Ressuscitons la honte

Après une longue hibernation, Ika Rosira revient dans GabonReview avec une chronique coup de poing : «Ressuscitons la honte». De l’affaire des expulsions de 1977 aux abus subis par des domestiques béninoises, elle évoque les blessures du passé, les compromissions politiques, la xénophobie ordinaire et la dignité bafouée pour rappeler que nul peuple n’a le monopole de la vertu. Sa chronique est un plaidoyer vigoureux pour réécrire l’histoire sans fard et redonner au Gabon le sens de l’honneur perdu.

En 1977, année de spoliation et d’humiliation inscrite au fer rouge dans notre mémoire partagée, le Bénin a payé le prix d’une querelle de puissants. L’expulsion a laissé des blessures que le temps n’a jamais refermées. © GabonReview
Quand on sait à quel point c’est vrai que nous avons tué la honte ou que nous l’avons vendu au chien, quand on prend la mesure de ces expressions populaires, alors on saisit l’urgence de la transformation effective de nos mentalités.
Remontons le temps. 1977, le Gabon expulse plus de 4000 ressortissants béninois, nous sommes sur 10 ans du règne officiel de Bongo-père, à l’époque bénie d’Olando, du monopartisme et de l’intolérance qu’on tente d’amoindrir dans l’histoire du Gabon.
Mathieu Kerekou, jadis figure montante du panafricanisme, affirmant fièrement son envie de lutter contre l’impérialisme français, ce président béninois a trouvé le raccourci pour s’inscrire au rang de Lumumba et Sankara, dans la liste noire des hommes à abattre en Afrique pour asseoir le néocolonialisme bien comme il faut. Le contrôle de la monnaie, des ressources de nos sols et des flux migratoires…
Bien entendu, le Gabon, (le plus sournois et fier des Dom-Tom français) abrite les mercenaires chargés de la basse besogne qui consiste à organiser des coups d’État au Bénin et partout où le besoin se fera sentir.
Quand l’enquête révèle que les mercenaires français ayant commis un putsch manqué contre Kerekou, arrivaient tout droit du Gabon, une engueulade a lieu à un sommet de l’OUA. On raconte que celui qui nous servait alors de président de la République aurait reçu le coup de canne de Kerekou, choqué par sa traitrise mais bon… quoi qu’il en soit, suite à cette altercation, les ressortissants béninois au Gabon ont été spoliés allègrement en conséquence.
On entendait déjà à l’époque le fameux : «vous êtes venus sans rien, vous repartirez sans rien». Certains ont eu l’ingéniosité de cacher de l’argent dans les boîtes de lait Nido mais la plupart ont été délestés de leurs biens, de leurs investissements, de leur dignité et beaucoup en sont morts, car victimes incompréhensibles d’une simple querelle au sommet.
Aujourd’hui encore les familles spoliées à l’époque ne se sont pas relevées. Mais comme on est dans le Bomawood, on rejoue la même scène avec d’autres acteurs, on ne tient pas compte de l’histoire, on a l’impression de réinventer la roue, d’avoir inventé l’eau chaude et d’être le nombril du monde à défaut d’être son véritable poumon.
Ils diront que ce texte est dénué de patriotisme, mais c’est justement en restaurant l’histoire que nous pourrons renaître de nos cendres, pas en la falsifiant inlassablement.
Aujourd’hui encore, malgré la nouvelle République, Léon Mba est présenté comme le père de l’indépendance gabonaise, quand va-t-on avouer et comprendre que nous avons eu dès le départ des dés truqués sur la table ?
Expliquer à nos enfants pourquoi et comment cet individu a plus aimé la France que le Gabon, comment il a déserté son propre pays, comment il a été l’un des premiers à vendre la honte au chien en déclarant littéralement que «si les autres pays veulent l’indépendance, ils n’ont qu’à la leur donner, nous les gabonais souhaitons rester une province de la France» en 1958 ou 59. Ou comment la France a refusé de voir son drapeau ajouté sur le nôtre par Léon Mba lui-même pour afficher sans vergogne le Gabon comme patrimoine de la France.
Si même notre propre histoire est falsifiée matin, midi et soir, comment voulez-vous rivaliser avec un peuple béninois qui veut manifestement réécrire l’histoire en sa faveur et s’illustrer en Afrique de l’Ouest comme un peuple instruit, travailleur, respectant sa culture, son patrimoine et la dignité humaine.
J’entend déjà crier : «des gens qui vendaient leurs enfants aux gabonais ?» «Des adeptes des envoûtements vaudou ?» «Des profiteurs (ou devrais-je dire des Accrombessi ?»…
Vous oubliez certainement que tout trafic humain existe non pas à cause de l’offre mais aussi de la demande ? Nous sommes tous aussi complices de ce trafic que ceux qui l’ont initié.
Certains utiliseront la charge mentale de la femme gabonaise, occupant des responsabilités administratives, la rendant incapable d’assumer les tâches ménagères et la garde de ses enfants, acceptant de prendre une pré-ado béninoise chez elle, illettrée et soumise pour s’occuper de sa demeure et souvent même servir d’esclave sexuelle pour l’appétit des adultes de sa maison.
«Koh, ils ont un temple vaudou à Port-Gentil, nous n’en avons pas dans leur pays», qui a interdit aux boma d’assumer leur Bwiti et de l’exporter ailleurs comme toutes les autres doctrines, croyances et religions conquérantes ou témoins d’un pan de l’histoire du monde et des civilisations à travers les traditions et les coutumes qu’elles véhiculent.
Si on a des églises, des mosquées, des religions importées d’Europe, d’Arabie et même d’Asie, pourquoi interdire à un peuple-frère sa liberté de culte et de bâtir son temple chez nous ?
Et puis… les Accrombessi de ce monde n’ont ni couleur, ni origine, ni religion, ni valeur en commun si ce n’est l’appât du gain, un goût prononcé pour le luxe, une intelligence au-dessus de la moyenne, une appétence pour la manipulation doublée d’une absence d’état d’âme. Ce type de personnalité se retrouve dans le sillage des rois démagogues depuis la nuit des temps, pour ne pas dire depuis kala-kala…
On tente juste de vous expliquer que personne n’a le monopole de la méchanceté, de la médisance et de la bassesse, tous les peuples de ce monde, mêmes ceux qui semblent avoir inventé la vertu et l’honneur ont leur part de misérabilisme, d’horreur et de barbarie dans leur propre histoire.
Saviez-vous ce que les béninoises et béninois portent comme cicatrices du Gabon ? Il y a 20 ans déjà nos forces de l’ordre abusaient sexuellement et sans protection des vendeuses de poissons béninoises et togolaises parce qu’elles étaient vulnérables et sans papier en se rendant à Acaé aux aurores auprès des pêcheurs pour négocier au meilleur prix le poisson qu’elles venaient nous vendre malgré tout en focalisant sur leurs objectifs financiers et le rêve associé, faisant preuve d’une résilience ou d’un esprit de sacrifice hors norme.
J’entends que «si chez eux c’est si bien, ils n’ont qu’à y retourner !» C’est le même discours que des narcissiques occidentaux quand on leur dit que nous ne vivons pas dans des arbres, que ce n’est pas dans leur pays que nous avons découvert les toilettes modernes et que nous savons nous servir d’une fourchette pour manger… eux aussi ont tendance à nous dire que nous ne sommes pas assez reconnaissants d’être accepté/toléré dans leur pays civilisé, que nous voulons leur emploi, que nous profitons de leurs système, oublions que nos pays et que notre diversité culturelle ont contribué et continuent de contribuer au développement dont ils nous dédouanent…
Allons-nous continuer à employer les arguments d’extrême droite envers des pays frères ? Allons-nous continuer à considérer que la malhonnêteté des uns est l’apanage de tous ?
Arrêtons de globaliser les vécus des uns pour se poser en victimes, les véritables victimes sont condamnées au mutisme ou défendues par des personnes trop sanguines pour rediriger les flammes dans la bonne direction.
Ceux qui s’agitent sur la toile ne sont que des ambianceurs de foule, des chercheurs de buzz, des gens qui ont compris comment surfer sur la vague et transformer une étincelle en brasier pour manipuler les politiques des États Android qui nous dirigent.
«Mais les occidentaux, les arabes et les asiatiques créent des emplois»… vous allez encore trouver une excuse pour justifier les miettes qu’on nous jette d’une main pendant que de l’autre, on nous pille impunément depuis trop de siècles pour ne pas dire depuis kala-kala.
Au panthéon des décisions prises sans tenir compte de l’anthropologie de nos sociétés modernes (vu que durant la transition, on demandait déjà à nos sociologues inutiles de devenir des travailleurs autonomes), il y a celle qui consistent à priver les étudiants gabonais bruyants des pays comme la France, les US et le Canada (qui ont certainement trop attiré l’attention en réclamant leurs bourses).
Cette décision impitoyable, n’a pas provoqué tout le brouhaha que nous voyons sur la toile pour 17 sur 400 places occupées par des béninoises dans le marché flambant neuf de Lambaréné.
Lambaréné qui (soit dit en passant) n’a jamais su se démarquer ou progresser, sûrement maudite parce qu’elle exalte encore la présence sur sa terre d’un colon nazi abject comme Albert Schweitzer (à qui le monde a quand même accordé un prix Nobel de la paix)…
Aujourd’hui, la vérité éclate de partout. C’est une explosion de révélations tandis que les mensonges se débattent pour continuer à se répandre, on se tue à vous pousser à entrevoir une Afrique où la liberté de circuler, de co-créer et d’entreprendre, car elle constitue une menace pour l’équilibre d’un monde dans lequel nous devrions (nous africains unis et fiers) toujours être la queue et non la tête.
Changeons les paradigmes, restaurons la honte et réécrivons l’histoire, la vraie, pas celle qu’on nous vend moins chère pour nous distraire. Exigeons le progrès. Réhabilitons notre dignité et apprenons à traiter les gens comme on aimerait qu’ils nous traitent.
Nous avons fait l’erreur de transformer «équato» en une expression qui désigne le fait de mal agencer ses vêtements aujourd’hui les «équato» alimentent certaines de nos villes en électricité. Et la honte change de place ?
Certains font l’erreur de nous associer à la bêtise, à la paresse et à la nonchalance. Demain, pitié, kokolo, engongole, pardon, faisons notre possible pour que nos universités et écoles deviennent des références, que nos monuments deviennent des sources de pèlerinage, faisons l’impossible pour créer un système économique inclusif et progressiste à souhait capable de redistribuer les richesses de manière équitable… que nos héros et nos bourreaux retrouvent leurs véritables sièges.
Ne nous contentons pas de rêver d’un Gabon meilleur, les fictions hollywoodiennes, nollywodiennes et bollywodiennes n’ont pas le niveau devant le bomawood car si chacun de nous raconte son vécu sans l’édulcorer avec des strass et des paillettes, on va enfin admettre que la tcham domine le monde ou encore qu’après le Ciel, Dieu créa le Gabon.
Trêve de poésie. Récupérons notre dignité.
Votre Ika

1 Commentaire
Bizarre! Vous avez-dit bizarre? Comme c’est bizarre cette chronique pamphlétaire hebdomadaire de notre cracking IKA.
a) Sur notre Père de l’indépendance LEON MBA.
Je crois plutôt que ce Monsieur avait vu juste à cette époque car le GABON n’étant pas encore prêt à se gérer en toute autonomie.
Aujourd’hui encore, notre système éducatif est calqué sur celui de la FRANCE, notre économie est gérer par la banque de FRANCE, etc…
Bref, sans l’aval de la FRANCE, on ne peut rien faire en toute AUTONOMIE.
La FRANCE est notre parapluie SECURITAIRE.
b) Sur nos frères BENINOIS et AFRICAINS NOIRS en général.
Le Président Gabonais actuel n’a pas indexé uniquement les Béninois, mais tout étranger vivant au GABON. Pourquoi alors ce sont nos frères Béninois qui se sentent seulement menacés?
Très récemment le Président de la Guinée-Equatoriale a expulsé manu-militari tous les Camerounais en situation irrégulière (ou pas), vous avez entendu les Camerounais avoir un discours de haine aussi virulent?
Ma IKA, il faut conseiller ta sœur et ton frère Béninois qui sont autour de toi pour avoir un langage « correct » quand on réside dans un pays étranger très hospitalier comme le GABON.
c) Concernant le peuple GABONAIS.
Pour moi, l’indépendance véritable du GABON aurait due avoir lieu en 1990 lors de la conférence nationale.
Actuellement, nous asseyons de rattraper l’HISTOIRE, mais cela prendra du TEMPS. Je pense que nous sommes sur le « BON CHEMIN ».
A te lire dans bientôt ma IKA.