Libreville sous les bulldozers : quand le développement efface les petits métiers

Depuis le 2 juin, Libreville et ses environs résonnent au bruit des engins de chantier. Une vaste opération de démolition, orchestrée par les autorités locales, s’étend sur plusieurs communes de la province de l’Estuaire : Libreville, Owendo, Ntoum et même Cocobeach. Objectif affiché : réaménager l’espace urbain, embellir la capitale et libérer les zones d’occupation jugées anarchiques.

Des petits commerces, dont une cafétéria, dans la commune d’Owendo © GabonReview
Derrière le discours de modernisation servi par les autorités de la 5e République, ce sont des centaines de petites entreprises — bars, snacks, cafétérias, kiosques, salons de coiffure — qui ont été et continuent d’être balayées, laissant une multitude de Gabonais sans revenu du jour au lendemain. Des vies bouleversées qui se multiplient un peu plus chaque jour, à mesure que les bulldozers avancent. Les conséquences sont lourdes, tant pour les propriétaires de terrains et habitations détruits que pour ceux qui, grâce à de petits métiers, tentaient jusque-là de construire une vie digne.
Nadine O., 42 ans, tenait un petit restaurant en bord de route à Owendo depuis 2016. Elle raconte avec émotion la brutalité de l’intervention : «On n’a reçu aucun préavis. Un matin, ils sont arrivés avec les machines. J’ai juste eu le temps de sauver ma bonbonne de gaz. Tout le reste est parti en poussière. C’est avec ce restaurant que je nourrissais mes enfants et que je payais l’école. Aujourd’hui, je n’ai plus rien», confie-t-elle.
Même désarroi dans la commune de Libreville. Madame M.L.L, en situation de mobilité réduite, avait deux box à Nzeng-Ayong où elle vendait des boissons. Elle témoigne : «Je suis une maman, j’ai pu avoir mes deux box où je vendais de la boisson. Ils ont tout cassé. Et j’ai dû renvoyer la jeune fille qui gérait le deuxième box. Je devais encore la garder pourquoi ? On demande aux personnes handicapées de se prendre en charge et de ne pas faire de mendicité, mais quand ce genre de situation arrive sans accompagnement, comment on s’en sort ?»
Aujourd’hui, elle se retrouve à la maison, sans emploi ni activité génératrice de revenus.
Le paradoxe du progrès
Ces démolitions, bien qu’inscrites dans une logique de développement urbain, soulèvent un paradoxe : comment parler de progrès lorsqu’il engendre une montée du chômage et précarise les plus vulnérables ? Dans un pays où l’économie informelle représente une part significative de l’activité, ces petits commerces constituent souvent le dernier filet de sécurité pour des milliers de Gabonais exclus du marché formel. Les victimes appellent à un sursaut de compassion et de dialogue de la part des autorités.
«Qu’on aménage des zones commerciales pour nous. Qu’on nous aide à reconstruire, à repartir. On ne demande pas l’aumône, juste de travailler», plaide Pierre M., ancien propriétaire d’un snack au carrefour SNI, dans la commune portuaire d’Owendo.
Alors que le chantier du «nouveau Libreville» progresse, il emporte avec lui des vies entières, des parcours modestes mais dignes, et une part essentielle du tissu économique informel. La modernisation des villes gabonaises ne devrait pas se faire au prix de l’exclusion sociale. Car un développement qui ne prend pas soin de ses citoyens n’est, au fond, qu’une façade.
Thécia Nyomba (Stagiaire)

1 Commentaire
Bjr. Morceau au choix: « La modernisation des villes gabonaises ne devrait pas se faire au prix de l’exclusion sociale. Car un développement qui ne prend pas soin de ses citoyens n’est, au fond, qu’une façade ». Quid de cette analyse aux yeux des autorités. Manifestement ça fait mal, très mal Amen.