Alors que le Gabon inaugure une nouvelle République et affiche des ambitions de rupture, un mal ancien continue de ronger ses fondations : l’aplaventrisme. Dans cette tribune libre, le doctorant en administration des affaires Prime Boungou Oboumadzogo démonte les rouages de cette soumission silencieuse au pouvoir, qui paralyse les réformes, isole les décideurs et décourage les meilleurs talents. Il appelle à une véritable révolution morale et institutionnelle pour réhabiliter le courage, la vérité et la compétence.

«L’aplaventrisme est une pollution silencieuse» – «Le vrai courage, ce n’est pas d’applaudir le pouvoir, mais de lui dire la vérité, même quand elle dérange.» © GabonReview

 

Prime Boungou Oboumadzogo est un doctorant en administration des affaires, titulaire d’un Executive MBA, auteur, essayiste et chercheur en management stratégique au sein du laboratoire CORHIS. Il exerce également comme formateur. © D.R.

Depuis le 3 mai 2025, avec la naissance de la Cinquième République, le Gabon s’est inscrit dans un renouveau, annonçant une nouvelle dynamique institutionnelle. On parle de changement, de justice, d’éthique. Mais un vieux problème reste bien présent et freine toujours l’action publique : l’aplaventrisme.

Ce mot vient de «s’aplatir» et «ventre». Mais aussi de l’expression «se coucher à plat ventre», exprimant entre autres une attitude de soumission extrême, voire d’humiliation ou de renoncement à sa dignité.

Il décrit une attitude où l’on dit “oui” au pouvoir, même quand on devrait dire “non”. Juste pour protéger son poste, ses avantages ou sa proximité avec les dirigeants. C’est une forme de soumission qui semble anodine, mais qui empêche de corriger les erreurs et de construire un avenir meilleur. Souvent, par peur de perdre leur place ou de déplaire, certains préfèrent se taire. Résultat : les dirigeants prennent des décisions mal informées, des graves erreurs se répètent, et c’est le peuple qui en souffre.

Prenons un exemple hypothétique, sans prétendre disposer de tous les éléments, mais qui pose question, le déguerpissement des habitants de Plaine-Orety. Beaucoup s’interrogent comment un tel événement a-t-il pu se produire dans un contexte censé marquer une rupture avec les méthodes du passé ? Était-ce une simple erreur administrative ? Un excès de zèle ? Ou peut-être, hypothèse plausible, un cas où personne n’a osé dire au décideur : «Monsieur, ce n’est pas opportun» ? Il est désormais important qu’à chaque niveau de hiérarchie dans notre nation que l’on comprenne que dire “oui” quand il faut dire non à des conséquences tels que :

En premier les réformes perdent leur crédibilité car lorsqu’on applique une politique sans recul critique, sans débat, elle devient rapidement impopulaire, même si elle part d’une bonne intention. Puis les dirigeants s’isolent, parce que mal informés, ce qui en stratégie est clair : un dirigeant mal informé par son entourage prend de mauvaises décisions.

Et enfin les citoyens se décourage, car les voix compétentes sont ignorées au profit des voix serviles, la société s’installe dans le cynisme. Les meilleurs se taisent, les médiocres s’adaptent et finissent par instaurer, à l’échelon de certaines administrations, des formes de petite kakistocratie.

L’histoire militaire nous donne une belle leçon pour les fois où le pouvoir a refusé la contradiction. Il a précipité la chute de plusieurs grands chefs de guerre qui, en s’entourant de courtisans silencieux ou flatteurs, ont vu leur stratégie s’effondrer dans l’aveuglement. A l’exemple de : Napoléon Bonaparte, envahi par sa propre arrogance en Russie, n’écoutant plus ses généraux, il eut plus de 400 000 morts ; Adolf Hitler, refusant toute contestation, sacrifia la 6è armée à Stalingrad cela fut le tournant fatal pour son armée ; le général Douglas Macarthur, convaincu de son invincibilité en Corée, ignora les signaux d’alerte… et fut démis. Même Alexandre le Grand, face à une armée épuisée en Inde, comprit trop tard que l’on ne commande pas un peuple qui ne suit plus.

Dans tous ces différents cas, l’isolement du pouvoir, nourri par la soumission des entourages, a conduit à l’échec. Le vrai courage, ce n’est pas d’applaudir le pouvoir, mais de lui dire la vérité, même quand elle dérange.

Mettre fin à l’aplaventrisme exige de :

  • Encourager une culture managériale du doute, dans toute instance décisionnelle, intégrer des voix critiques et dissidentes.
  • Protéger les lanceurs d’alerte, ceux qui alertent sur les dérives doivent être protégés, et non sanctionnés.
  • Valoriser la compétence plutôt que la loyauté dans les nominations.
  • Renforcer les contre-pouvoirs (Assemblée, Cour des comptes, société civile, presse libre).
  • Instituer une formation à l’éthique publique, dès l’entrée dans la fonction administrative.
  • Appliquer le principe du “kaizen” dans la gouvernance : améliorer progressivement, avec évaluation permanente et retour d’expérience.

Le développement ne vient pas seulement de l’argent ou des projets, mais du climat moral autour des décisions. L’aplaventrisme est une pollution silencieuse. Si on veut vraiment avancer, il faut oser accepter le «non» quand il le faut. C’est parfois la meilleure façon d’aider un pays à se construire.

Prime Boungou Oboumadzogo

Doctorant en administration des affaires

EMBA, Chercheur, Essayiste,

Auteur du livre «10 principes qui ont fait de Joseph le prince d’Égypte»

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Nkili Fabien dit :

    Très bonne analyse. Malheureusement qui risrque de tomber dans les oreilles de sourds.

Poster un commentaire