mis à nu la brutalité d’un processus de modernisation qui semble faire l’impasse sur les droits humains et la planification sociale. Des maisons détruites du jour au lendemain, sans préavis suffisant ou sans proposition concrète de relogement, laissent derrière elles des familles démunies, des enfants déscolarisés et un sentiment croissant d’abandon.

Pourtant, ce n’est qu’un début. Car si la logique d’embellissement se poursuit, si les projets d’infrastructures (routes, ponts, drainage, zones d’expansion urbaine) doivent se multiplier, alors ce sont des dizaines de milliers d’habitants supplémentaires qui pourraient être concernés. Tant que les normes cadastrales ne sont pas respectées, aucun quartier informel n’est véritablement à l’abri.

Une ville à deux vitesses

Le contraste est saisissant entre les quartiers riches, comme la Sablière ou les cités planifiées, et le reste de la ville. Là où les nantis vivent dans des zones réglementées, avec titres fonciers, eau courante et routes bitumées, la grande majorité de la population — plus de 80 % — vit dans une insécurité foncière permanente.

Cette dichotomie nourrit un sentiment d’injustice : pourquoi seuls les plus pauvres devraient-ils payer le prix de la modernisation urbaine ? Pourquoi l’État, en quête de requalification urbaine, n’intègre-t-il pas une composante humaine, sociale, dans sa stratégie d’aménagement ?

La voie vers une solution durable : planification inclusive et relogement

La solution existe, pourtant. Elle commence par une reconnaissance de la réalité : les habitants de ces quartiers ne sont pas des squatters sans droits, mais des citoyens gabonais ayant répondu à l’absence d’offre de logement par l’auto-construction. Face à cela, l’État ne peut se contenter de raser. Il doit loger.

Un relogement planifié, pensé, construit avec les populations concernées, est la seule réponse durable. Ce ne sont pas simplement des toits qu’il faut offrir, mais des quartiers viabilisés, intégrés dans le tissu urbain, avec accès à l’eau, à l’électricité, aux transports, à l’école.

Libreville ne pourra se transformer durablement que si sa modernisation ne s’accompagne pas uniquement de béton, mais aussi de justice sociale. Car derrière chaque maison cassée, il y a une histoire, une famille, une vie. Et une ville qui oublie cela oublie ce qui fait sa force : son peuple.

En bref :

• 80 % de Libreville est constituée d’habitats spontanés.

• Les opérations de déguerpissement s’intensifient, sans réelle politique de relogement.

• L’État détient les plans cadastraux, mais tarde à proposer une alternative viable pour les populations concernées.

• La solution durable passe par un programme de relogement inclusif, planifié et financé par l’État.

Libreville se rêve moderne. Mais à quel prix ?

Contribution d’une lectrice

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Bjr. Morceau au choix :

    « 1-Tant que les normes cadastrales ne sont pas respectées, aucun quartier informel n’est véritablement à l’abri ».

    2-« Mais des citoyens gabonais ayant répondu à l’absence d’offre de logement par l’auto-construction. Face à cela, l’État ne peut se contenter de raser. Il doit loger ».

    Le constat alarmant c’est qu’au sortir du désastre de plaine Oréty on s’attendait à ce que ce même Etat s’accorda un répit afin de mieux structurer sa politique, bref revoir sa copie mais hélas les annonces de démolition s’ajoutent.

    Question vraiment simple: il y a quoi derrière cette forme de précipitation seigneur ? Amen.

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