Nationalisation d’Assala : quand le Gabon cède 150 milliards de francs CFA à Gunvor

Dans la suite de son enquête, publiée ce 9 septembre, Africa Intelligence révèle les clauses cachées du contrat pétrolier de 1 milliard de dollars conclu en 2024 entre Gunvor et la Gabon Oil Company. Derrière les discours officiels d’un partenariat «irréprochable», se profilent des taux usuraires, des marges occultes et des interférences d’intermédiaires qui s’apparentent en réalité à un piège : 200 à 250 millions de dollars (environ 120 à 150 milliards de francs CFA) de profits garantis pour le trader suisse, contre un fardeau d’intérêts et de clauses opaques qui dépouillent le Gabon de ses propres richesses..

Le deal Assala : 1 milliard de $ prêté, 150 milliards de CFA payés en clair-obscur. © GabonReview
«Le deal Assala est clean», répètent à l’unisson Gunvor et la GOC. Une formule martelée comme un mantra, mais que la lecture des contrats contredit largement. Le deuxième épisode de l’enquête d’Africa Intelligence plonge au cœur des rouages financiers et politiques de cette opération. À la lecture des documents, le deal apparait comme un montage dont l’équilibre penche largement en faveur du négociant suisse.
Conditions financières asphyxiantes, marges cachées et profits massifs
Le prêt de 1 milliard de dollars accordé par Gunvor se décompose en deux tranches : 800 millions sur cinq ans et 200 millions en crédit renouvelable. Les remboursements mensuels imposent à la GOC de verser 20 millions de dollars jusqu’en 2027, puis 5,8 millions par mois jusqu’en 2029. S’y ajoutent des taux d’intérêt exorbitants : près de 13 % pour la première tranche, plus de 10,5 % pour la seconde, calculés sur des taux fixes indexés au SOFR.
L’analyse est claire : ce montage offre un ballon d’oxygène immédiat à Libreville mais hypothèque ses marges de manœuvre pour plusieurs années. «Impossible de soutenir un tel fardeau sans hypothéquer l’avenir», confie une source interne citée par Africa Intelligence.
Au-delà des intérêts, Gunvor tire parti d’une mécanique subtile. Officiellement, sa marge est fixée à 0,10 dollar par baril. Mais Africa Intelligence souligne que «le négociant surévalue systématiquement ses frais» et profite de la latitude de 30 jours pour spéculer sur les cours mondiaux. L’avantage peut atteindre 6 à 7 dollars par baril, sans moyen de vérification pour la GOC. Le bénéfice total attendu pour Gunvor oscillerait entre 200 et 250 millions de dollars en cinq ans, sans compter un «gentlemen’s agreement» [ ou accord de gentlemen en français, est un accord informel, non écrit et sans valeur juridique contraignante] qui lui donne priorité sur le profit oil de l’État (jusqu’à neuf cargos supplémentaires par an).
Ce schéma n’est pas seulement lucratif pour le trader : il enferme le Gabon dans une dépendance contractuelle, où l’État cède à un acteur privé une partie de son pouvoir de négociation. Une nationalisation célébrée comme un acte de dignité pourrait, paradoxalement, se traduire par une perte de souveraineté réelle.
Intermédiaires et conformité : les fissures du système
Les interférences d’hommes comme Mohamed Dagdag, qui réclame 15 millions de dollars de commissions, ou Patrice Trovoada, l’ancien Premier ministre de Sao Tomé, soupçonné d’avoir tenté de s’insérer dans le deal, témoignent d’un écosystème friable où chaque opportuniste cherche sa part. Pour Gunvor, déjà condamné en Suisse en 2019 et placé sous la surveillance du Department of Justice américain, l’affaire révèle la persistance d’une culture du contournement. Les engagements de «compliance» s’entrechoquent avec la réalité des «gentlemen’s agreements» et des arrangements officieux.
Décorés à Libreville pour avoir «rendu sa dignité au peuple gabonais», les cadres de Gunvor laissent derrière eux un contrat où la balance penche nettement en faveur du trader. Loin d’être «clean», le deal Assala illustre la contradiction d’un pays qui proclame la souveraineté énergétique tout en l’hypothéquant à travers des clauses opaques et des taux usuraires. Le vrai test ne sera pas l’effet d’annonce, mais la capacité du Gabon à sortir gagnant d’un montage que l’histoire pourrait juger toxique.

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