«Les activités du Groupe demeurent sous la supervision du Président Directeur Général» a indiqué, le 5 mai 2025, un communiqué officiel de BGFIBank saluant l’entrée au gouvernement d’Henri-Claude Oyima. Cette annonce a jeté un trouble immédiat dans les cercles institutionnels et juridiques. Car le maintien de ses fonctions exécutives à la tête du groupe bancaire, tout en assumant des responsabilités au sein du gouvernement, entre en collision frontale avec les principes de bonne gouvernance, les normes prudentielles de la CEMAC, les obligations de l’OHADA et les standards universels de prévention des conflits d’intérêts. Décryptage sommaire d’un cumul aux airs d’impasse républicaine.

On ne peut à la fois piloter les finances publiques et gérer une banque créancière. Nul ne saurait gouverner l’État tout en poursuivant ses propres affaires. © GabonReview (montage)

 

Depuis cette nomination et au vu des notes circulaires de la banque, une question obsède les observateurs de la vie publique : peut-on simultanément exercer une autorité régalienne au sommet de l’État tout en continuant de diriger une institution bancaire privée de premier plan ? Loin d’être anodine, cette interrogation renvoie à l’architecture même de la République, à l’exigence d’impartialité de l’action publique et à la séparation rigoureuse des sphères d’influence économique et politique.

Un cumul de fonctions qui crée une zone de brouillage juridique

L’annonce officielle a fait grand bruit : Henri-Claude Oyima, figure centrale du paysage bancaire africain, accède aux plus hautes sphères de l’État gabonais. Patron du puissant Groupe BGFIBank depuis plus de 40 ans, président de la Fédération des Entreprises du Gabon (FEG) et du Conseil d’administration de la BVMAC, il prend désormais en main les rênes du ministère de l’Économie, des Finances, de la Dette et des Participations. Une superstructure stratégique, au cœur de l’appareil d’État. Mais, une phrase glissée dans une note circulaire  et un communiqué publié par le Groupe BGFIBank le 5 mai 2025, trouble la solennité de cette transition : «Les activités du Groupe demeurent sous la supervision du Président Directeur Général.» Autrement dit, Henri-Claude Oyima conserve, peut-être temporairement, la direction du groupe bancaire tout en entrant au gouvernement. Ce cumul suscite de l’embarras car il amène à des interrogations importantes sur le plan juridique, déontologique et institutionnel.

La Constitution gabonaise promulguée le 19 décembre 2024 précise à son article 32 que les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice d’un mandat parlementaire, et renvoie à une loi organique le soin d’énumérer les autres activités publiques et privées incompatibles avec cette charge. En dépit de cette démarche républicaine, l’esprit du texte ne laisse guère de place à l’ambiguïté. Il consacre le principe de la dévotion exclusive à l’intérêt général et sous-entend que nul ne saurait gouverner l’État tout en poursuivant ses propres affaires.

Le cumul des deux fonctions, publique et privée, ne résiste ni au bon sens ni au droit. Déjà, pour rester sur les principes, l’article 21 de la Constitution gabonaise du 30 décembre 1991, dans sa version consolidée en vigueur avant la révision constitutionnelle de décembre 2024 (et en partie encore valable au moment de certaines interprétations jurisprudentielles), stipulait notamment que : «Les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de toute fonction publique, de tout mandat parlementaire, de toute activité professionnelle et de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national

Une inconciliable collision entre rôles régaliens et intérêts financiers

La note de BGFIBank indiquant que «Les activités du Groupe demeurent sous la supervision du Président Directeur Général.» © D.R.

Les normes communautaires confortent cette lecture. Au niveau de la CEMAC, la réglementation bancaire, notamment celle édictée par la COBAC, interdit toute fonction politique ou publique incompatible avec l’indépendance, la neutralité et l’intégrité attendues d’un dirigeant bancaire.

La réglementation COBAC R-2009/01, en particulier, proscrit explicitement le cumul de ces fonctions, de façon à éviter les risques de capture d’intérêt et de distorsion des décisions publiques. Du côté de l’OHADA, l’Acte uniforme sur le droit des sociétés interdit aux dirigeants de sociétés anonymes de conclure des conventions avec l’État ou ses dépendances sans autorisation spécifique. La situation devient donc juridiquement intenable lorsque l’homme d’affaires siège à la table où sont négociés les contrats que sa propre institution bancaire pourrait financer.

Le problème s’étend au-delà de la banque. Henri-Claude Oyima préside également le Conseil d’administration de la BVMAC, la bourse régionale des valeurs mobilières d’Afrique centrale. Il est ainsi aux commandes de l’organisme qui supervise les émissions obligataires, les introductions en bourse, et les opérations sur titres. Dans le même temps, en tant que ministre, il est responsable de la politique d’endettement de l’État gabonais. Cette double posture, unique en son genre, introduit une confusion majeure entre autorité décisionnaire et bénéficiaire potentiel. Elle rend caduque toute prétention à l’impartialité de l’action publique.

Une exigence de clarification impérative pour la nouvelle République

En réalité, les pratiques d’autres pays africains légifèrent avec plus de rigueur. Au Sénégal, au Maroc, au Rwanda, un ministre nouvellement nommé doit, avant même l’entrée en fonction, se démettre de toute fonction exécutive ou de gouvernance dans une entreprise privée. Cette disposition n’est ni cosmétique, ni optionnelle : elle constitue le socle de l’éthique publique et de la protection de l’intérêt général.

Si la nomination d’Henri-Claude Oyima répond à une volonté de technocratiser la conduite de l’État, elle doit être accompagnée, sans ambiguïté ni report, d’une clarification publique. Le maintien de ses fonctions chez BGFIBank, à la FEG ou à la BVMAC est incompatible avec sa charge ministérielle. Le principe républicain impose de choisir : on ne peut à la fois piloter les finances publiques et gérer une banque créancière, superviser la dette souveraine et siéger au conseil d’une bourse régionale, orienter les politiques publiques et incarner des intérêts privés.

Si la nouvelle république gabonaise veut être plus qu’une proclamation, elle devra commencer par affirmer avec clarté que nul ne peut gouverner en étant juge et partie. Le service de l’État est un sacerdoce, pas une extension de conseil d’administration.

 
GR
 

3 Commentaires

  1. Jean Jacques dit :

    C’est la preuve des fétiches, les sectes,les Bongos n’ont jamais eu plaisir de nommer ce type la comme ministre, Un état de droit n’existe pas, par ce que les loges qui détruisent le Gabon, comment comprendre les personnes qui sont dans la corruption, detournements d’argent, continuent d’être ministre.

  2. Gayo dit :

    Ce qui se passe aux États-Unis illustre bien qu’il vaut parfois mieux laisser les hommes d’affaires dans le monde des affaires. Cela fait des années qu’Oyima aurait pu se lancer en politique à un haut niveau, mais il a préféré se concentrer sur la gestion et la croissance des avoirs des Bongo et de leurs proches au sein de la BGFI. Pourquoi alors le sortir maintenant de ce qu’il maîtrise parfaitement pour l’installer au ministère de l’Économie ?

    Être un bon banquier ne signifie pas nécessairement qu’on fera un bon ministre. L’exemple d’Elon Musk aux États-Unis nous rappelle qu’exceller dans un domaine privé ne garantit en rien le succès dans un environnement politique, où les règles, les attentes et les responsabilités sont d’un tout autre ordre. Réussir dans le secteur privé n’implique pas automatiquement la capacité à gérer un ministère, encore moins dans un contexte hautement politisé comme celui du Gabon.

    Et les premiers signaux ne rassurent pas, comme en témoigne cette récente note de service. Le pays traverse une période critique qui exige un ministre pleinement dédié à ses fonctions. Mays Mouissi, lui-même, soulignait que ce poste nécessite un engagement total, avec des journées commençant très tôt et se terminant tard le soir. Dans ce contexte, comment Oyima pourra-t-il à la fois diriger ses entreprises et s’investir à 100 % dans les réformes attendues ? Va-t-il déléguer ? Si tel est le cas, autant nommer directement ce délégué, et laisser Oyima dans un rôle de conseiller.

  3. Nathan DZIME NGOGO dit :

    @ La Rédaction:

    Merci pour cet éclairage et ce travail de recherche de l’information vraie, aux fins d’affiner nos connaissances!

    C’est bien ce que nous attendons des journalistes: l’investigation! D’ailleurs, je suis étonné, tout en étant attristé, qu vos confrères de l’Union et autres, n’aient pas fait ce recoupement, mais se soient contentés des félicitations aux promus. C’est dire si nous sommes encore loin du compte en matière de journalisme dans ce pays.

    Concernant l’affaire elle-même, Le Ministre Oyima (dont l’expertise n’est plus à démontrer dans son domaine) est face à un choix cornélien à savoir: démissioner de son poste de Ministre de la République, ou abondonner ses charges mirobolantes dans les différentes institions financières de la sous-région.

    Question: le Chef de l’Etat l’a jugé « Acteur clé » de la transformation économique de notre pays, va-t-il trahir cette confiance et refuser cette charge, puis se consacrer définitivement à ses objectifs privés? Ou alors va-t-il choisir de rester dans le gouvernement pour servir au bien-être de tous les gabonais?

    Une chose est sûre: pareille situation ne peut subsister dans le « Gabon Nouveau » que nous voulons tous batir.

    Cela me rapelle nous avons vécu pareille situation avec l’ancien Ministre Opiangha, et une solution avait vite été trouvée par le président de la Transition qui est président de la République aujourd’hui.

    Petit rappel: NUL DE NOUS N’EST ESSENTIEL POUR LE GABON ETERNEL que nous voulons batir! Je ne me fais donc pas de soucis…le pragmatisme, et la sagesse des uns et des autres, vont primer au dessus de toute autre considération, partisane. Il y va de la crédibilité du mandat du président OLIGUI. Qu’importe si la loi n’est pas claire en la matière au Gabon. L’éthique, ce n’est pas seulement les lois, ce sont des rêgles de bienséance, qui élèvent l’humain vers un humain supérieur sans que ce dernier y soit contraint par des lois rigides.

    Enfin, tirons-en deux enseignements essentiels:

    1- Je suppose que des consultations avec les intéressés sont faites en amont, avant toute nomination. Si ce n’est guère le cas, nous restons en présence des méthodes du « Vieux Gabon »; nous devons y remédier au plus vite.
    2- Pourquoi M. Oyima (pour qui j’ai le plus grand respect), n’a-t-il pas alerté le président de la République sur cette situation qui risquait de décrédibiliser ce dernier, avant d’accepter la nomination? Escomptait-il que le président et les gabonais n’en sachent rien? Cela friserait alors un manque de considération, et pour le président de la République, CHEF DE L’ETAT, et pour le peuple gabonais dans son entièreté! Je suis naïf de croire que non.

    In fine, je prends cela personnellement comme « un petit couac au démarrage »,inhérent à toute organisation. Je suis persudé que l’intéressé va vite en tirer les conséquences et saura faire le meilleur choix, pour ne pas entacher la créibilité des nouvelles Institutions de la nouvelle République, au premier rang desquelles: Le président de la République, Chef de l’Etat.

    Patriotiquement Vôtre!

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