À la veille de l’entrée en fonction officielle de Brice Clotaire Oligui Nguema, Harold Leckat Igassela, fondateur de Gabon Media Time, a pris la plume pour adresser une lettre ouverte au nouveau président de la République. Tour à tour père, aîné, entrepreneur, journaliste et citoyen engagé, il y formule avec sobriété, émotion, pragmatisme et gravité les espoirs concrets d’un Gabon plus juste, plus cohérent, plus humain. Au-delà de l’émotion suscitée par la cérémonie d’investiture, ce texte, écrit à la première personne, trace les contours exigeants d’un serment à honorer. Un appel citoyen qui résonne comme un rappel des attentes profondes de la population, au moment où le pays s’engage dans une nouvelle ère politique.

«Je ne demande pas le miracle. Je demande la cohérence. La justice. Et la dignité. C’est cela, le Gabon, Monsieur le président de la République, que nous devons léguer à nos enfants», dixit Harold Leckat. © GabonReview (montage)

Juriste de formation, entrepreneur, Harold Leckat Igassela est un éditeur de presse gabonais, reconnu pour son engagement citoyen. Il est le fondateur et directeur de publication de Gabon Media Time (GMT). © D.R.

Je suis Harold Leckat Igassela. Juriste de formation, journaliste de conviction, entrepreneur par devoir, époux et père de famille par grâce. Aîné d’une fratrie et chef d’une entreprise de presse qui porte, chaque jour, la voix de ceux que l’on n’écoute pas assez.

Le 3 mai 2025, j’ai assisté avec émotion et espoir à la cérémonie d’investiture du président élu Brice Clotaire Oligui Nguema. Pour la première fois dans notre histoire, un président de la République prêta serment devant le peuple rassemblé, les autorités gabonaises, les représentants de pays amis et des institutions internationales, dans une transparence inédite.

« Moi, Brice Clotaire Oligui Nguema, élu président de la République, m’engage devant Dieu, nos Ancêtres et le peuple gabonais, à consacrer toutes mes forces à son bien-être, le protéger de tout dommage, respecter et défendre fidèlement la Constitution et l’État de droit, préserver les acquis démocratiques, l’indépendance de la Patrie, l’intégrité du territoire national, et à remplir consciencieusement les devoirs de ma charge et être juste envers tous. Je le jure. »

Ce serment est fort. Il nous engage tous. Mais surtout, il engage celui qui l’a prononcé devant la nation. Et c’est en tant que citoyen gabonais que je ressens le besoin de coucher ici mes vœux pour le Gabon de demain. Des vœux concrets. Profonds. Ancrés dans le réel.

Le Gabon du père de famille

Je rêve d’un Gabon où, lorsque mon enfant se lève pour aller à l’école publique, il y trouve des enseignants formés, motivés, bien rémunérés. Je rêve de classes propres, de manuels à jour, de cours de sport et d’arts, de toilettes accessibles et utilisables — ce qui, hélas, n’est pas encore le cas dans trop d’établissements, même ici à Libreville.

Je rêve d’un Gabon où, lorsqu’un de mes enfants tombe malade, l’hôpital public est ma première pensée. Pas par résignation, mais par confiance. Où je peux le faire soigner dans la dignité, sans devoir supplier, sans devoir payer sous la table, grâce à une assurance maladie digne de ce nom et des tarifs maîtrisés. Je rêve aussi d’un Gabon où je peux passer un week-end en famille, trouver des espaces de loisirs, voyager à l’intérieur du pays sans peur, sans payer l’insécurité au prix fort.

Le Gabon du grand frère

Je suis l’aîné. Comme beaucoup d’aînés gabonais, je suis devenu pilier social par défaut. Le chômage de mes jeunes frères est un poids silencieux que je porte. Je rêve d’un Gabon où les jeunes diplômés, en quête d’emploi, bénéficient d’un revenu de solidarité temporaire, qui les soutient dans leur insertion, allège la charge familiale et donne de l’espoir.

Je rêve d’un système de bourses équitable et ponctuel, qui respecte les parcours de ceux qui veulent s’élever par le savoir. Que l’État ne soit pas un frein à l’ascension, mais son levier.

Le Gabon de l’entrepreneur

Je dirige une entreprise depuis bientôt 10 ans. Je connais la rudesse du quotidien entrepreneurial au Gabon. Trop d’entreprises meurent avant deux ans. Pas parce qu’elles manquent d’idées, mais parce qu’elles manquent de soutien. De vision. De considération.

Trop souvent, un changement de direction dans l’administration publique ou parapublique suffit à anéantir un contrat signé, un marché dûment exécuté. Le nouveau responsable ne prend même pas la peine d’en lire les termes. Il piétine, annule, vous laisse avec des dettes, et les collaborateurs que vous aviez mobilisés avec foi.

Je ne veux plus de cette insécurité juridique. Je ne veux plus de cette économie de l’arbitraire. Dans le Gabon de demain, je rêve d’une fiscalité adaptée aux jeunes entreprises, d’un crédit accessible, d’un écosystème bancaire qui n’exclut pas les TPE et PME. Je rêve d’une politique publique de l’entrepreneuriat, pas de sa réduction en un élément de langage dont on en parle que pour s’entendre parler à la moindre conférence.

Le Gabon du journaliste

Je suis journaliste. Je crois au rôle essentiel de la presse dans la démocratie. Le classement 2025 de Reporters sans frontières (RSF), qui place le Gabon 41e sur 180 pays, devant les États-Unis, est un signal positif. Mais ce progrès est fragile.

RSF le rappelle : la presse est plus libre, mais elle manque de moyens. La publicité institutionnelle est réservée à quelques médias “bien identifiés”. Trop d’éditeurs n’impriment plus, faute de soutien. Le marché publicitaire privé est devenu frileux, car les entreprises craignent de se compromettre en soutenant des médias critiques.

Pour que la liberté de la presse ne soit pas qu’un classement, elle doit être soutenue, financée équitablement, protégée institutionnellement. Le 03 septembre 2023, Monsieur le président, vous avez dit vouloir « redonner à la presse ses lettres de noblesse ». Cela passera par un dialogue constant, des mécanismes de financement clairs, une réforme de la Haute autorité de la communication, de changements profonds au sein de l’administration centrale.

L’autre urgence concerne l’accès à l’information publique. Trop souvent, les journalistes – notamment du secteur privé – se heurtent à une opacité institutionnelle systémique. Or, une démocratie qui se respecte ne craint pas d’être questionnée. Faciliter l’accès aux données publiques, aux agendas officiels, aux documents administratifs, c’est permettre à la presse d’exercer pleinement son rôle de contre-pouvoir, de veille citoyenne, et de force de proposition. Sans cela, la transparence demeure un slogan, pas une réalité.

Le Gabon du citoyen

Enfin, je suis un citoyen. Et à ce titre, je rêve d’un pays où les libertés fondamentales sont garanties. Où la présomption d’innocence est respectée. Où les droits sont effectifs dans les tribunaux, dans la rue, dans l’administration. Où le verdict des urnes est toujours respecté.

Je rêve d’un Gabon où les sanctions sont justes et les récompenses méritées. Un Gabon où la méritocratie, pas l’allégeance, fait avancer les citoyens dans l’ascenseur social. Un Gabon où la justice est rendue dans l’équité, sans pression, sans marchandage.

Un serment, un devoir

Monsieur le Président, le serment que vous avez prêté est fort. Il vous engage devant Dieu, devant les ancêtres, mais surtout devant nous tous, citoyens gabonais. Vous avez promis le bien-être du peuple. Vous avez promis la justice pour tous.

Alors, tenez ce serment. Faites qu’il résonne dans les écoles, les hôpitaux, les tribunaux, les entreprises, les salles de rédaction. Faites qu’il se traduise en actes.

Car moi, comme tant d’autres Gabonaises et Gabonais, je ne demande pas le miracle. Je demande la cohérence. La justice. Et la dignité. C’est cela, le Gabon, Monsieur le président de la République, que nous devons léguer à nos enfants.

Par Harold Leckat Igassela

 
GR
 

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