Le Conseil des ministres du 12 août 2025 a décidé d’interdire aux étrangers l’exercice de plusieurs petits métiers du secteur informel. Une mesure qui fait écho à l’arrêté de 1991 et soulève des questions sur l’équilibre entre souveraineté économique et intégration régionale. Quels sont les enjeux réels de cette décision ? Peut-elle réellement réduire le chômage des nationaux sans créer de nouvelles tensions ?

Les Gabonais sont-ils réellement prêts à investir massivement ces secteurs d’activité ? L’expérience de 1991 offre-t-elle des enseignements sur l’efficacité réelle de telles mesures ? © D.R.

 

La décision du Conseil des ministres du 12 août 2025 résonne comme un écho lointain de juillet 1991. Il y a 34 ans, sous la signature d’André Dieudonné Berre, alors Ministre du Commerce et de l’Industrie, le Gabon avait déjà réservé aux seuls nationaux l’exercice de certaines activités commerciales et artisanales : boulangerie, auto-école, salon de coiffure, commerce de détail, entre autres.

Aujourd’hui, la mesure s’étend au secteur informel, ciblant spécifiquement le commerce de proximité, la réparation de petits appareils, la coiffure et les soins esthétiques de rue, l’orpaillage artisanal non autorisé, l’intermédiation informelle, ou encore l’exploitation de petits ateliers et machines de jeux.

Une volonté de « gabonisation » de l’économie informelle

L’objectif affiché par le gouvernement est clair : réduire le chômage en donnant la priorité aux Gabonais dans ces activités économiques largement occupées par des étrangers, principalement originaires d’Afrique. Cette initiative s’inscrit dans une logique de structuration de l’économie informelle et de renforcement de la souveraineté économique nationale.

Mais cette approche soulève-t-elle les bonnes questions ? L’économie informelle, par définition échappant aux cadres réglementaires classiques, peut-elle être « nationalisée » sans créer de nouvelles distorsions ?

Cette décision révèle en filigrane des questions plus profondes sur la gestion de l’économie informelle au Gabon. Comment intégrer durablement ce secteur dans l’économie nationale ? Comment concilier protection de l’emploi national et cohésion sociale dans un pays où les communautés étrangères contribuent significativement à l’activité économique ?

Des réactions polarisées révélatrices d’enjeux complexes

Les réactions à cette mesure dessinent un paysage contrasté d’opinions et d’inquiétudes. D’un côté, ses défenseurs y voient une protection légitime de l’emploi national et une opportunité de formaliser progressivement ces métiers informels. De l’autre, ses détracteurs alertent sur les risques d’exclusion et de discrimination, particulièrement envers des étrangers qui exercent ces activités par nécessité économique.

Une interrogation centrale émerge : les Gabonais sont-ils réellement prêts à investir massivement ces secteurs d’activité ? L’expérience de 1991 offre-t-elle des enseignements sur l’efficacité réelle de telles mesures ?

Au-delà des déclarations de principe, la question de l’application concrète de cette mesure reste entière. Comment s’assurer que l’interdiction faite aux étrangers ne se traduise pas par une simple réduction de l’offre de services ? Quels mécanismes d’accompagnement sont prévus pour faciliter l’entrée des Gabonais dans ces secteurs ?

Certaines voix s’inquiètent déjà d’une possible hausse des prix des services concernés, voire de l’émergence d’une économie souterraine où ces activités continueraient à être exercées de manière clandestine.

L’équation juridique et diplomatique

La mesure pose également la question de la compatibilité avec les engagements régionaux du Gabon. Les accords CEMAC, OHADA et de l’Union Africaine prônent la libre circulation des personnes et la non-discrimination. Cette décision pourrait-elle être contestée devant les juridictions communautaires ?

Le précédent de 1991 avait préservé les anciens agréments délivrés aux étrangers. Quelle sera l’approche retenue cette fois-ci pour les personnes déjà établies dans ces activités informelles

La mesure du 12 août 2025 s’inscrit dans une logique de souveraineté économique compréhensible, mais sa réussite dépendra largement de sa capacité à éviter les écueils du passé : création de tensions communautaires, émergence d’activités clandestines, ou simple transfert des difficultés économiques vers d’autres secteurs. L’enjeu dépasse la simple réservation de métiers aux nationaux. Il questionne la vision du Gabon sur son modèle de développement économique et son positionnement dans l’intégration régionale africaine. Une équation complexe dont la résolution nécessitera sans doute plus que des mesures d’interdiction.

 
GR
 

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