Réseaux sociaux : la HAC sort les griffes, mais jusqu’où peut-elle aller ?

Dans une déclaration télévisée en date du 30 avril 2025, la Haute Autorité de la Communication (HAC) a annoncé un durcissement de son contrôle sur les contenus diffusés en ligne, en particulier sur les réseaux sociaux. Entre invocation de la cohésion sociale et volonté de réprimer les excès langagiers, la mesure pose une question centrale : le Gabon a-t-il véritablement les moyens d’imposer sa loi au-delà de ses frontières numériques ?

Le porte-parole de la HAC, Jean-Claude Franck Mendome, le 30 avril 2025 : «Les activités de tout utilisateur de réseaux sociaux dont le seul dessein est la nuisance seront rendues inopérantes sur le cyberespace national.» © GabonReview (Capture d’écran)
Réunie en séance plénière le 13 avril, la HAC, présidée par Germain Goyo Moussavou, a dressé un tableau alarmant des dérives numériques au Gabon : diffamation, cyberharcèlement, divulgation de données personnelles, discours de haine. Le régulateur affirme vouloir mettre fin à ce qu’il qualifie de «délinquance numérique», en s’appuyant notamment sur le Code pénal, la loi de 2016 sur la Communication, et la loi de 2023 sur la cybersécurité.
L’autorité entend collaborer avec les géants du numérique — Meta, Google, TikTok, X — pour rendre inopérants les comptes jugés malveillants, y compris ceux administrés depuis l’étranger. Une nouveauté qui marque un tournant assumé : l’institution, longtemps cantonnée aux médias classiques, élargit désormais son emprise aux influenceurs, activistes et créateurs de contenus opérant sur le cyberespace international.
Un volontarisme confronté à la réalité juridique
L’intention est claire. Mais son efficacité reste discutable. En droit international, un État non européen peut engager des poursuites contre ses ressortissants vivant à l’étranger, notamment au titre de la compétence extraterritoriale. Le Gabon s’y essaie déjà : en décembre 2024, le ministre de la Justice Paul-Marie Gondjout annonçait des poursuites ciblant les activistes de la diaspora pour diffamation.
Toutefois, l’exécution de telles décisions reste improbable. La reconnaissance de jugements étrangers en Europe ou en Amérique est soumise à des conditions strictes : respect des libertés fondamentales, non-contradiction avec l’ordre public, absence de finalité politique. Autant d’écueils auxquels se heurte inévitablement une régulation fondée sur des textes interprétables, voire obsolètes dans le contexte numérique mondial.
Des instruments hérités d’un autre régime
L’arsenal juridique utilisé aujourd’hui n’est pas nouveau. Il puise ses racines dans les lois adoptées sous Ali Bongo Ondimba, notamment le Code de la communication de 2016 et la loi sur la cybercriminalité de 2020. Déjà à cette époque, des journalistes, syndicalistes et activistes avaient été poursuivis pour «fausses nouvelles» ou «outrage», mais les actions restaient ponctuelles et peu systématisées.
Pour rappel, alors activiste Landry Amiang Washington n’a été arrête qu’en août 2016. Les autorités gabonaises l’accusaient d’incitation à la révolte contre les autorités de l’État, trouble à la paix publique, outrage envers le président de la République. Des accusations alors liées à son activité très critique sur les réseaux sociaux contre le régime en place, notamment contre le président Ali Bongo, qu’il dénonçait régulièrement depuis l’étranger. Ayant décidé de rentrer au Gabon pour participer à la campagne électorale de la présidentielle d’août 2016, il fut arrêté dès son arrivée à l’aéroport Léon Mba de Libreville par la police de l’air et des frontières, puis placé en détention préventive à la prison centrale de Libreville le 18 août 2016. Faudra-t-il donc attendre que les prévenus reviennent au Gabon ?
Depuis le coup d’État d’août 2023, une évolution nette s’observe : la répression se veut désormais structurée, coordonnée entre institutions, avec des annonces publiques d’intention et une mise à contribution active de la HAC. Mais, le concept de «citoyenneté numérique» introduit par l’autorité masque difficilement une volonté politique de reprise en main de la parole publique.
Une régulation entre censure et vide juridique
Le principal paradoxe tient dans l’inadaptation des lois gabonaises aux plateformes numériques globales. Faute de législation spécifique encadrant Facebook, YouTube, TikTok ou X, les autorités s’appuient sur des notions généralistes comme la diffamation ou l’atteinte à l’ordre public. Ce flou juridique ouvre la voie à des décisions arbitraires, où la frontière entre encadrement légitime et atteinte à la liberté d’expression devient ténue.
Dans les États de droit, la régulation des réseaux sociaux repose sur un équilibre délicat entre lutte contre les abus et garantie de la liberté d’opinion. Or, au Gabon, cette balance penche dangereusement du côté du contrôle politique, surtout lorsque les comptes visés sont ceux d’activistes critiques du pouvoir.
Un pouvoir régulateur aux ambitions démesurées ?
L’offensive de la HAC s’inscrit dans une dynamique régionale : le Cameroun a récemment pris des mesures similaires contre ses influenceurs. Mais dans le cas du Gabon, l’efficience de la mesure semble compromise par une série d’obstacles — juridiques, diplomatiques, technologiques. Sur le terrain, le spectre d’une censure politique déguisée en éthique numérique plane.
Si la lutte contre les dérives en ligne est une nécessité dans toute démocratie moderne, elle ne saurait justifier une mise sous surveillance généralisée des voix dissidentes. En l’état actuel du droit, la manœuvre relève plus du signal politique que de la régulation effective. Un pouvoir de plus en plus numérique cherche à imposer une discipline analogique. Mais dans un monde hyperconnecté, les frontières de la censure sont plus faciles à franchir que celles de la justice.

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