[Tribune] À propos de l’amnistie des membres du CTRI, putschistes du 30 aout 2023

Le 12 août dernier, le gouvernement gabonais a adopté un projet d’ordonnance d’amnistie générale couvrant les événements du 30 août 2023 et la tentative de putsch de janvier 2019. Une décision qui interpelle par sa forme autant que par son fond. Dans cette tribune libre, Peter Stephen Assaghle, praticien du droit, décortique les implications juridiques de cette mesure exceptionnelle. Entre violation constitutionnelle présumée et flou sur l’identité des bénéficiaires, l’auteur soulève des questions fondamentales sur le respect des procédures démocratiques au Gabon. Une analyse juridique qui dépasse le simple cadre technique pour interroger les fondements mêmes de l’État de droit gabonais.

Cette amnistie affaiblit la séparation des pouvoirs et crée un précédent dangereux pour la démocratie. © GabonReview

Peter Stephen Assaghle est avocat, consultant et écrivain franco-gabonais. Il a prêté serment devant la Cour d’appel de Grenoble en mars 2023 pour exercer comme avocat au Barreau de la Drôme en France jusqu’en novembre 2024. Titulaire d’un doctorat en sciences juridiques, il a également remporté le 3ᵉ prix du jury national au concours «Ma thèse en 180 secondes» en 2021. © D.R.
« Amnistie générale ! » comme on crierait « tournée générale ! » au bistrot du coin avec la même légèreté et la même insouciance.
Le 12 août écoulé, le Gouvernement gabonais a adopté un projet d’ordonnance d’amnistie générale couvrant la période du coup d’État du 30 août 2023 mené par les membres du CTRI, et la tentative de putsch manqué du 7 janvier 2019 de Kelly Obiang et consorts.
Seulement, l’amnistie est un acte d’une gravité telle, dans un Etat de droit, qu’il mérite que l’on s’y arrête un instant. Dans les lignes qui vont suivre, je m’attarderai essentiellement sur l’amnistie des membres du CTRI qui, à mon sens, présente un caractère beaucoup plus intéressant à analyser d’un point de vue juridique.
Avant toute chose, qu’entend-on par « amnistie » ?
De façon élémentaire, l’amnistie est une mesure par laquelle certains faits perdent rétroactivement leur caractère d’infraction.
En l’espèce, un coup d’Etat constitue une atteinte à la sûreté de l’État et aux institutions. Il s’agit d’un acte criminel pour lequel, en principe, les auteurs encourent des poursuites pénales.
Seulement, par le jeu de l’amnistie, on ôte à cet acte son caractère infractionnel et, par conséquent, ses auteurs ne peuvent plus faire l’objet de poursuites quelconques, du moins au niveau national.
En tant que praticien du droit, l’amnistie prononcée au bénéfice des putschistes du 30 août 2023 m’interpelle au moins à deux égards. D’une part, quant à l’acte d’amnistie lui-même ; d’autre part, quant à ses bénéficiaires.
I° – CONCERNANT L’ACTE D’AMNISTIE EN LUI-MÊME.
En vertu des dispositions de l’article 170 de la Constitution du 19 décembre 2024, « Les acteurs des évènements allant du 29 août 2023 à l’investiture du Président de la Transition, ne seront ni poursuivis ni condamnés.
Une loi d’amnistie sera adoptée à cet effet ».
Notre Constitution, votée par le Peuple gabonais [n’est-ce pas ?] est pourtant claire : cette amnistie devait être prononcée par une LOI, donc débattue et votée au Parlement, représentant légitime du peuple.
En confiant cette prérogative au Parlement, les constituants de 2024 ont entendu se conformer aux standards démocratiques internationaux, qui conçoivent l’amnistie comme une décision d’une telle envergure qu’elle ne peut être prise que par l’organe représentant la volonté du Peuple.
Or, en adoptant un projet d’ordonnance aux fins d’amnistier les membres du CTRI, putschistes du 30 août 2023 [mais également Kelly OBIANG et consorts d’ailleurs], l’Exécutif [donc le Président de la République] viole la Constitution. Il s’arroge en outre un pouvoir qui ne lui appartient pas, commettant ainsi une sorte de « hold up législatif ».
Certes, on pourrait [naïvement ?] expliquer cela par la volonté du Président de la République de tourner rapidement la page et d’accélérer la réconciliation nationale. Mais une telle attitude comporte des risques graves pour la démocratie et l’Etat de droit.
D’une part, elle affaiblit la séparation des pouvoirs : si l’amnistie relève normalement du Parlement (loi d’amnistie), une ordonnance présidentielle contourne le débat démocratique et prive le peuple de son droit de regard. Cela renforce de manière déséquilibrée les pouvoirs de l’Exécutif au détriment du Législatif et du Judiciaire, créant ainsi un précédent où un Chef d’État pourrait de manière discrétionnaire [et arbitraire ?] effacer des crimes sans contre-pouvoir.
D’autre part, elle constitue une atteinte à l’Etat de droit : une telle amnistie peut décourager l’action judiciaire, miner la confiance dans les institutions, et servir à protéger certains proches du pouvoir à l’abri de tout débat parlementaire.
II° – CONCERNANT LES BENEFICIAIRES DE L’AMNISTIE.
Le projet d’ordonnance adopté en Conseil des ministres porte sur l’amnistie des membres du CTRI notamment.
Seulement – et jusqu’à preuve du contraire –, nul ne peut nous dire avec précision qui sont les membres du CTRI.
Or, d’un point de vue juridique, même si l’amnistie est une mesure générale, on ne peut légitimement pas la prononcer sans identifier les personnes pour lesquelles elle s’applique.
En effet, autant l’amnistie doit concerner des faits précis, autant ces faits doivent avoir été commis par des personnes identifiables. Si les bénéficiaires ne sont pas nommément désignés, il devient impossible pour la justice de vérifier si telle ou telle personne peut effectivement se prévaloir de cette mesure, ou s’il ne s’agit pas d’une extension indue.
Ne pas indiquer qui sont les membres du CTRI, mais les amnistier à ce simple titre, revient à signer un chèque en blanc à des inconnus qui, en cas de troubles judiciaires, pourraient [malhonnêtement ?] être tentés d’inclure dans cette mesure des individus n’étant pas officiellement membres, voire ayant commis des actes en dehors de la Transition.
Je me pose donc les mêmes questions que vous à ce stade : qui sont donc ces membres du CTRI dont la cause justifie que l’Exécutif viole la Constitution ? Et de quelle protection urgente ont-ils besoin pour que le rôle du Parlement soit ainsi foulé aux pieds ?
Les réponses dépassent assurément le seul champ du droit.
Alors, je m’arrête là.
*Peter Stephen Assaghle
Docteur en sciences juridiques, ancien avocat au Barreau de Valence (France).

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