Démissions calculées, volte-face opportunistes, repositionnements sans vergogne : les barons d’hier du Parti démocratique gabonais (PDG) abandonnent un navire qui ne distribue plus ni privilèges, ni rentes, ni pouvoir. Mais derrière cette débandade se cache un péril plus sournois : celui d’une élite politique qui, plutôt que de disparaître avec ses erreurs, se recycle dans les nouveaux cercles du pouvoir. Quand l’ancien régime change d’uniforme sans changer de logiciel, la post-transition risque de n’être qu’un trompe-l’œil.

Le PDG n’était plus un parti au sens noble du terme. Il s’était mué en guichet d’accès aux privilèges, en machine à coopter, en distributeur de parcours individuels. Fin d’une époque. © GabonReview

 

Il se joue, en sourdine, une scène aux allures de crépuscule sur le théâtre politique gabonais. Dans les travées d’un pouvoir ancien qui s’efface, le Parti démocratique gabonais (PDG), jadis tentaculaire et tout-puissant, agonise dans l’indifférence feutrée de ceux-là mêmes qui le portaient aux nues. Démissions silencieuses, volte-face camouflées, repositionnements sans vergogne : le grand corps du PDG se délite. Mais derrière cette hémorragie, un mal plus profond rôde — celui d’une élite qui, plutôt que de se réformer, préfère se recycler.

Un départ symptomatique : Biyoghé Mba, le calcul de survie et la fin d’un cycle

En claquant la porte du PDG le 23 mai 2025, Paul Biyoghé Mba, ancien Premier ministre et vice-président du parti, n’a pas simplement quitté une formation politique. Il a confirmé ce que tout observateur lucide savait déjà : le PDG n’est plus qu’un vestige, vidé de son autorité, orphelin de son pouvoir, déserté par ses généraux. Son départ sonne comme un acte d’aveu. Non pas d’une faute idéologique, mais d’un calcul de survie. Car dans la logique d’une certaine classe politique gabonaise, ce n’est pas la fidélité aux idées qui compte, mais l’ancrage dans le pouvoir réel.

Ce départ s’inscrit dans une mécanique bien huilée de repli stratégique : à mesure que le PDG perd de son attrait, ses anciens barons changent d’uniforme, troquent leur loyauté affichée pour une posture d’attente, parfois même de contrition feinte. Mais ce que certains voudraient faire passer pour une prise de recul responsable n’est, bien souvent, qu’une mise en disponibilité pour les offres du nouveau pouvoir.

Les vagues de démission qui émaillent la fin de règne du PDG n’ont rien de spontané ni de courageux. Le timing, la rhétorique, les justifications floues — tout trahit une stratégie d’alignement. On quitte le navire non parce qu’on en rejette les méthodes, mais parce qu’il ne flotte plus. Ces démissions sont rarement accompagnées d’une autocritique. Elles se contentent d’invoquer la « cohérence personnelle », masque poli d’un opportunisme structurel.

Et pour cause : jusqu’à récemment encore, beaucoup de ces « démissionnaires » bataillaient pour conserver leur influence au sein des instances du parti. Certains rédigeaient des motions, sollicitaient à demi-mots des nominations, tentaient de conserver une assise territoriale. Leur revirement n’est pas un acte politique — c’est une conversion au réalisme : là où le PDG n’assure plus ni rente, ni visibilité, il n’est plus nécessaire d’y rester.

Ancien guichet d’accès aux privilèges, machine à coopter, distributeur de parcours individuels

Ce qui frappe, dans cette lente érosion du PDG, c’est moins sa chute que l’absence totale de deuil. Pas une parole de lucidité, pas un bilan public, pas même un début de remise en cause. Le PDG, pilier du pouvoir durant plus d’un demi-siècle, meurt dans le mutisme embarrassé de ceux qui l’ont servi. Son effacement ne suscite ni émotion, ni défense. Parce qu’il n’a jamais su — ni voulu — se transformer en institution organique.

La loyauté y était moins une affaire d’adhésion que de proximité avec le centre des décisions. Et cette mécanique, fondée sur l’allégeance au sommet plutôt qu’au peuple, s’est effondrée avec la chute du régime. Ce n’est pas le projet qui meurt, car il n’y en avait pas : c’est l’utilité fonctionnelle du PDG qui s’évapore.

Derrière ce basculement se cache un danger : celui d’une continuité invisible. Les anciens hiérarques du PDG, en quête de reconversion, se présentent aujourd’hui comme des « citoyens libres », porteurs de projets neufs. Certains laissent croire qu’ils rejoindront d’autres partis, d’autres flirtent avec les cercles du pouvoir émergent, espérant y revêtir un nouveau costume. Mais leur logiciel reste inchangé : naviguer à vue, conserver un poste, préserver un revenu, maintenir une emprise.

Mise en garde : ne pas confondre transition et transvasement

Le problème n’est donc pas que le PDG disparaisse — c’est que ses pratiques, elles, survivent ailleurs. Si les hommes changent de bannière mais pas de boussole, si la nouvelle scène politique se compose des mêmes figures en mal de recyclage, alors ce n’est pas un système que l’on remplace, mais un décor que l’on repeint.

Le nouveau pouvoir, dans son désir de rassemblement ou sa stratégie d’apaisement, pourrait être tenté d’accueillir ces anciens apparatchiks au nom de la stabilité. Ce serait une erreur historique. Car on ne bâtit pas un ordre nouveau avec les architectes de l’ancien désastre. On ne refonde pas un pays avec ceux qui, pendant des décennies, ont entretenu l’impunité, verrouillé les débats, et transformé la chose publique en patrimoine privé.

La refondation du Gabon ne pourra réussir que si elle procède à une distinction rigoureuse entre ceux qui veulent construire, et ceux qui veulent simplement rester. Il ne suffit pas de prêter serment au changement : il faut rompre, dans les faits, avec ce que l’on fut. Toute complaisance vis-à-vis de ces ralliements tactiques serait un signal désastreux envoyé à l’opinion et à la jeunesse. Il y a surtout que  l’histoire, elle, ne juge pas les intentions. Elle juge les choix. Et elle ne pardonne jamais à ceux qui, au moment de rebâtir, confondent refondation et perpétuation.

 
GR
 

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