Ngomo-Izolwè 95 ans après : quand la mémoire protestante du Gabon s’éveille

À Ngomo et Izolwè, sur les rives de l’Ogooué, le Gabon a célébré, dimanche dernier, un double événement historique : le 95ᵉ anniversaire de la consécration des trois premiers pasteurs de l’Église évangélique du Gabon, et l’inauguration du Musée du protestantisme gabonais. Une plongée dans la mémoire religieuse et culturelle du pays, éclairée par l’exposé magistral du Pr Guy Rossatanga-Rignault, arrière-petit-fils du Révérend Henri Ndjavé-Ndjoy.

Le village Izolwè sur l’Ogooué avec le musée du protestantisme (toit bleu). © D.R.
Dans le rétroviseur de l’histoire, il y a que le 24 août 1930, à Ngomo, trois figures spirituelles entrèrent dans l’histoire : Ogoula Mbéyé, Henri Ndjavé-Ndjoy et Félix Ombagho. Leurs consécrations marquaient l’acte fondateur d’une Église gabonaise autonome, encore façonnée par l’ombre des missions américaines et françaises. Quatre-vingt-quinze ans plus tard, la paroisse de Ngomo a résonné, le 24 août 2025, des mêmes cloches, cette fois pour commémorer ce moment inaugural.
Trois pionniers dans le rétroviseur de l’histoire : entre authenticité et résilience
La cérémonie a débuté par un culte d’action de grâce, avant que le Pr Guy Rossatanga-Rignault ne livre une fresque saisissante sur la vie et l’œuvre de ces pionniers. À la fois héritier familial et intellectuel, il a su conjuguer rigueur historique et verve littéraire. «Je suis, par mon grand-père Marc Rossatanga-Ndjavé, l’arrière-petit-fils du Pasteur Ndjavé ; par ma grand-mère Marie-Louise Ntyongo, je suis aussi arrière-petit-fils du premier pasteur de l’Ogooué, Mentsuwa Yongwè d’Asuka. C’est dire si ce pan d’histoire coule dans mes veines», a-t-il lançé, provoquant un frisson d’émotion dans l’assemblée.

La bénédiction du musée par les pasteurs Jean Claude Onanga et Raymond Akita ; la coupure du ruban symbolique par la plus âgée des petits enfants du Pasteur Ndjavé ; aperçu du musée ; et le patriarche Eugene Revangue et le Pr Guy Rossatanga-Rignault. © D.R.
Premier portrait esquissé : celui d’Ogoula Mbéyé, né vers 1860. Catéchiste infatigable, compagnon des missionnaires américains, il fut aussi le premier Gabonais à écrire l’histoire de son peuple. «À la demande d’A.-C. Good, il entreprit l’Elombè zi Ghalwa, véritable monument sur les origines et coutumes des Ghalwa», a rappelé le Pr Rossatanga-Rignault.
Vint ensuite Félix Ombagho, né en 1874 à Igenja. D’enfant de chœur à Talagouga à élève en Suisse, son parcours fut marqué par les allers-retours entre l’Afrique et l’Europe. Longtemps considéré comme «trop resté dans le monde», il finit par se consacrer corps et âme à l’évangélisation du Woleu-Ntem, où son souvenir reste vivace.
Pour le Pr Rossatanga, la trajectoire d’Ombagho illustre «cette tension entre le monde et la foi, entre la tentation de l’ailleurs et l’enracinement au pays natal». Consacré en 1930, il incarna la résilience spirituelle d’une génération confrontée à la modernité coloniale.
Mais c’est au Révérend Henri Ndjavé-Ndjoy (1883-1962) que l’orateur a consacré ses pages les plus vibrantes. Né à Ikômôkômô, arraché enfant aux missionnaires catholiques par son oncle protestant Mbôra, élève brillant de Lambaréné, instituteur devenu évangéliste, puis pasteur, il fut l’âme de Ngomo et le fondateur du village d’Izolwè. «Son histoire, dit Rossatanga, est celle d’un homme qui choisit d’être instituteur quand ses camarades rêvaient d’emplois dans le commerce colonial, d’un homme qui planta des caféiers à Izolwè pour nourrir sa famille et soutenir l’internat de Ngomo, d’un homme enfin qui reçut la Légion d’honneur et l’Étoile équatoriale sans jamais renier l’humilité du serviteur.»
L’image est forte : celle d’un homme simple mais visionnaire, capable d’ancrer la foi dans la terre même qu’il cultivait. Consacré en 1930, il demeura pasteur de Ngomo jusqu’à sa retraite en 1955, avant de s’éteindre à Izolwè en 1962.
Izolwè, sanctuaire de mémoire
Le second temps fort des célébrations fut l’inauguration du Musée du protestantisme gabonais, installé dans un ndèkè reconstruit, maison sur pilotis typique des rives de l’Ogooué. À travers cinquante tableaux et pièces d’archives, le visiteur parcourt l’histoire du protestantisme, de l’arrivée des missionnaires américains en 1842 à l’autonomie de l’Église du Gabon en 1961.
Pour Rossatanga-Rignault, ce lieu n’est pas qu’un musée : «C’est un sanctuaire de mémoire. Ici, nos ancêtres ne sont pas figés dans le passé, ils continuent de parler aux générations présentes et futures.».
La journée s’est achevée par un repas fraternel, mais les mots du professeur sont restés suspendus dans l’air d’Izolwè. En retraçant l’itinéraire de ces trois pasteurs, il a offert plus qu’une leçon d’histoire : un manifeste pour l’authenticité, la résilience et la transmission. «Ogoula, Ombagho, Ndjavé : trois vies, trois destins, une même fidélité à l’Évangile et au peuple gabonais. Ils nous enseignent que la foi ne s’hérite pas seulement par les textes, mais aussi par les choix de vie, les refus courageux et les sillons tracés dans la terre.»
Au confluent de l’Ogooué, Ngomo et Izolwè ont rappelé au Gabon que son identité religieuse et culturelle s’écrit autant dans les livres que dans la mémoire des villages.

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