[Tribune] Création d’un parti présidentiel : À contre-courant du 12 avril

«Il faut songer à faire de la politique, mais pas de la politique politicienne. S’il faut réfléchir aux implications des innovations introduites dans la Constitution, il faut éviter de faire croire qu’une majorité parlementaire ne vit que sous la forme d’un bloc monolithique», affirme Franck Ndjimbi, membre du directoire de l’Union nationale (UN) et député de la Transition.

Il est temps d’en finir avec le prêt-à-penser pour faire place à la création constructive. Il faut songer à faire de la politique, mais pas de la politique politicienne. Il faut éviter de faire croire qu’une majorité parlementaire ne vit que sous la forme d’un bloc monolithique. © GabonReview

Franck Ndjimbi est membre du directoire de l’Union nationale et député de la Transition. © D.R.
Nonobstant la controverse sur le changement de République, il y a bel et bien eu changement de Constitution. A la dyarchie exécutive s’est substitué un exécutif monocéphale, le président de la République étant à la fois chef de l’Etat et chef du gouvernement. Pour accomplir les devoirs de sa charge, le gouvernement n’a plus besoin de la confiance de l’Assemblée nationale, qui ne peut plus le renverser par le vote d’une motion de censure, mais demeure sous la menace d’une dissolution. Quant au parlementaire exclu ou démissionnaire de son parti, il ne s’expose plus à la déchéance, l’exception introduite après les Accords de Paris ayant été supprimée. Sur ce point précis, notre pays a retrouvé les fondamentaux de la démocratie représentative, le mandat étant la propriété de la nation et non d’un quelconque parti politique, fut-il dominant ou au pouvoir.
Aux dires de certains, le président de la République serait en passe de créer son parti, l’objectif étant de se doter d’un outil politique à même de l’accompagner dans la mise en œuvre de son programme. Les promoteurs de cette idée ont certainement des raisons de la soutenir. Y voyant un acte de haute portée politique et institutionnelle, ils y trouvent forcément un intérêt personnel. Mais ils ne doivent pas se tromper de diagnostic pour autant. Peut-on conditionner le soutien au président de la République à l’appartenance à un parti inspiré par ses soins ? C’est faire fi de l’histoire récente, du déroulement de la Transition et des changements induits par la nouvelle Constitution. C’est aussi renoncer à ce qui a jusque-là constitué la particularité de la période actuelle : «l’inclusivité». C’est même prendre le risque de faire du président de la République l’otage de politicards retors. Qu’on le veuille ou non, la loi nouvelle Loi fondamentale suggère un jeu politique et institutionnel autrement plus complexe et moins simple que les montages traditionnels.
Naïveté coupable ou mystification volontaire ?
Face aux députés, le président de la République dispose d’une arme de dissuasion : le pouvoir de dissolution. Dispose-t-il d’une autre applicable aux seuls élus de son parti ? Depuis la suppression de l’exception à la nullité du mandat impératif, la réponse est non. Que ferait-il si une jacquerie éclatait au sein de son parti ou si «ses députés» entraient en dissidence ? Rien de plus que ce qu’il pourrait faire si une telle éventualité advenait avec un parti allié. En revanche, «ses députés», auront tout le loisir de faire du chantage puisqu’ils seront assurés de conserver leurs sièges. Si on a beaucoup glosé sur un déséquilibre des pouvoirs, les relations entre l’exécutif et le législatif ont effectivement connu un changement notable : individuellement, la nouvelle Constitution offre aux députés des garanties d’indépendance et leur permet d’agir sans craindre des représailles. Affirmer que la création d’un «parti présidentiel» rendra ses élus plus loyaux ou plus dociles relève d’une lecture erronée, d’une naïveté coupable voire d’une mystification volontaire.
Les promoteurs du «parti présidentiel» ne doivent pas se tromper d’époque non plus. Il convient ici d’énoncer un principe simple : comme la vitalité de la démocratie, la fluidité du jeu institutionnel ne dépend pas de l’existence d’un lien ombilical entre le président de la République et la majorité parlementaire. Elle tient plutôt à l’existence de procédures permettant de surmonter les obstacles, mener des conciliations et trouver des solutions aux conflits. Or, on ne construit pas de tels mécanismes en se reposant sur un parti, l’affiliation partisane n’étant ni une garantie de loyauté ni un gage de confiance mutuelle. La création d’un «parti présidentiel» laisse entrevoir un glissement vers une ère de prégnance des intérêts partisans sur l’intérêt général. Inévitablement, l’activité interne à ce parti aura une incidence sur le fonctionnement des institutions, singulièrement le Parlement. Par voie de conséquence, il influencera la vie publique et déteindra sur la capacité d’action des pouvoirs publics.
Refaire l’exégèse de la Constitution du 19 décembre 2024
Les promoteurs du «parti présidentiel» ont des raisons de pousser à la roue. Mais, ils ne doivent pas manier des demi-vérités. Comment le président de la République peut-il s’assurer du soutien du Parlement ? En usant des pouvoirs et prérogatives que lui confère la Constitution. Mais cela ne signifie nullement qu’il ne peut faire de la politique. Bien au contraire. Dans l’esprit de la dernière campagne présidentielle, il ferait évoluer les mœurs politiques en demeurant fidèle à l’idée d’ouverture qui lui a permis de l’emporter sans coup férir. Au lieu de militer pour la création d’une nouvelle entité, il faut plutôt songer à structurer la majorité présidentielle autour du président de la République. Une telle initiative permettrait, d’une part, de raviver la flamme du 30 août 2023 et, d’autre part, d’entretenir l’espoir de renouveau né le 12 avril 2025. Elu à deux reprises en indépendant, Patrice Talon l’a fait avec une réussite certaine, en s’appuyant sur les pouvoirs que lui confère la Constitution du Bénin. Pourquoi Brice-Clotaire Oligui Nguéma ne pourrait pas s’en inspirer ? Parce que certains veulent le couper de la société pour lui vendre leurs lubies ? Ou parce que les mêmes espèrent l’isoler pour sécuriser quelques prébendes ? A voir la frénésie des démissions, c’est à craindre.
Il faut songer à faire de la politique, mais pas de la basse politique politicienne. S’il faut réfléchir aux implications des innovations introduites dans la Constitution, il ne faut pas aller à contre-courant du 12 avril. Au-delà, il faut éviter de faire croire qu’une majorité parlementaire ne vit que sous la forme d’un bloc monolithique. A la veille des législatives, une seule question vaut : comment donner suite à l’esprit de rassemblement qui s’est manifesté autour de Brice Clotaire Oligui Nguéma ? La réponse ne se trouve ni dans les schémas anciens ni dans les recettes adaptées au régime semi-présidentiel. Maintenant que les passions se sont apaisées, que le président de la République est entré en fonction, il faut refaire l’exégèse de la Constitution du 19 décembre 2024 pour en cerner toutes les subtilités. C’est la vocation des universitaires et journalistes. Mais c’est aussi celle des acteurs politiques et de la société civile. Il est temps d’en finir avec le prêt-à-penser pour faire place à la création constructive.
Franck Ndjimbi, député de la Transition

0 commentaire
Soyez le premier à commenter.